Oyez oyez, bonnes gens, Thaïs d’Escufon is back ! Après la dissolution de Génération Identitaire, la voilà ultra-moderne executive woman, reconvertie sur les réseaux sociaux en youtubeuse et influenceuse. Ni conservatrice ni traditionaliste, elle sera « réaliste » ! Une réaliste moderne, nostalgique d’un âge d’or dont les identitaires du GRECE, à la fin des années 60, firent naître la mythologie. Décryptage et généalogie.
Pr. d’Escufon, grande compétence, guérit vos blessures d’amour.
Se marier, vivre dans la même maison, faire des bébés, avoir un chien, le but de toute vie saine ! Mais la noblesse de l’idéal se mérite et le pèlerin s’en va parfois sur un chemin semé de pierres. Bref, ça marche pas fort avec ton ou ta crush quoi. Ça tombe bien Thaïs d’Escufon et sa chaîne Youtube ont pour objet d’ « apporter des solutions à vos problèmes affectifs et relationnels « .
Thaïs d’Escufon ? De Génération Identitaire ? Bah oui.
Thaïs d’Escufon, parcours.
La période Génération Identitaire
Pour rappel, Thaïs d’Escufon a été bombardée porte-parole de GI après le déploiement d’une banderole sur le « racisme anti-blanc » pendant une manifestation de soutien au Comité Adama. Déjà membre du groupuscule avant ce fait d’armes, elle déployait avec ses potos de souche une banderoles anti-migrants sur un bâtiment parisien de la Commission européenne. Elle s’est également illustrée, avec les mêmes, en montant en 4×4 jusqu’au Col de l’Échelle, lieu de passage des migrants. Sous la bannière « Defend Europe », ils avaient étendu une banderole (encore) anti-migrants. Puis ils s’étaient donné la main derrière des grillages pour matérialiser la frontière entre la France et l’Italie.
Thaïs outragée mais Thaïs debout !
En 2021, Darmanin dissout GI. Dans une de ses vidéos Thaïs d’Escufon explique qu’elle a vécu ça comme un cataclysme.
Après ce que l’on imagine être un purgatoire suivi d’un (court) moment de méditation, Thaïs d’Escufon revient à la lutte et à l’espace médiatique. Elle crée sa chaine Youtube et y dispensera désormais sa « propre vision » du monde comme il va. On y retrouve les marottes habituelles des Identitaires, surtout l’immigration. Et puis, il y a 7 mois, Thaïs d’Escufon change de cap et se concentre désormais sur les rapports hommes-femmes, sur le vivre-ensemble et les joies du couple. On pourrait penser qu’elle s’est reconvertie en coach de vie.
« La prise de conscience »
Que nenni. Car pour être honnête avec nos lectrices et lecteurs, nous devons avouer que nous avons honteusement tronqué la phrase d’ouverture de cet article. Voici in extenso ce que Thaïs d’Escufon y dit :
« Je crois et je travaille à ce que mon contenu vous apporte des solutions à vos problèmes affectifs et relationnels, en faisant le lien avec votre situation personnelle et les enjeux politiques et identitaires de notre époque. »
On était presque déçu qu’elle ait renoncé à ses nobles idéaux pour finir dans le développement personnel. Nous voilà rassurés sur sa continuité idéologique.
Et de fait, Thaïs consacre maintenant son temps de parole à pourfendre la déréliction de la société actuelle et ses avatars les plus vomitifs, dont le féminisme serait le pire. Car elle a compris que le temps était venu de « cibler les plus jeunes dans leur vie concrète » et que la préoccupation de cette vie concrète était la relation entre les hommes et les femmes. Une petite leçon de vie ne serait donc pas de trop pour les extraire des flammes de l’enfer de l’amour libre, de la révolution sexuelle, enfin bref, de la chute de la civilisation.
Les hystériques et les hommes soja
Car oui, lectrices et lecteurs, les relations entre les hommes et les femmes sont devenues un chaos, un enfer tel que même Cerbère ne voudrait plus en être le gardien ! Et à cause de qui ? De quoi ? A cause du féminisme, expression du « ressentiment et la jalousie des femmes médiocres sur les femmes admirables ». Et même qu’elles vont transformer la société en « légions de gobelins malheureux ». (Et qui voudrait d’un monde peuplé de Golum, franchement… pas nous en tous les cas, donc gagnés par la terreur et plaçant notre espoir en Thaïs, on écoute la suite…)
D’abord les féministes sont le déshonneur de la féminité car elles manquent de ce noble penchant qui est le goût du beau :
« Le féminisme c’est toujours plus de laideur, de médiocrité et d’obscénité. […] Et tout ce qui est laid de l’extérieur ne peut que cacher une grande laideur intérieure. » (Verbatim. Et encore, on s’est abstenu de retranscrire les passages carrément insultants et dégueulasses de son argumentaire ; on a sélectionné plus intelligent et poétique).
Et de fait, non contentes de s’en prendre à la beauté, elles visent à la destruction de la société tout entière. Elles entendent saper les fondements de la civilisation (européenne) en féminisant les hommes, qu’elles transforment, pour ceux qu’elles convertissent ou qui tombent sous leur emprise, en « homme-soja« .
Les féministes sont « en guerre contre la féminité« , ce sont les « harpies hystériques » qui défendent l’égalitarisme. Et surtout, surtout, qui nient la différence entre les hommes et les femmes. Ce qui fait qu’elles veulent peupler le monde de « semi-femmes et d’anti-femmes » (pas besoin de traduction). Bref, « le féminisme a détruit et continue de détruire la vie de millions d’individus« … et surtout celle des hommes.
Des hommes opprimés par la domination féminine
Des hommes en PLS
Les revendications féministes auraient contaminé la quasi-totalité de la société. De la culture à la politique en passant par l’éducation et le monde du travail (nous y reviendrons) le féminisme est devenu la pensée dominante, pour ne pas dire « la pensée unique ». Les hommes vivraient donc désormais sous le joug des femmes et même la droite n’y trouve rien à redire. Tout le monde sait que même Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin ou Christian Estrosi mangent désormais du soja mariné en dévorant du Monique Wittig. Et Eric Ciotti ne vient-il pas d’affirmer que « le féminisme est d’abord de droite, parce que les grandes avancées dans l’histoire contemporaine pour les femmes ont toutes été obtenues par la droite républicaine ».
D’où une « crise de la masculinité » dans un monde où sont désormais valorisées et imposées aux hommes des valeurs féminines.
« On attend des petits garçons et des hommes qu’ils expriment des traits de personnalités féminins, qui sont considérés comme supérieurs et beaucoup plus désirables moralement« .
Le « Divorce Rape »
Et que dire des malheureux qui se sont fait berner en se mariant dans une telle société ? Leur descente aux enfers est infinie. Depuis que le « divorce sans faute » est inscrit dans la loi (le divorce « par consentement mutuel » j’imagine), les hommes se feraient presser, puis jeter comme des citrons. Sans raison – parfaitement ! – juste parce que madame en a assez.
Imaginez, vous travaillez dur, vous épargnez, vous achetez une belle propriété où vous posez madame et votre lignée (on ne dit plus enfant on dit « lignée »). Et voilà que l’ingrate ne veut plus de vous. Elle vous jette, et de surcroît, aidée en cela par la loi, elle vous plume. Vous y perdez votre argent, votre maison (car on sait que le patrimoine est divisé en deux même si c’est monsieur qui a travaillé). Vous y laissez aussi votre lignée puisque les juges, ces vendus décadents, accordent toujours le droit de garde à madame. Il y ainsi un véritable « appauvrissement financier » des hommes en cas de divorce ; ils y perdent « leur patrimoine, leur situation et se retrouvent seuls« . C’est ce qu’on appelle « le divorce rape » aux États-Unis.
Avouez qu’il y a de quoi détester les femmes et vouloir faire sécession. Les Incels (en français « célibataires involontaires) remâchent leur haine devant les jeux vidéo avant de finir, pour certains, par commettre des attentats contre les femmes. Les MGTOW ((Men Going Their Own Way – « les hommes qui suivent leur propres chemin ») font les forts et jouent des muscles mais pleurent dans le secret de leur salle de sport. Tandis que les Pick Up Artist tombent dans le piège fatal de la séduction et du libertinage. Quant aux autres, ils attendent des solutions.
Sortir de la position victimaire
Osez le virilisme !
Si elle comprend la souffrance des masculinistes, Thaïs d’Escufon ne partage pas leurs solutions. Pourquoi ? Parce que tous adoptent une posture victimaire. Et ça, ce n’est pas viril !
Car tel est bien le drame de la domination féminine, elle a castré les hommes. Elle les a rendus impuissants au point qu’ils ne peuvent se révolter qu’en pleurnichant. Or, seule une révolution peut annuler l’évolution féministe de la société. Les hommes doivent retrouver leur âme de « combattants » et de « conquérants ». Les hommes sont sommés de retrouver leur « virilité« .
