Le 22 mars, c’est la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. En France, de nombreuses manifestations ont été organisées… par la gauche. Et commentées à la TV par la droite. Car figurez-vous que oui, l’antiracisme reste encore une tradition de gauche, même si l’extrême droite cherche à s’accaparer des principes républicains.
Évidemment, après la polémique autour de l’affiche de LFI, les requins étaient prêts à surgir, rappelant que le parti était organisateur de la manif. Co-organisateur, parmi tant d’autres en effet. La question de l’antisémitisme est centrale depuis le 7 octobre, la droite cherchant à tout prix à disqualifier la gauche sur ce terrain là. Et il faut dire que certains prêtent le flanc.
Ce qui devait arriver arriva, ce week-end du 22 mars vu riche en fake. Un week-end qui rappelle un peu les grandes heures de LMPT par cette production importante en si peu de temps.
La vidéo À bas l’État, les Juifs et les fachos
Dés le début de ce samedi après midi, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Le Hamas défile dans les rues niçoises, scandant des slogans qui rappellent la manifestations Jour de Colère. Oui, mais non. C’est démenti rapidement par France3 qui publie un article, mais c’est trop tard.
L’extrême droite se régale à voir des Juives et des Juifs flipper en entendant ça. Raison pour laquelle, nous avons voulu démontrer qu’il s’agissait évidemment d’un faux. Et ce, le plus vite possible. Ainsi, dés le dimanche midi, nous avons publié une première vidéo. Celle-ci explique un des méthodes utilisées pour foutre le boxon et saper la confiance.
Le principal reproche qui nous a été adressé a été de ne pas démontrer ce qui nous semblait évident : il y a deux vidéos, celle qui met en scène le slogan « à bas l’État, les flics et les fachos », un slogan bien connu dans les manifs de gauche et une autre vidéo où l’on entend par deux fois « à bas l’État, les Juifs et les fachos ». Dont acte, nous allons donc remettre les choses à plat et recommencer du début.
La vidéo est truquée
L’article de France3 cité plus haut indique deux vidéos :
La vidéo originale
La vidéo qui semble la plus ancienne est postée par un niçois qui n’aime pas trop la gauche et ses slogans. Beaucoup ont cru qu’il s’agissait alors de Nice, quand le debunk assuré par la chaîne régionale démontre qu’il s’agit d’Angoulême. Nous ne pouvons donc pas être certain que ça soit cette personne qui ai filmé.

L’extrait vidéo :
La vidéo retouchée
Le second extrait sort une heure plus tard, donc toujours le 22 mars, et insiste sur ce qu’on y entendrait, le slogan antisémite cité plus haut. Sauf que si les images sont identiques, le son n’est pas exactement le même.

L’extrait vidéo
Nous comparons les deux extraits avec un logiciel (avbeam) qui nous montre que les bandes sons sont similaires sauf dans les zones rouges, où nous entendons par deux fois « les Juifs ».
Voilà, c’est imparable. C’est la preuve que les deux vidéos sont différentes et donc que l’une a été retouchée. C’est logiquement la plus ancienne qui est l’originale. Mais au delà de cet aspect logique, un autre entre en jeu : c’est le slogan traditionnel de la gauche qui est l’original.
Car si antisémitisme à gauche, il y a … il ne s’exprime de toutes façons pas de cette manière là.
Comment on fait ça ?
Nous proposons donc une hypothèse mobilisant une méthode pour truquer cette vidéo. Il a fallu une heure pour créer ce montage odieux. Des IA existent, mais demandent une certaine maitrise. Il est tout à fait envisageable que ce fut l’outil utilisé.
Cependant, nous avons préféré montrer une méthode de roublard avec des outils que n’importe qui peut avoir à disposition et qui mobilisent moins de compétences. Un bête mixage avec une séquence piquée ailleurs.
Si nous n’avons pas le fin de mot sur le comment, nous avons l’absolue certitude qu’un faux a été fabriqué pour manipuler. Car oui, c’est ça l’extrême droite.
Et voilà. Debunked !
La pancarte de Nemesis
Le même jour, c’est une pancarte très douteuse qui resurgit : À bas l’État, les blancs et les fachos.

