09 janvier 2024 | Temps de lecture : 14 minutes

Revoir Da Vinci Code

Une certaine grammaire du complotisme

Le film Da Vinci Code sort en 2006, c’est l’adaptation d’un roman de Dan Brown. C’est le deuxième tome de la pentalogie « Robert Langdon » du nom de son héros et qui fait la part belle aux théories du complot. Il met en scène un historien incarné par Tom Hanks qui se retrouve pris dans une machination ourdie par des forces occultes.

Peu importe qu’on ait apprécié ou non le film, il eut un grand succès, et justement, c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui. À la lumière du temps, 18 ans après, nous allons regarder ce que Da Vinci Code a posé comme grammaire du complotisme.

Attention, cet article contient des spoilers.

affiche da vinci code

Da Vinci Code, c’est Hollywood

Avant de commencer, il est nécessaire de poser le contexte.

Le contexte

Pour ça, il faut se mettre dans l’état d’esprit de 2005. Nous sommes 4 ans après le 11 septembre, Thierry Meyssan est un pionnier du complotisme grand public en se faisant inviter chez Ardisson le 16 mars 2002. Colin Powell brandit sa preuve bidon à l’ONU en 2003. Alain Soral et Dieudonné sont culs et chemises depuis 2004.

Le complotisme n’est pas encore omniprésent partout. Les illuminatis, les templiers et autres secrets ancestraux sont restreints à des feuilles de chou (comme celle d’Emmanuel Ratier, Faits & Documents) ou internet. Mais attention, en 2006, le web n’est pas encore celui qu’on connait aujourd’hui. Pas de réseaux sociaux (Facebook n’arrive en France qu’en 2008), et encore moins de Youtube, les débits sont trop faibles. Donc pour trouver des infos complotistes, il faut les chercher. Pour vous donner une repère, le forum Reopen911 n’est lancé en France qu’en 2006.

Dans ce contexte, l’atmosphère en France n’est pas encore au complotisme. En revanche, quand sort Da Vinci code au cinéma, il existe déjà quelques olibrius qui font parler d’eux. Les illuminatis sont déjà dans l’imaginaire collectif.

Le film

Nous avons donc ici un film tout public réalisé par Ron Howard. C’est du grand spectacle hollywoodien qui se déroule à Paris et Londres ; les lieux touristiques défilent. Le casting est à la hauteur d’un blockbuster, tout était réuni pour que ça marche… et ça a marché. Le film a été un carton.

Et soyons honnête, ce genre d’histoire est une bonne histoire, il y a une machination, des enjeux, des personnages. Avec un budget conséquent, on a quelque chose qui tient la route. Dan Brown ayant écrit une pentalogie, il y a matière à essorer le filon. Pour les studios, c’est une belle promesse de rentabilité. Le film aura d’ailleurs deux suites et une série (diffusée en 2021).

Est-ce que c’est bien ? À vous de voir ! Néanmoins, le film fait une promesse, il propose littéralement de percer le secret ! Le succès critique est somme toute relatif (25% sur Rotten Tomatoes qui considère que le film peine à retranscrire à l’écran ce qui fait le charme du roman). Les spectateurs sont moins sévères.

Da Vinci Code et le complotisme

Sauf que Da Vinci Code, c’est une fiction. Et il ne faudrait pas prendre l’histoire pour argent comptant. Malgré tout, ça impacte l’imaginaire collectif.

De quoi parle Da Vinci Code

Synopsis

Prenons déjà l’histoire du film pour ceux qui ne l’ont pas vu ou dont le souvenir est un peu lointain.

Alors que Robert Langdon (Tom Hanks) dédicace son livre à Paris, la police vient lui apprendre que son ami Jacques Saunière a été assassiné. Il est rapidement considéré comme un suspect, au même titre que la jeune Sophie Neveu (Audrey Tautou) qu’il rencontre sur les lieux du crime, au Louvre. Cette dernière est la petite fille du conservateur Saunière. Par quelques ressorts scénaristiques bien sentis, les deux protagonistes découvrent une relique cachée dans le musée pendant que la police se met à leurs trousses. Un chauffeur qui les a fait échapper les trahit et révèle qu’il travaille pour l’Opus Dei.