Reproduire sa lignée
Cette virilité se reconnaît non seulement au changement de posture, mais aussi à la capacité de perpétuer sa lignée. Et pour cela, ben il faut des femmes. Et bien sûr c’est là que la sécession voulue par les masculinistes a tout faux. Comment, en effet, se reproduire sans le ventre des femmes ?
Ce n’est donc pas en faisant la guerre aux femmes que les hommes retrouveront leur pleine place dans la civilisation. Mais, bien au contraire, en les épousant et leur faisant des enfants (autant dire des héritiers). Or on sait que les femmes elles-mêmes, en grande majorité, n’ont pas été rendues plus heureuses avec le féminisme, comme en témoignent de nombreuses femmes Amélie Menu. Amélie Menu, c’est cette jeune femme qui s’était prétendue journaliste et avait piégé des personnes trans pour son documentaire transphobe intitulé « Trans ».
Donc des femmes saines existent encore. Ce sont celles-ci que les hommes renouvelés et puissants doivent élire, épouser et faire la mère de leur lignée.
Messieurs, conseille Thaïs d’Escufon
« si vous voulez vous marier avec des princesses, il faut devenir un preux chevalier. »
Le chevalier et la gente dame
Car voilà bien le modèle des relations hommes-femmes appelé à sauver la civilisation européenne catholique : le chevalier et sa dame.
En prônant ce modèle, Thaïs d’Escufon se défend d’être « conservatrice » ou « traditionaliste« . Non affirme-t-elle, elle est seulement « réaliste« . Et le réalisme, lui, ne s’appuie pas sur les idéologies. Le réalisme se fonde sur ce qui est, donc sur la science. Car la science, Thaïs d’Escufon l’a rencontrée et c’est la psychologie évolutionniste (ou évopsy pour les initiés).
Qu’est-ce que la psychologie évolutionniste ?
La psychologie évolutionniste nous vient des États-Unis. Elle a émergé à la fin les années 80. La psychologie évolutionniste entend révolutionner la psychologie avec une approche fondée sur la biologie évolutionniste et le cognitivisme. Un peu comme une science des comportements qui se fonderait sur les lois naturelles.
Quelques repères dans l’histoire des théories de l’évolution
« La biologie évolutive » elle-même est une approche qui vise comprendre le rôle de la biologie dans les processus évolutifs.
Darwin
Revenons donc au début de la théorie de l’évolution avec Darwin. Selon Darwin, les variables aléatoires entre être vivants d’une même espèce, dont les humains, sont fonction de leur adaptation au milieu. Une variation aléatoire se conserve et se transmet si elle permet à l’individu de mieux s’adapter à son milieu, donc de survivre et se reproduire avec cette variation. Si elle produit des individus non viables, elle va disparaître avec eux. Darwin nomme ce processus « sélection naturelle ». C’est ainsi, toujours selon Darwin, que les êtres vivants sont le mieux adaptés possible à leur milieu.
Le néodarwinisme
Au début du XXème, ce que l’on appelle « les lois Mendel » (du nom de leur découvreur) mettent en évidence la transmission génétique des mutations. Celles-ci s’inscrivent dans le génome et c’est ainsi qu’elles se transmettent.
Un peu plus tard dans le siècle, les scientifiques réinterprètent le darwinisme à la lumière des découvertes de Mendel. C’est le « néodarwinisme » ou « théorie synthétique de l’évolution ».
L’évolutionnisme adapté aux comportements.
La psychologie évolutionniste se constitue sur ce modèle. Elle ne concerne plus le capital génétique mais les comportements. Elle est créée à la fin des années 80 par John Tooby et Leda Cosmides. Leur ouvrage de référence date de 1992 et s’intitule L’esprit adapté : psychologie évolutionniste et génération de la culture. Autour d’eux gravitent les scientifiques de ce qu’on appelle « le groupe de Santa Barbara ».
Croisant donc évolutionnisme biologique et cognitivisme, la psychologie évolutionnistes s’applique essentiellement aux comportements sexuels et aux attaches parentales.
Des postulats comme fondements
Un double postulat
- Premier postulat : nous nous sommes construits dans un environnement. Cet environnement a changé mais nous avons gardé les comportements adaptés au premier. Par exemple, nous avons encore peur des araignées alors que nous n’en rencontrons que très peu. Mais nous n’avons pas peur de choses beaucoup plus dangereuses pour nous comme la voiture. Pour Rochedy et Thaïs d’Escufon ce sera par exemple le grand remplacement.
« Nous vivons dans des villes et des banlieues, nous regardons la télé et buvons de la bière, tout en étant en proie à des sentiments conçus pour propager nos gènes dans une petite population économiquement fondée sur la chasse et la cueillette. Rien d’étonnant à ce que les gens semblent souvent n’obtenir aucun succès dans la poursuite de leurs objectifs : bonheur, aptitude globale, ou autres. » Wright Robert, L’Animal moral. Psychologie évolutionniste et vie quotidienne.
Bref, nous ne sommes pas si « adaptatifs » qu’on veut nous le faire croire.
- Second postulat : nous utilisons et utilisions des processus spécifiques pour résoudre les différents problèmes. Chaque processus cognitif est adapté au problème posé. C ‘est la « domain specificity ». Par exemple, un homme n’utilisera pas le même jugement pour choisir une femme et pour choisir sa nourriture. Un comportement particulier aurait été sélectionné par sa fonction : l’homme choisit une femme en pleine santé parce que son but est de transmettre son capital génétique. La psychologie évolutionniste ne pense pas une évolution globale de l’espèce. A l’inverse, chaque comportement est sélectionné pour son efficacité dans la perpétuation de l’espèce, par exemple le comportement sexuel.
En bref, la monogamie dans un corps sain
La psychologie évolutionniste cale son année 0 à nos ancêtres de l’âge de pierre (plus précisément le pléistocène). Elle prend leurs comportements sexuels comme point de référence. Selon eux, en ce temps-là, l’homme chasse et conquiert grâce à sa forte musculature. La femme reste à la maison, porte les enfants et les élève. Elle est de constitution plus fragile. L’homme doit avoir une femme pour transmettre son capital génétique et donc copuler souvent pour être certain que ça marche. Quant à la femme, elle doit n’avoir qu’un partenaire. Il faut en effet que le père soit certain qu’elle porte bien ses enfants. Il lui faut donc se soumettre aux assauts de monsieur. Et chacun de rechercher le/la meilleur.e partenaire, l’homme fort et protecteur pour la femme, et pour l’homme la bonne reproductrice, saine et en bonne santé.
Permis de violer
L’ouvrage le plus radical à ce propos s’intitule A Natural History of Rape (Une histoire naturelle du viol). Il est l’œuvre de Randy Thornhill et Craig Palmer. Selon ces auteurs, les humains de sexe masculin sont mus par leur besoin naturel de fabriquer une descendance, transmettant ainsi leur génome. Il leur faut donc impérativement trouver un utérus à ensemencer, via un vagin. En temps de disette, en temps de guerre, la violence démultiplie leurs pulsions et ils… comment le dire… ils déversent leur semence dans le premier vagin qui se présente. Le viol ? C’est l’expression de la nature masculine on vous dit !
Thaïs d’Escufon, un féminisme de l’âge des cavernes.
C’est donc cette théorie-là qui illumina Thaïs d’Escufon, la réveillant de « son sommeil dogmatique ».
Vous la voyez la correspondance avec sa vision des relations entre les hommes et les femmes ? Les hommes d’aujourd’hui sont émasculés et opprimés par les « harpies » féministes. La société tout entière est, comme on le sait, ralliée à la cause féministe contre ces hommes. Leur réaction est de chouiner comme des victimes et de faire sécession d’avec les femmes. Et c’est bien triste parce que ce n’est pas ainsi qu’on va faire de beaux bébés blonds propres à revitaliser la civilisation européenne et régénérer la société. Non, les hommes doivent « redécouvrir la virilité héroïque » et « le patriarche qui sommeille en [eux]« , « réhabiliter la masculinité classique« . Les femmes doivent, quant à elles, « redécouvrir une forme de féminité« . Tout cela afin de « reforger chez les européens une âme de reconquérants« , « réveiller [leur] identité« , « relever et redécouvrir notre civilisation« .
Bref, il faut absolument « réapprendre à l’homme européen, ce prince déchu, à reprendre ce qui lui revient de droit ».
On est frappé du nombre de préfixes en « re– » dans le discours de Thaïs d’Escufon, qui manie à merveille l’effet d’allitération. A moins que la poésie ne guide moins son discours que l’obsession du retour vers un passé mythifié (et mystifié, comme on le verra un peu plus loin). A moins que l’art littéraire n’oriente moins sa prose que la peur du « grand remplacement » (mais oui, ce concept créé par Renaud Camus. Nous avions décortiqué ce discours ici.). Un peu étonnant pour une « ni conservatrice ni traditionaliste« . On pourrait même dire très contradictoire.