Et allez un petit « WTF » (« What The Faf ») pour la route. Vous vous souvenez du concept? Des militants fascisants pris la main dans le sac à croire à n’importe quoi ( Le Gorafi, une caricature décrite comme telle…). Et au passage, le partageant pour faire marcher leur gamelle électorale…Ce soir, c’est Julien ODOUL que nous attrapons le bras entier dans le pot à confiture de l’intox! On l’applaudit bien fort! Quel talent.Il a publié hier une photo d’une fausse pancarte soit disant issue de la manif antiraciste d’hier. Las, celle-ci est issue d’une manif de 2023, et la pancarte, comme la photo avait été réalisé par les fafministes du « collectif Némésis ». Celle-ci avaient voulu « trollé (ce sont leurs termes) cette fameuse manif en voulant prouver que ces pancartes ne choquaient personne.1) Comme si vous regardiez les pancartes…2) C’est sur que les manifs à 10 de Némésis, on va pas les troller
BREFJulien ODOUL a raconté n’importe quoi. Et vous savez quoi, il ne va pas retirer la publi et ne va pas s’excuser.– Ou bien il ne dira rien et fera comme si de rien n’était.– Ou bien, il va dire qu’il était bien au courant et que lui aussi participait du « trollage ».Pile je gagne, face tu perds, comme d’habitude.…PS On nous signale que Goldnadel a commis la même intox……PPS Oui nous avons flouté une partie du discours de Némésis qui n’était que de la propagande fascisante pour laisser les faits, rien que les faits. Mais pour celles et ceux qui chouineraient comme à notre habitude nous avons laissé l’adresse URL qui vous permettra d’en savoir plus sur leur prose dégueulasse.
Conclusion
Ce lundi matin, nous voulions conclure sur la fonction de ces hoax, mais c’est en découvrant aussi à gauche que beaucoup ne connaissent pas les slogans, ou même le corpus militant, cette culture commune. Alors c’est pas toujours finaud, mettant souvent en scène la violence, et on peut discuter de l’aspect problématique de cette approche (comme la banalisation de l’imagerie de la guillotine, un imaginaire qui se veut révolutionnaire, mais qui pourrait vite glisser dans le réactionnaire). Is it ok to punch a nazi !? Ou tourné autrement, est-ce qu’on tend l’autre joue ? Non, définitivement pas. Et ça n’empêche pas de poser la question de la violence.
Mais ce qui se déroule ici, les polémiques des plateaux de Cnews qui voudraient décider des slogans de la gauche comme des drapeaux autorisés (pas arabe quoi, ni algérien, ni palestinien) ont une fonction : disqualifier le discours antiraciste qui était au coeur de la manifestation du 22 mars.
Un slogan pas si nouveau :
à bas l’état, les flics et les fachosAlors que nous publiions une explication de l’odieux montage attribuant à des manifestants le slogan « à bas l’état, les juifs et les fachos », nous avons eu un rappel à la réalité : le slogan original choque au moins autant que la version antisémite.
Pourtant, quand on a vécu des décennies dans le monde militant, le slogan « à bas l’état, les flics et les patrons » fait partie du décor. Appelez ça l’extrême gauche, la gauche anti-autoritaire, le milieu anarchiste, peu importe, c’est complètement intégré : l’État, les flics et les patrons (qui va évoluer en les fachos), c’est l’ennemi. C’est le capitalisme, c’est le nationalisme et les violences policières.
Dans la matinale de BFM, Jordan Bardella en faisait des caisses sur un slogan pourtant vieux comme le monde, mélangeant donc les postulats de la gauche autoritaire avec le discours de Mélenchon et fustigeant la présence de drapeaux palestiniens. Des circonvolutions pour dénoncer l’antisémitisme, un antisémitisme qui existe bel et bien dans la société française, y compris à gauche, mais pas comme lui l’entend. Il évite ainsi de tomber dans le piège du fake dont nous parlions précédemment, tout en en récoltant les fruits.
Ce qui se joue ici est probablement l’un des derniers coups portés à l’héritage de mai 68. Peut être parce que nous avons oublié que les slogans de l’époque étaient bien plus féroces et qu’on chantait « A bas l’état policier », chanson écrite par Dominique Grange. L’époque était à l’offensive contre le patriarcat, le patronat et des cognes au service d’un ordre moral. Ce n’était pas des gros mots et les luttes ne se sont pas faites en demandant gentiment.
On oublie vite. On oublie qu’en 1962, c’est cette police qui tua 9 camarades au métro Charonne, dans une manifestation contre l’OAS, une organisation terroriste d’extrême droite qui a fait plus de 2000 morts avant de fonder le FN.
Alors défendre l’État de droit et les conquêtes sociales et dénoncer les violences de l’état, du travail et de l’extrême droite, ce n’est pas antinomique, au contraire. Et aujourd’hui, nous mesurons l’hégémonie de discours réactionnaires qui regrettent de ne pas voir plus de drapeaux français. Ce discours là est celui qui dénonçait le cosmopolitisme.
Parce qu’après tout, si ils sont vraiment contre le racisme, ils auraient pu défiler tous ces gens si bien intentionnés qui ont passé leur samedi à bidonner des infos. Ajoutons tout de même qu’une vraie agression antisémite a eu lieu ce 22 mars à Orléans. Nos pensées vont à Arié Engleberg et à ses proches.