Le grand remplacement en embuscade
Que les interventions de coach en vie amoureuse de Thaïs d’Escufon révèlent donc un traditionalisme des plus vomitif n’est guère étonnant. Et c’est même, avouons-le parfois drôle voire surréaliste, à force d’être déconnecté des évolutions sociétales. Que ses leçons de développement personnels éclairés par la psychologie évolutionniste renvoient à des caricatures essentialistes, ok, on s’y attendait aussi. Mais ce traditionalisme très versaillais s’avère beaucoup moins drôle quand il sert le discours raciste de l’idéologie identitaire. En gros, il faut suivre le programme génétique qui, depuis l’âge des cavernes, nous guide sur la voie de la monogamie et des bébés à foison. Pourquoi ? Et bien pour stopper la vague étrangère, enfin surtout musulmane, qui menace notre civilisation avec l’aide des féministes. Et des « woke », et de l’extrême-gauche, et même de la droite conventionnelle.
Dans une de ses vidéos, Thaïs d’Escufon s’emploie à retracer le parcours qui l’a menée de GI aux préoccupations relationnelles. Elle nous révèle, ravie et le rouge aux joues, qu’elle a décidé de d' »exprimer [sa] propre vision »
Un petit peu avant cette confession, dans un chapitre de sa vidéo intitulé « La prise de conscience », elle nous a expliqué que celle-ci lui était venue avec la lecture de Julien Rochedy, et plus précisément de son dernier ouvrage L’amour et la guerre. Julien Rochedy, confesse-t-elle, a en effet gentiment tenu à le lui envoyer avant sa parution… Et c’est là qu’elle a découvert « l’univers de la psychologie évolutionniste« , à « parler en termes de personnalités et d’archétypes« , enfin « la critique du féminisme« . Autant dire, tout le discours qu’elle sert depuis lors « au jeune français moyen« .
Qui est Julien Rochedy ?
Julien Rochedy se présente comme « un essayiste, éditeur et polémiste ardéchois, français, européen et occidental ». Et en effet, sa profession de foi ne nous laisse aucun doute.
Virilisme, fascisme, grand remplacement
Vite fait : Julien Rochedy fut un protégé de Marine Le Pen et ancien président du FNJ, Front National Jeunesse. Il est proche du GUD, des fascistes les plus radicaux, ainsi que de tous les partis d’extrême droite européens (voir la liste des nominés sur Wikipédia). Il quitte son poste en juin 2015, alors que Florian Philippot gagne en influence.
«Après le congrès (de novembre 2014), le FN a vu entrer dans ses rangs un certain nombre de petits mecs autour de Florian Philippot. Des jeunes gens qui ne sont pas des hommes selon mon cœur, comme on dit […] Il est très difficile de travailler avec des gens que vous mépriseriez dans le privé et même à qui vous aimeriez mettre quelques claques de temps en temps.» (Florian est ouvertement homosexuel. NDLR)
Ambiance… Si l’on en veut encore, l’homme est pour la peine de mort. Il pense que « la décadence vient d’un esprit du temps né de la défaite de 40 et de la génération 68″. Et admire Maurras qui, selon lui, « n’est ni antisémite, ni antijuif ; c’est de l’antijudaïsme, ce n’est pas racial« . Julien est évidemment anti-musulman et évoque, dès 2013, « un grand remplacement de population à cause d’une immigration massive ».
Depuis son départ du FNJ, Julien Rochedy écrit des livres qui fustigent la décadence, le féminisme, enfin des livres sur le monde selon Julien Rochedy.
On notera :
- que Nietzsche ne philosophe plus « à coup de marteau » (sous-titre du Crépuscule des idoles), mais carrément à coup de pistolet.
- que Menace sur les gauchistes est écrit avec l’aimable collaboration de Papacito, crème des futurs preux chevaliers de la reconquête.
Julien Rochedy est également entrepreneur. Il a fondé en 2018 l’École Major, « plateforme de contestation de l’idéologie féministe qui règne encore en maître, mais aussi de think tank sur la masculinité, la virilité, les rapports entre les hommes et les femmes« . Les cours étaient payants (aujourd’hui, le lien de l’école s’ouvre sur la page d’accueil d’un site d’une école en management et de formation en alternance apparemment des plus anodine). Il annonçait à l’époque ouvrir « la plus grande formation en psychologie évolutionniste sur les différences hommes femmes qui existe sur internet . » (Interdiction de rire.)
« Miroir, mon beau miroir »
Sans surprise, la chaine Youtube, le compte Twitter, le site et les interviews de Julien Rochedy tournent autour du déclin de la civilisation et du combat sans répit contre le féminisme. Avec pour alibi scientifique, la psychologie évolutionniste, et pour caution philosophique, ce pauvre Nietzsche qui n’en demandait sûrement pas tant. Julien Rochedy fait feu de tout bois pour justifier sa position fasciste.
Il commet sur sa chaîne d’interminables conférences, parfois plus de 3 h o0. Des conférences devant lui tout seul, sur fond noir (sobre et sérieux). Il apparait également dans de tout aussi interminables interviews de chaines « amies » comme TVL et Sud Radio (nous en parlons ici), ou encore la chaine de son compère Christophe Lannes. Julien Rochedy aime se montrer et se répandre (ce fut un dur et long moment que celui du visionnage, mais c’est pour la bonne cause…). Il aime s’écouter parler et asséner des sentences définitives censées mettre les féministes en PLS. Il entend en effet avec son dernier livre « mettre un point final au féminisme » (propos asséné avec la force et la détermination de ceux qui ne doutent de rien, et surtout pas d’eux).
Une pensée fasciste assumée
Florilège (plus ou moins, et plutôt moins) drôle :
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A propos de la psychologie évolutionniste
« Les parties de notre cerveau qui déterminent le comportement sexuel n’ont aucune plasticité« .
« L’amour est une ruse de la raison pour nous pousser à nous reproduire, comme dirait Hegel » (Mais que diable Hegel vient-il faire dans cette galère ?)
« C’est dans l’intérêt des femmes de développer le patriarcat […] car nécessité fait loi« .
« Le désir de se reproduire était ce qui prévalait » (au temps des cavernes).
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Sur le féminisme
« Les femmes poussent les hommes au suicide. »
« Une femme aimée et respectée n’a aucune chance de devenir féministe » (J’aurais été lui j’aurais plutôt dit « risque » mais c’est son inconscient qui doit parler.)
« … l’enlaidissement recherché par les féministes… »
Le féminicide « est le fonds de commerce des féministes institutionnelles, celles qui veulent gagner de l’argent« . (Là on est parti vomir.)
Julien Rochedy nous gratifie même d’un magnifique lapsus : « le drame des féministes aujourd’hui c’est de ne pas avoir d’épouse. Cette réflexion (de je ne sais plus qui NDLR) est formidable et j’y souscris totalement« .
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Contre la société dégénérée, l’eugénisme
« L’eugénisme, c’est-à-dire le désir d’améliorer le matériel humain, pourrait être totalement appréhendé comme un phénomène moderne en vérité – en cela qu’il souhaitait la perpétuation du progrès sur des bases matérielles comme toute pensée moderne – mais au moins l’eugénisme allait au bout de son matérialisme puisqu’il intégrait les hommes à celui-ci. […] A cause de l’expérience national-socialiste allemand et de la réaction foncièrement et fanatiquement anti-essentialiste de la pensée occidentale après la seconde guerre mondiale, on a dès lors sorti l’homme de la nature, de l’évolution et de ces affaires matérielles. »
« Les individus qui auraient dû être supprimé par la nature ou par le groupe portent en eux des caractéristiques génétiques littéralement mutantes qui seraient corrélées avec des traits psychologiques que nous allons voir. Si jamais ces individus survivent artificiellement et se multiplient, ils transmettront leurs gènes mutants à leur descendance et cette transmission et cette multiplication de gènes mutants affecteront progressivement l’ensemble du groupe. […] En gros, l’homme [grâce à l’exode rurale et aux progrès de la médecine] aurait permis une recrudescence de tous ces traits issus de mutations nocives et pathologiques dans la société et ces traits mutants ainsi que leurs porteurs ne pourraient dès lors que se retourner contre la société, et donc la structure tout entière, qu’on a coutume d’appeler la civilisation, s’ils se trouvent en trop grand nombre.«
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Sur l’homme régénéré
« Redonner aux hommes l’envie d’atteindre un idéal noble d’homme complet, tant physique, esthétique, moral qu’intellectuel » (vous n’êtes pas très beau, vous aimez le rap et vous n’avez qu’un CAP ? Aucune chance d’être sélectionné pour la régénération de la société, espèce de gobelin bouseux. Vous devez être un accident de la sélection naturelle…)
« Si j’aime, dans le jeu, partir chasser et me sentir libre sur une carte immense, me repérant entre les montagnes et les lacs, ce n’est pas à cause de la culture patriarcale, mais parce que les hommes sont généralement plus doués que les femmes en visualisation spatiale et qu’ils voient généralement plus loin, résultat direct de millénaires de chasse dans de grands territoires naturels quand la femme, occupée très souvent par la maternité, était tendanciellement davantage confinée au foyer. »
« … aider les gens à vivre avec leurs belles et puissantes valeurs classiques dans un monde qui veut les combattre avec acharnement. »
« Le masculin a besoin de virilité qui lui donnerait le courage de vouloir révolutionner cette société post-moderne« .
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Sur « le grand remplacement »
(On précisera que depuis quelques années, Julien Rochedy n’a cessé de faire des circonvolutions pour nier adhérer à cette théorie. Néanmoins, il n’a de cesse également de la paraphraser et de la nommer sous forme de périphrases).
« la libanisation de la France « … « l’espagnolisation des Etats-Unis« … en France, « les quartiers et les villes grand remplacées« .
« Regardons les choses en face : ce que l’on appelle le “grand remplacement”, c’est tout bonnement l’africanisation de l’Europe. »
« On s’est tellement moqué des rédactions de gauche 100% blanche qu’elles vont toutes s’empresser d’embaucher de la diversité à la rentrée. Célestin et Églantine les journalistes vont enfin pouvoir expérimenter le grand remplacement que, jusqu’alors, ils n’imposaient qu’aux autres.«
En bref, Julien Rochedy se refuse à le dire explicitement mais c’est un nostalgique d’une vision très « IIIème Reich ». Il ne le dit pas, probablement parce qu’il ne veut pas devenir un épouvantail, notamment pour la jeunesse un peu paumée qu’il veut rallier. Mais il appelle bien de ses vœux une Europe blanche et pure, une Europe épurée.
De Julien Rochedy à Thaïs d’Escufon, des arguments fallacieux
Il est donc clair que la « vision propre » de Thaïs d’Escufon n’est autre que celle de Julien Rochedy, adaptée et vulgarisée à la sauce « jeune ». C’est pourquoi nous avons tiré le fil qui remonte de l’une à l’autre. Ils ont également pour point commun de tordre les sources (sondages, « sciences », faits sociaux) pour les faire correspondre à leur pensée. Et à ce niveau-là, c’est bien plus grave qu’un simple biais cognitif…
Le retournement de l’accusation
Thaïs d’Escufon comme Julien Rochedy manient à l’envie ce procédé. Il s’agit d’imputer à l’adversaire ce que l’on pense ou veut faire soi-même. Ainsi ce ne sont pas les hommes qui oppriment les femmes mais les femmes qui oppriment les hommes. Ce ne sont pas les hommes qui envahissent les champs culturels et politiques mais les femmes. Ce ne sont pas les femmes qui ressortent précaires d’un divorce, mais les hommes. La masculinité toxique n’existe pas mais la « féminité toxique » oui. Ce ne sont pas les « français de souche » qui veulent faire disparaître les migrants mais les migrants qui veulent faire disparaître les français et leur culture. Ce n’est pas la droite identitaire qui est une idéologie du « ressentiment » et de la haine, mais « les gauchistes » et les féministes. Etc. Ce retournement de l’accusation est tout à fait intéressant car il reprend exactement les termes féministes. Leur propos est ultra réac mais la formulation est moderne car ce sont des termes qui traversent le discours ambiant.
Les sophismes.
Chez Thaïs d’Escufon, qui est la moins cortiquée, on trouve de purs sophismes.
Les hommes sont plus intelligents que les femmes.
Elle affirme que les hommes sont intellectuellement supérieurs aux femmes. Et de citer à l’appui le nombre de Prix Nobel, d’artistes et d’intellectuels masculins dans l’Histoire. Et il certes est incontestable qu’il y a plus d’hommes que des femmes connues à travers l’Histoire. Sauf que… Est-ce parce que l’homme est plus intelligent ? Oui, répond Thaïs d’Escufon, car il est prouvé que les hommes ont un QI supérieur à celui des femmes. Sauf que les biais du calcul du QI sont connus et qu’aucune étude comparative n’est fondée. Il suffit de googler « QI hommes femmes » …
Ça ne fait guère avancer le schmilblick… La présence en nombre des hommes connus dans l’Histoire ne serait-elle pas plutôt à expliquer par les structures sociales ? Les femmes n’ont pas eu jusqu’à il y a peu accès aux moyens de développer leurs compétences. Et n’ont ainsi pas pu accéder à la notoriété.
On imagine très bien jusqu’à qui et quelles communautés peut s’étendre ce raisonnement. D’ailleurs…
Les métiers du social
Thaïs d’Escufon affirme également que les métiers du social et de la psychologie sont majoritairement étudiés et exercés par les femmes (preuve selon elle que tout le système d’éducation est fait pour elles). Certes. Mais est-ce parce que les femmes sont favorisées ? Ou bien ne serait-ce pas plutôt parce que ces filières n’intéressent pas les hommes ? Ces métiers ne sont en effet ni bien payés ni socialement valorisés.
Une vision sophistique du monde.
Ces deux exemples sont à l’avenant d’une vision du monde complètement biaisée qui prend les effets pour la cause, ou la réalité comme essence. La réalité est la vérité. La réalité se suffit à elle-même, elle n’a pas de cause sociale, elle est anhistorique. Nulle évolution culturelle, nul système social n’en est la cause. Et quand il y a une cause, elle est également essentialiste puisque héréditaire et immuable comme un programme biologique.
A ce titre, le nombre de préfixes en « re » en dit beaucoup sur la vision du monde de Thaïs d’Escufon. Encore une fois l’évolution culturelle et la prévalence de certains schémas sociaux sont niés. Il y a juste un grand saut du paléolithique à maintenant et tout ce qu’il y a entre n’est que décadence (accélérée par les années post-68 et… le féminisme). Il faut donc remonter, revenir aux schèmes de comportements que la « science » évolutionniste des comportements attribue à nos ancêtres. Car ce serait les « bons comportements », inscrits dans notre hérédité et auxquels ont ne peut déroger sans perdre, finalement, ce qui fait de nous des humains.
La psychologie évolutionniste, une science ?
Les arguments avancés par Thaïs d’Escufon, à la remorque de Julien Rochedy, reposent tous sur la « psychologie évolutionniste ». Pour eux c’est une science incontestable. C’est même LA science du comportement, et c’est une science dite « dure », pas une « science humaine ».
À ceci près que la démarche et les prémisses de cette approche sont largement contestées au point que, aujourd’hui encore, l’évopsy n’est pas reconnue en France en tant que science. Il lui est notamment reproché de servir une idéologie très conservatrice qui aurait cherché des fondements « scientifiques » pour caution. Mais qu’à cela ne tienne, ses défenseurs diront que c’est parce que l’évopsy est trop avancée ou trop iconoclaste, ou encore pas assez politiquement correcte. Nous renvoyons nos lecteurs et lectrices scientifiquement aguerri.e.s à cette critique très argumentée du site Zet-Éthique Meta-critique.
La psychologie évolutionniste repose sur une idéologie.
L’argument de l’appel à l’ignorance.
Si on leur oppose simplement que leur théorie est fausse, les tenants de la psychologie évolutionniste, en bons sophistes, en appelleront à l’argument de « l’appel à l’ignorance » : si personne ne peut amener la preuve que la psychologie évolutionniste est fausse, alors c’est qu’elle est vraie. Or, c’est oublier que c’est à celui qui affirme la validité d’une théorie qu’incombe « la charge de la preuve » : « ma théorie est vraie parce que je produis des faits et expériences qui la prouvent scientifiquement ». Que l’on ne puisse pas démentir scientifiquement la psychologie évolutionniste, ne signifie absolument pas que cette théorie est vraie.
Une légitimité scientifique contestée
Nous pressentions bien, et nos diverses lectures l’ont confirmé, que la psychologie évolutionniste était une science un peu… » douteuse ». Mais n’étant pas scientifiques, il nous était difficile de l’expliquer nous-même de manière claire, juste et autorisée.
Nous laisserons donc la parole à « Zet-Éthique Meta-critique ». Voici un extrait de leur critique de la psychologie évolutionniste. (Texte intégrale ici.)
Il existe un consensus assez remarquable tant chez les biologistes que chez les philosophes de la biologie, ainsi que chez les chercheur·ses en sciences cognitives de même que chez certain·es anthropologues évolutionnaires, pour affirmer que la psychologie évolutionniste, avec son corpus théorique et sa méthodologie actuelle, est une démarche vouée à l’échec. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’articuler une composante évolutionnaire à l’étude de certaines caractéristiques sociales et psychologiques humaines — d’autres chercheur·ses ont déjà proposé des alternatives — mais que la voie explorée par la psychologie évolutionniste est, d’après ces mêmes philosophes et biologistes, sans issue scientifiquement valide. De même cela ne veut pas dire que la sélection naturelle n’a pas contribué à façonner le cerveau humain, mais que les explications proposées par la psychologie évolutionnistes ne sont pas convaincantes ni rigoureuses, scientifiquement parlant. Mais si tant de critiques pleuvent sur la psychologie évolutionniste tant par les scientifiques que par les philosophes des sciences, comment expliquer que les psychologues évolutionnistes s’obstinent à revendiquer la scientificité de leur discipline ? Il est possible que ce comportement relève d’une stratégie de distinction scientifique — pas nécessairement consciente — de la part des psychologues évolutionnistes. Se revendiquer de la biologie mais ne pas en respecter les standards méthodologiques et théorique démontre en effet un positionnement opportuniste dans le champ scientifique, afin de s’arroger les bénéfices symboliques induits par la légitimité des sciences de la nature sans pour autant se plier à la rigueur et à la déontologie qu’elles requièrent. En se présentant comme obéissant à des critères socialement perçus comme étant garants de scientificité, et en prétendant grâce à cela révéler les fondements de la “nature humaine”, la psychologie évolutionniste démontre une volonté de se distinguer d’autres disciplines étudiant le comportement humain installées depuis bien plus longtemps et dont la valeur scientifique est déjà bien admise (psychologie sociale, anthropologie, sociologie, etc.). Cette légitimité revendiquée permet à la psychologie évolutionniste de se présenter comme l’unique discipline capable d’expliquer adéquatement les comportements humains, et de mettre ainsi à distance les sciences sociales, accusées de succomber aux sirènes d’un supposé culturalisme politiquement correct. Cette campagne de calomnie de la part des psychologues évolutionnistes se double d’un rejet et d’une relégation, illustrés par le fait que la littérature des disciplines de sciences sociales n’est quasiment jamais prise en compte dans la recherche en psychologie évolutionniste, alors pourtant que cette dernière étudie des objets qui ont été déjà étudiés par les premières depuis des années. Et quand la littérature des sciences sociales est prise en compte par la psychologie évolutionniste, elle est essentiellement citée de manière anecdotique ou pire, elle est déformée pour lui faire dire des choses qu’elle n’a jamais soutenue. Nous relevons donc encore une fois la volonté des psychologue évolutionnistes de ne pas se confronter au corpus de résultats déjà existants, ici en sciences sociales. Calomnier les sciences sociales a un but scientifique très précis : celui de laisser le champ libre à la psychologie évolutionniste pour dire son mot à propos de tous les sujets habituellement traités par les sciences sociales. Or les modalités d’explication de la psychologie évolutionniste n’ont rien à voir avec celles de la sociologie, ou de l’anthropologie : ce sont des mondes complètement différents. Donc le fait que la psychologie évolutionniste cherche à tout prix à braconner sur les terres des sciences sociales sans pour autant leur accorder le respect scientifique qui leur revient est manifestement une forme d’impérialisme disciplinaire : la “vraie science du comportement humain” venant faire la leçon aux sciences sociales prétendument idéologiques. Cette vision hégémonique que promeuvent les psychologues évolutionnistes se manifeste non seulement dans leur pratique scientifique (articles, cours, etc.) mais elle déborde aussi dans la société, puisqu’elle est largement récupérée dans certains discours conservateurs visant à naturaliser le social. Le but du présent article était précisément de resituer la psychologie évolutionniste au sein du champ scientifique, afin de donner des outils d’auto-défense intellectuelle aux personne confrontées à ce genre de discours et susceptibles de vouloir s’en prémunir. Nous ne pouvions finalement pas nous quitter sans donner une dernière fois la parole à John Tooby et Leda Cosmides, dans un article intitulé “Le deuxième principe de la Thermodynamique est le premier principe de la Psychologie”. Il faut bien admettre que dans l’extrait suivant, il est difficile de différencier les psychologues évolutionnistes des créationnistes, si ce n’est que les premiers invoquent la sélection naturelle là où les seconds invoquent Dieu.
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Les autres arguments scientifiques
Le problème est que Thaïs d’Escufon et Julien Rochedy, comme beaucoup d’autres identitaires, utilisent nombres d’études scientifiques, souvent présentées sous forme de graphiques, la plupart du temps anglophones. Ils en placent souvent beaucoup dans une même vidéo. Et ils en produisent tant qu’il faudrait à chaque fois vérifier qui a fait ces études, dans quel cadre, quels en étaient les objectifs, par qui elles étaient commandées et payées, etc. Pas plus que l’on ne sait si les revues qui ont publié ces études les ont sélectionnées après une « évaluation par les pairs » (peer review) ou si les auteurs ont payé pour y être publiés (ce sont les revues dites « prédatrices »). D’ailleurs, ces graphiques et références, souvent, ne sont même pas sourcés. Quand ils le sont, par exemple pour l’article de Breizh.info cité plus haut, une recherche rapide suffit. L’auteur cite plusieurs fois les études du professeur Lynn. Or, ce professeur a été destitué de sa chaire pour propos racistes, notamment sur le lien entre « race » et QI. Nous avions déjà longuement debunké ici les mythes relayés par Breizh info au sujet du QI.
On sait également que l’on peut faire dire beaucoup de choses à une étude chiffrée et décontextualisée. Mais le but est atteint : l’accumulation donne une assise objective et scientifique à des arguments in fine idéologiques.
Peut-on débunker les arguments identitaires ?
Les arguments scientifiques
C’est faisable pour les arguments dit « scientifiques », ainsi que nous venons de le faire avec la psychologie évolutionniste et le QI. Mais il faut du temps et quelques recherches.
Les positions idéologiques
Pour ce qui est des arguments purement idéologiques, il ne s’agit pas simplement de dire « c’est faux et quasi délirant ». Parce qu’à nos arguments ils opposent les leurs. On l’a bien vu avec nos deux compères, il s’agit non pas d’un argument isolé mais de la vision toute entière la société, des mœurs, et de leur évolution. Soit.
Les arguments racistes ?
La différence est néanmoins de taille : la vision du monde des identitaires comme Thaïs d’Escufon et Julien Rochedy est raciste, et le féminisme ou les arguments a minima progressistes sur l’immigration et les populations étrangères ne le sont pas. Or, la loi française considère le racisme, qu’ils soient en acte ou en mot, comme un délit.
Thaïs d’Escufon a bien été condamnée à une amende et de la prison avec sursis après une opération anti-migrants au Col du Portillon (frontière entre l’Espagne et la France). Mais elle l’a été pour « injure publique » seulement.
C’est que le délit de « propos racistes », passible d’une amende et de prison avec sursis, répond à des critères bien précis. Ce que dit la loi :
L’injure raciste
La loi définit l’injure raciste comme « toute expression outrageante, terme de mépris ou invective adressé à une personne ou à un groupe à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée » (exemple : « retourne chez toi, sale *** »).
Lorsqu’elle est publique, son auteur-e encourt jusqu’à 1 an de prison et 45.000 € d’amende (articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881).
Lorsqu’elle n’est pas publique, elle est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe, soit 1 500 € au plus (article R.625-8-1 du Code pénal), et de peines complémentaires (article R.625-8-2 du Code pénal).
La diffamation raciste
Si les propos tenus imputent des faits précis qui portent atteinte à l’honneur d’une personne ou d’un groupe en raison notamment de son origine, de sa religion ou de son apparence physique (exemple : «les ressortissants de tel pays détournent à leur profit les aides publiques »), il s’agit de diffamation raciste.
Lorsqu’elle est publique, son auteur-e encourt jusqu’à un an de prison et/ou 45 000 € d’amende (articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881).
Lorsqu’elle n’est pas publique, elle est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe, soit 1 500 € au plus (article R.625-8 du Code pénal), et de peines complémentaires (article R.625-8-2 du Code pénal).
La provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste
Si ces propos encouragent la discrimination, la haine ou la violence raciste (exemple : « il faudrait tous les tuer, ces *** »), il s’agit d’une incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste.
Lorsqu’elle est publique, son auteur-e encourt jusqu’à un an de prison et/ou 45 000 € d’amende, ainsi que des peines complémentaires (article 24 alinéas 6 et 8 de la loi du 29 juillet 1881).
Lorsqu’elle n’est pas publique, elle est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe, soit 1 500 € au plus (article R.625-7 du Code pénal), et de peines complémentaires (article R.625-8-2 du Code pénal).
Un lissage du discours
Alors, les propos de Thaïs d’Escufon et Julien Rochedy répondent-ils à ces critères ? Nous ne sommes pas juristes. Mais nous avons écouté avec attention des heures de vidéo et conférences sans, nous semble-t-il, reconnaître de « propos racistes » au sens de la loi. Jamais l’un ou l’autre ne dit explicitement « sales ***, ils sont bêtes, ils sont sauvages, il faut les stériliser…« , jamais ils ne s’avancent sur des injures ad hominem ou ad « mulierem » (pour les féministes). Mais encore une fois nous n’avons pas de compétence en droit et un.e avocat.e aurait une lecture bien plus pointue et autorisée.
Nous noterons seulement que tous deux semblent avoir lissé leur discours de manière à ce qu’il ne contienne aucun propos juridiquement « raciste ». La caution scientifique permet également de « désidéologiser » le propos. Les phrases sont choisies, les tournures et les mots aussi. Par exemple, aucun des deux ne se dit « raciste » ou « xénophobe » ; ils sont seulement « contre le métissage et l’immigration ». Évidemment le fond du propos ne fait aucun doute, et c’est bien « ils sont bêtes, ils sont sauvages, il faut les stériliser… » et pire encore.
On n’est plus sur les sorties de Le Pen père… Mais on n’est pas non plus sur la stratégie de dédiabolisation de Le Pen fille. A ce stade, et pour mieux comprendre, un rappel de la filiation stratégique de Thaïs d’Escufon et Rochedy s’impose.
De quoi Thaïs d’Escufon et Rochedy sont-ils le nom ?
Zemmour, et surtout Reconquête…
Aucun des deux ne cache son soutien à Eric Zemmour lors de la campagne présidentielle de 2022. Nous évoquions déjà ici la stratégie et la filiation de Reconquête (Reconquête comme la Reconquista espagnole sur les arabes, ce n’est pas un hasard). Les 7% de suffrages au premier tour de la présidentielle de 2022 ayant montré le potentiel des idées, le parti continue de creuser le sillon mais change de stratégie. Zemmour s’efface, de nouveaux cadres et intellectuels sont recrutés, aux ambitions plus larges que des suffrages électoraux. Julien Rochedy commet une longue vidéo (encore !) afin d’expliquer à quel point Reconquête est une bonne affaire à faire fructifier (ok c’est très résumé, mais la substance c’est ça).
Notons au passage que ledit Zemmour est un familier de la falsification historique, notamment sur la France de Vichy. C’est ce que montre Laurent Joly dans son ouvrage La falsification de l’Histoire. Cela n’arrête évidemment pas Thaïs et Julien, familiers du procédé.
Jean-Marie Le Pen
Julien Rochedy n’a jamais fait mystère de son admiration pour le fondateur du Front National. Il y a d’ailleurs adhéré quand Le Pen père en était encore Président. Il se rallie dès 2014 à la théorie du Grand remplacement à laquelle adhère Jean-Marie Le Pen. Julien Rochedy prend ses distances avec le Rassemblement National après l’arrivée de Marine Le Pen. Puis le quitte, nous l’avons vu, alors que s’étend l’influence de Florian Phillipot. Il reproche également au programme économique de Marine Le Pen de servir la soupe à la gauche. On ne s’étonnera pas qu’il soit resté proche de Marion Maréchal Le Pen, qui n’a pas les pudeurs de gazelle de sa tante quant au franc-parler identitaire. Et qui soutient également Zemmour.
Si on remonte encore
Julien Rochedy collabore régulièrement à l’Institut Iliade. L’Institut propose des formations continues, des cycles d’études ou encore des cessions de formations jeunesse. Il organise des colloques et revendique un pôle de recherche. C’est une pépinière intellectuelle. Le site présente bien, c’est classieux, il y a un côté Université de La Sorbonne. Bon, allez, on la fait courte : on tombe très vite, entres autres intellectuels distingués, sur Renaud Camus qui nous (enfin non pas à « nous », c’est une façon de parler) explique :
« Pour ma part, je ne parle plus guère d’antiracisme, quoi que la chose m’ait beaucoup occupée. J’aime mieux dire remplacisme, qui me semble un concept plus riche, plus critique aussi, plus polémique, et surtout plus aisément déclinable : remplaciste ; remplacé ; remplaçant. »
Voilà, on vous a fait visiter l’Institut Iliade ; sous un glacis distingué, tout est du même acabit. C’est donc aussi l’une des tribunes d’élection de Julien Rochedy quand il sort son carrosse de grand intellectuel. (Sinon c’est la citrouille du facecam Youtube qui, ne nous y méprenons pas, est peut-être diablement plus efficace – mais nous y reviendrons).
L’Institut Iliade n’est pas sorti de nulle part ; il est lui-même le rejeton d’un autre groupe bien connu, à savoir le GRECE.
Qu’est-ce que le GRECE ?
Le GRECE a été fondé en 1969 entre autres par Alain de Benoist, ancien de l’OAS (Organisation Armée Secrète). Le GRECE, think tank avant l’heure, réunit des militants de la cause nationale-européenne. On y retrouve Dominique Venner, également ancien de l’OAS. Ce dernier anime le mouvement et la revue Europe-Action, aussi d’ultra-droite. Le GRECE participe à ce que l’on appellera à la fin des années 70 « La Nouvelle Droite ». C’est ce même Dominique Venner qui, en 2012, un an avant son suicide, appellera de ses vœux la création de l’Institut Iliade.
L’idéologie
Le GRECE met en avant la civilisation « indo-européenne » afin de montrer sa supériorité.
Ce postulat est diffusé à travers des articles sur la civilisation, la religion, le paganisme, l’anthropologie, la philosophie ou encore la biologie. Sa pensée est complexe, et mêle écologie (« l’écologie profonde« ), anti-christianisme, néo-paganisme. Le GRECE professe une pensée radicalement anti-capitaliste, anti-libérale, anti-mondialiste, pro-européenne. Après la décolonisation, il appelle une alliance avec le tiers-mondisme et combat l’égalitarisme avec, notamment, une relecture droitière de Gramsci. Ce flou lui permet d’entretenir la confusion et de passer pour tantôt de droite tantôt de gauche. Le GRECE lui-même refuse le clivage « gauche-droite » (le futur « Ni de droite ni de gauche » ?).
Si le GRECE brouille les repères politique, son totem idéologique n’en est pas moins la dégénérescence de la civilisation Européenne, la disparation programmée de son « identité » culturelle et même de son peuple (qui aurait gardé une pureté génétique).
« L’explosion démographique du Tiers monde qui est l’œuvre des blancs… mène à la subversion du monde blanc par les Afro-asiatiques et au métissage généralisé. Or nous n’avons cessé de le dire et de l’écrire, le métissage systématique n’est rien d’autre qu’un génocide lent. » Gilles Fournier (pseudo non identifié), 1964.
« Je dois dire que cette solution [l’intégration des algériens en tant que citoyens français], avec ses perspectives hardies d’intégration et le galopant lapinisme de nos frères musulmans, me paraissait conduire plus rapidement qu’on ne le croit à la France algérienne. » Jean Mabire, membre du GRECE, 1965
Ambiance. (On n’a même pas eu envie de mettre une illustration).
La stratégie du GRECE
Le combat se fera sur le terrain culturel
Pour lutter contre cette menace, le GRECE est avant tout conçu comme une « machine de guerre idéologique« . Sous l’impulsion de ses idéologues les plus visionnaires, le Groupement de Recherche relègue l’activisme, abandonne le coup de poing et désinvestit également le champ proprement politique (élections et parlementarisme). Le combat se fera sur le terrain culturel, dominé jusque-là, selon le GRECE, par la « pensée dominante ».
« Sans théorie précise, pas d’action efficace, on ne peut pas faire l’économie d’une Idée. Et surtout on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Toutes les grandes révolutions de l’histoire n’ont fait que transposer dans les faits une évolution déjà réalisée, de façon sous-jacente, dans les esprits [Nous soulignons]. » Alain de Benoist, Les idées à l’endroit.
Un « gramscisme de droite »
Alain de Benoist reprend ici à son compte le concept d' »hégémonie culturelle » élaboré par Gramsci. Gramsci est journaliste et dirige le Parti Communiste de 1924 à 1926. En 1926, il emprisonné par le régime fasciste de Mussolini jusqu’à sa mort, en 1937. Pendant ces 10 années Gramsci forge les conditions d’une révolution réussie, là où la révolution prévue par Marx ne s’est jamais réalisée. Pour Gramsci, la révolution ne se fait pas sous l’impulsion d’un parti et de quelques cadres. La culture bourgeoise imprègne en effet de manière hégémonique l’ensemble des sphères de la société : les super structures du capitalisme, « non seulement justifient et maintiennent sa domination mais parviennent à gagner le consentement actif de ceux qu’il dirige« . De ce fait, les classes ouvrières et populaires ne sont pas prêtes à adhérer aux idées d’émancipation du socialisme. Car l’adhésion ne marche par une décision ou un décret, elle se gagne pour autant que les idées émancipatrices aient été diffusées au sein de la société et l’aient imprégnée. Alors, les individus exploités et dominés auront les moyens intellectuels, critiques et culturels de contester l’ordre social. Et c’est seulement alors, aussi, que ces classes subalternes seront en capacité de rompre avec les innombrables liens que l’État capitaliste a noués avec elles afin de les maintenir dans un état de domination. C’est ce que Gramsci appelle la « guerre de position » .
Dans cette guerre, la figure de l' »intellectuel organique » est primordiale. Les « intellectuels organiques » sont engagés dans la vie concrète, ils évoluent dans la société et ne sont pas les produits de la culture dominante. En cela, ils ont la capacité et la légitimité pour diffuser leur parole dans les médias, dans la culture, dans les syndicats et, de manière essentielle, dans l’institution scolaire. Ce sera le journaliste, l’instituteur, le syndicaliste… Ces intellectuels ne sont pas hors, ni au dessus de la société, perchés sur leur trône académique, ils vivent au sein de la société émergente, comme un organe dans un corps. Ils l’accompagnent vers une prise de conscience de classe. Car, explique Gramsci, « tous les hommes sont philosophes » et peuvent être éduqués à exercer leur jugement et leur esprit critique. Esprit critique et autonomie culturelle qui ont manqué pour qu’adviennent les révolutions marxistes. Ce n’est qu’une fois l »occupation culturelle de la société civile » réussie que que la « guerre de mouvement« , à savoir la conquête du pouvoir peut commencer et réussir.
Gramsci, on l’aura compris, élabore cette stratégie dans l’optique d’une révolution socialiste. Alain de Benoist, et à sa suite, la Nouvelle Droite, s’en saisissent pour faire valoir la primauté de la civilisation européenne et réussir une révolution identitaire. Alain de Benoist se revendique d’un « Gramscisme de droite« , au prix d’une torsion radicale de la vision politique de Gramsci.
« Je sais bien qu’à gauche on dit que c’est de la récupération. Non, ça renvoie à quelque chose de plus existentiel. J’ai toujours été passionné par la pensée de gauche. Quand j’avais dix-huit ans, je lisais Rosa Luxemburg, je prenais le train pour Amsterdam pour aller acheter les livres d’Anton Pannekoek. […] Quand on a lancé ce qui devait s’appeler la Nouvelle Droite, j’avais à convaincre mes amis que les idées étaient plus importantes que l’action politique. Donc j’ai utilisé stratégiquement Gramsci, en disant : “Vous voyez, Gramsci avait compris que le travail intellectuel a de l’importance. Alors, ça a marché ou non ?” » Alain de Benoist, « Pour un “gramscisme de droite” ».
Former des élites
C’est dans ce cadre que le GRECE entreprend de former une une élite intellectuelle et scientifique. Les membres du GRECE oublient leur passé de tortionnaire ou de cogneurs de blousons noirs. Les idées identitaires passeront par des jeunes gens policés, éduqués et dotés d’une solide culture politique. Ils lisent Brasillach, Carrel, Barrés, Maurras, Rebatet, Proudhon, Sorel et Drumont. Tous feront des études car on ne sera jamais écouté, ni éventuellement entendu, en dehors d’une carrière professionnelle réussie et d’un certain statut social. La réussite sociale des militants permet aussi de sortir les idées identitaires de la marge et de montrer leur compatibilité avec la société.
Ni groupuscule ni parti politique
De fait, un certain nombre de « grécistes » rejoindront les sphères de la culture, du pouvoir, des médias et de la science. Beaucoup animeront des revues, acquérant ainsi un savoir-faire médiatique. Ce savoir-faire sert encore aujourd’hui, et peut-être plus que jamais, la diffusion de leurs idées dans l’opinion.
« Le GRECE ne sera jamais une association de masse ; nous ne sommes ni un syndicat, ni un parti politique. Mais nous voulons attirer ces quelques milliers de personnes qui font marcher un pays. A l’heure actuelle, la France tient sur des penseurs, des cadres, des scientifiques, des publicistes, des administrateurs qui contrôlent, influencent, encadrent des millions d’individus ». (GRECE, 1969)
Aussi faut-il encourager la « publication progressive de la conclusion des travaux de ceux des nôtres qui mènent le délicat combat de l’intérieur dans les laboratoires de biologie, les archives de la Bibliothèque nationale (…), dans les salles de rédaction des journaux conformistes (…), et qui, pour ne pas éveiller l’attention avant le renforcement de notre machine de guerre, portent superficiellement les étiquettes apaisantes que tolère le système » . (Jean-Marcel Zagamé, les Cahiers universitaires, 1966)
Daniel Friberg, jeune fondateur des éditions Arkos (en 2009), reprend ce flambeau et entend, par son travail éditorial multilingue, “mondialiser l’anti-globalisme”. Il ne dit pas autre chose lors d’un entretien avec Breizh-Info :
« J’ai découvert la Nouvelle Droite Française quand j’étais jeune et j’ai tout de suite réalisé à quel point son travail était innovant, significatif et d’une grande portée. Une grande partie de la droite dissidente de l’époque était passionnée et dévouée, mais elle manquait souvent de cohérence et de substance intellectuelle réelle, ce qui en limitait la portée et en faisait une cible facile pour les critiques du courant dominant. De Benoist et Faye, parmi d’autres penseurs de la Nouvelle Droite, ont évidemment apporté une substance intellectuelle. Bien sûr, ils n’étaient pas seuls dans cette situation ; il y avait des intellectuels semblables à eux dans tous les pays occidentaux. Ce qu’eux et les autres penseurs du GRECE avaient réussi à faire, ce qui à l’époque leur était à peu près unique, c’était d’établir une communauté intellectuelle de droite de taille et d’influence, une sorte d’école qui, malgré ses propres divergences internes, pourrait servir de point central pour le développement et la recherche future.
Les idées de l’ultra-droite doivent être « déghettoïsées », elles doivent se faire mainstream.
L’entrisme
Pour le GRECE, il ne s’agit donc ni de convaincre des électeurs, ni de penser entre soi. C’est une véritable entreprise, à long terme, de diffusion des idées de l’ultra-droite dans toutes les strates éduquées de la société. A ce titre, la nébuleuse est hyperactive :
Louis Pauwels, directeur du Figaro en 1977 est entouré d’une rédaction qui vient du GRECE. Guillaume Faye, sous le nom de Skyman, tient un temps une chronique sur la radio Skyrock. Il travaillera aussi, en tant que journaliste, pour VSD, Paris Match et Figaro Magazine. Roger Vétillard est aujourd’hui un oncologue reconnu, et Coordinateur de l’Enseignement Post-Universitaire et de la formation médicale continue en oncologie thoracique à Toulouse de 1992 à 2005. Jean-Jacques Mourreau a collaboré entre autres au Figaro Histoire et à la revue Historia. François d’Orcival est administrateur de la Revue des Deux Mondes et directeur de Valeurs actuelles. Jean-Yves Le Gallou et Gérard Longuet étaient énarques. Pierre Bercot était PDG de Citroën. Julien Freund (pourtant ancien déporté et résistant), fut un sociologue et enseignant universitaire de renom. Il fut le maître du sociologue Michel Maffesoli (dont le discours extrême-droitier fit naguère polémique). Patrick Mahé, qui fut membre d’Occident, vient d’être nommé à la tête de Paris-Match par un certain Vincent Bolloré avec lequel il est très ami.
Du côté des politiques
Pierre Sidos, le fondateur du groupuscule de jeunes « Occident », crée le Parti Nationaliste avec Dominique Venner. Occident comptera dans ses rangs Gérard Longuet, Alain Madelin et Patrice Devedjian. Le groupe est très violent, et adepte des actions commandos. Ce n’est pas la stratégie du GRECE. Longuet, Devedjian et Madelin sont plus ou moins canalisés, quittent Occident, et deviendront des figures politiques de premier plan dans les années 80. Tous les 3 députés, ministre ou ministre adjoint.
Le « politiquement correct »
Si les idées restent d’ultra-droite, c’est à une véritable entreprise de normalisation que s’emploie le GRECE. C’est la stratégie de l’entrisme et du renouvellement de la formulation.
« Le problème métèque […] ne doit jamais […] être abordé avec comme perspectives le four crématoire ou la savonnette, et cela quelles que soient les mesures que nous aurons à prendre lorsque nous serons au pouvoir. Il serait mauvais également d’indiquer que la révolution que nous voulons faire doit se solder par un nombre de milliers de morts ou de dizaines de milliers de morts. » Alain de Benoist
Comment mieux définir le « politiquement correct » ?
De l’importance du sous-texte.
Mais pour cela, la stratégie de la dédiabolisation n’est ni suffisante, ni pérenne. Ce n’est pas Marine Le Pen, aujourd’hui menacée par sa droite à force d’avoir usé de cette stratégie, qui dira le contraire. Les jeunes identitaires d’Iliade, comme ceux du GRECE avant eux, ont eu à cœur de forger un lexique et une grammaire acceptables, voire sans aspérité, sans céder en rien sur les idées. L’important ce n’est pas forcément le mot mais le sous-texte, le réseau de significations et de liens qu’il entretient avec d’autres termes de la galaxie identitaire. Ça glissera sur certains et certaines, en hameçonnera d’autres, et agira comme un signe de reconnaissance chez d’autres encore.
« Les mots et ce qu’ils recouvrent manifestent le pouvoir de nommer la réalité et donc de la mettre en forme, de l’orienter dans l’esprit des gens. Voilà pourquoi il est important de bien choisir ses mots. » Jean-Patrick Arteault, Pour une boussole métapolitique (cité ici par la revue Contretemps)
Prenons un exemple simple avec l’expression « identité européenne ». Apparaissent des sites qui interrogent « l’identité européenne », dont celui de l’Institut Iliade. Sauf que c’est le seul de ces sites pour lequel l’identité est biologique. (C’est ce précisément ce lien que des influenceuses comme Thaïs D’Escufon ou polémistes comme Julien Rochedy vont amener en recourant à l’évopsy.) Pour être clair : derrière « identité européenne » venant de l’Institut Iliade, il y a la notion de « race ».
La descendance
Julien Rochedy, l’intellectuel distingué
Nul doute que Julien Rochedy, qui étale plusieurs numéros de La Nouvelle Revue d’histoire (dirigée par Dominique Venner) sur la table de son salon et intervient à L’Institut Iliade, est le descendant de cette stratégie. Mêmes idées et, justement, même dynamique. Dans une vidéo sur les résultats de Reconquête au premier tour des présidentielles 2022, il se félicite des 7% obtenus.
« Nous sommes en train de constituer des élites de droites, et encore une fois je suis navré, et quitte à vous choquer et à vous énerver en disant cela mais seules les élites et seuls ces cadres-là sont capables de faire l’histoire et d’influencer le pays dans une bonne direction. Et de constituer demain des bastions dans un pays qui va droit vers la libanisation. […] Nous avons besoin de ces élites, de ces cadres qui vont prendre de l’importance dans la société pour être capable de l’influencer au maximum dans notre sens et pour nos propres intérêts. Et ça, seules les minorités en sont capables et cette minorité s’est constituée avec cette campagne présidentielle ».
On retrouve quasiment mot pour mot les éléments de stratégie du GRECE. En finir avec les opérations coup de poing, les actions commandos, les banderoles dans la montagne, la castagne avec les anti-racistes dans les meetings. Non que Rochedy soit en désaccord sur le fond, mais ce n’est pas sa stratégie. Il n’est ni activiste, ni cogneur. Rochedy, bien propre sur lui, se pique de philosophie, de science et d’histoire médiévale. (Voir sa vidéo surréaliste sur le temps des chevaliers…). Et il entend bien qu’on lui réponde ou le contredise sur ce terrain-là.
Mais de fait, il suit la voie tracée par Alain de Benoist, qui explique en 1979, soit 9 ans avant la naissance de bébé Rochedy :
« Une tradition qui n’est pas sans cesse (ré)actualisée est une tradition morte et qui a mérité de mourir. Il ne s’agit donc pas de restaurer ce qui est d’hier, mais de donner une forme nouvelle à ce qui est de toujours. Il ne s’agit pas de retourner au passé, mais de se rattacher à lui. Imiter ceux qui ont fondé et transmis une tradition, ce n’est pas seulement retransmettre, c’est fonder à son tour ». [Nous soulignons]
Sauf que papa de Benoist la joue beaucoup plus en finesse sur l’emploi du suffixe « re » que ne le feront Julien Rochedy, et surtout, surtout, Thaïs d’Escufon. Le propos se dégrade avec le temps qui passe et le degré de culture des passeurs… Il faut croire qu’on n’a pas toujours la descendance qu’on mérite, ce qui ne veut pas dire qu’elle en est moins efficace.
Et Thaïs dans tout ça ?
La fraîche Thaïs d’Escufon recycle les idées et les arguments de Julien Rochedy (jusqu’aux références à Nieztsche). Son style à elle, c’est « la sauce jeune ». Alors en quoi est-elle une descendante non seulement du GRECE, mais de sa stratégie ? Et bien Thaïs d’Escufon en a également terminé avec l’activisme. Elle cible désormais la propagation et la normalisation des idées dans l’esprit d’un public jeune. Le féminisme, la question de la transidentité sont-ils (ou ont-ils été mis) au premier plan des débats sociétaux ? Alors c’est sur ces questions qu’il faut intervenir auprès de la jeunesse un peu offusquée et perdue. Et surtout à l’adresse des jeunes gens qui, avec les avancées féministes, se sentent menacés dans leur identité masculine (la fameuse « crise de la virilité »). Le format ? La chaine Youtube, Twitter, Instagram…
Les propos de Thaïs d’Escufon sont une vulgarisation des idées de Julien Rochedy et peuvent prêter à rire à force de surréalisme. Mais ne nous y trompons pas, ils sont efficaces pour deux raisons :
- leur canal de transmission est moderne, ce sont les réseaux sociaux.
- leur fonds de commerce c’est la peur et la quête de repères générées par une très rapide évolution sociétale.
Or, l’ultra-droite, depuis le GRECE, se veut moderne et en prise avec son temps. Et c’est ce qui fait l’une de ses forces de frappe.
« Enfin, il convient d’explorer les défis lancés par ce formidable levier de pouvoir qu’est la presse. Ainsi nous évoquerons le développement, ces dernières années, d’internet et des réseaux sociaux et la place toute particulière que tiennent les médias alternatifs, avec leurs avantages et leurs limites. » Institut Iliade, Formation pour les « Jeunes de 18 à 23 ans ». Description du volet « Face au système médiatique, quelles solutions ? »
Conclusion
Thaïs d’Escufon est la partie émergée d’un iceberg. Julien Rochedy navigue à la surface. Aucun des deux ne serait menaçant si elle comme lui n’étaient que de francs-tireurs narcissiques d’idées extrêmes. Mais les grands fonds, c’est le GRECE, et surtout ses méthodes. Thaïs d’Escufon, derrière Julien Rochedy pour ce qui est des arguments, est le nom du GRECE. Elle en est la version 2.0. Thaïs d’Escufon représente (peut-être sans le savoir) la souplesse et la fluidité d’une mouvance qui a pu se réinventer dès la fin des années 60.
Depuis le GRECE, la pensée identitaire colle à la modernité, adapte ses idées. Elle vise des esprits plus que des électeur.trice.s, davantage la culture que la politique, les médias, tous les médias, plus que les débats électoraux. Des élites sont déjà en formation (dans des lieux comme l’Institut Iliade) afin de cortiquer efficacement Reconquête loin des grimaces et outrances polémistes d’un Zemmour. Les idées se sont banalisées et occupent les débats en flot continu grâce un entrisme qui n’a jamais faibli. Aujourd’hui, l’ensemble de la société parle le discours identitaire et se positionne sur ses thèmes de prédilection. Le pari du GRECE est gagné. Et le pire, nous en prenons conscience tandis que nous écrivons cette conclusion, c’est que nous-mêmes avons beaucoup ri, au début, en écoutant Thaïs d’Escufon et Julien Rochedy.
« Aujourd’hui, c’est dans nos villes ou derrière les murs de nos maisons de campagne, dans nos cercles d’amis, à l’ombre des grandes œuvres de la tradition européenne, que se tiennent partout, en secret, les conseils de guerre de la grande reconquête politique et spirituelle. » Pôle Études de l’Institut Iliade, Octobre 2022
PS
Nous étions en train de boucler cet article quand… Emmanuel Macron fait un amalgame entre plusieurs faits divers tragiques dont les causes et auteurs n’ont rien à voir.
Il appelle à « contrer ce processus de décivilisation ». Bingo dans le lexique des idées identitaires, d’autant plus que c’est le titre de l’un des livres de Renaud Camus, Décivilisation. « C’est une réalité que tout le monde partage en France, c’est un vrai sujet » justifie Laure Miller, députée Renaissance. A la question de la journaliste lui demandant s’il n’est pas dangereux de reprendre le vocabulaire d’extrême-droite, elle répond « Non, non, je ne crois pas, le plus dangereux, ce serait de nier ce qui existe aujourd’hui« . Non, le plus dangereux c’est que le mot soit sorti de la sphère scandaleuse du cercle identitaire, qu’il soit prononcé par un président de la République et entendu par des millions de français qui l’auront désormais en tête et se sentiront légitimes à l’utiliser, comme si de rien n’était.