C’est là que Langdon découvre le Prieuré de Sion, pour qui roulait son ami Saunière. Et alors qu’il trouve asile chez un vieil ami, Sir Leigh Teabing (Ian McKellen), il remet les pièces dans l’ordre. Le Prieuré de Sion, ce sont en fait les templiers dont la mission est de protéger le Graal. Et la relique qu’ils ont découvert au Louvre a été fabriqué par De Vinci himself pour garder secret par un code complexe des informations importantes sur le Graal.

Plot twist !

Et le Graal ne pourrait être en fait que le plus grand secret de l’histoire (chrétienne, ethnocentrisme oblige), Jésus était marié à l’une de ses disciples, Marie-Madeleine et aurait même eu un enfant. Malgré la volonté de forces occultes au sein de l’Eglise (ici l’Opus Dei), dont la mission est de protéger l’institution contre l’hérésie consistant à suivre les vrais préceptes de Jésus, transmis à Marie qui aurait pu fuir pour venir accoucher en France, où sa descendance a fondé le royaume de France. Excusez du peu.

Bref, vous le voyez venir, le bidule ne sert pas à grand chose, si ce n’est à montrer que Sir Teabing est un traître au service de l’Opus Dei, mais que le Graal est en fait… la Femme, en l’occurrence Sophie Neveu, petite-petite-petite fille de Jésus lui-même, et que le prieuré de Sion avait en fait comme rôle de la protéger contre l’Église qui refusait le vrai message de monsieur Christ.

Conclusion, le Graal est en fait le féminin sacré.

photo cryptex da vinci code
Le cryptex, un bidule inventé par De Vinci pour cacher le Graal.

C’est quoi l’Opus Dei en fait ?

L’opus Dei est une prélature personnelle. Concrètement, c’est une institution à l’intérieur même de l’Église vaticane, plus ou moins autonome qui a ses propres statuts. Cette organisation intègre des laïcs et des prêtres. Leur rôle est de promouvoir un mode de vie en phase avec l’idéal religieux. Les membres versent l’intégralité de leur salaire à l’Œuvre (de Dieu), et s’engagent à vie dans l’apostolat.

En réalité, c’est surtout une organisation particulière de membres très pieux et conservateurs. Ce qui attise les curiosités, c’est le culte du secret autour de l’Œuvre, et certains rituels qui relèvent de la dérive sectaire.

En revanche, l’organisation a su tisser des liens de pouvoir par l’entremise de ses membres, qui ont souvent des professions de pouvoir. On retrouve également l’Opus Dei liée à des régimes autoritaires, dans l’Espagne de Franco ou au Chili. Des régimes bien plus en phase avec les idées conservatrices, voir carrément intégristes de l’Œuvre. Pas étonnant de voir l’organisation liée à l’extrême droite.

Rappelons au passage que l’Opus Dei n’a été fondé qu’en 1928, soit moins d’un siècle. Mais c’est surtout son culte du secret qui fait marcher l’imaginaire, il y a de quoi écrire des romans.

Les templiers

Le récit de Dan Brown repose sur des sources pseudo-historiques qui évoquent des trésors, des secrets. Mais ça n’est pas tellement grave quand il s’agit d’une fiction assumée. L’auteur joue un peu le trouble sur cette question là, mais encore une fois, il s’agit d’un roman.

Il est intéressant de relever tout de même que cette histoire de templiers est un récit qui repose sur l’idée que les luttes intestines entre la couronne de France et le Vatican. Un récit reposant sur une alliance entre le pape français Clément V et Philippe Le Bel devient alors populaire. Et Da Vinci Code utilise cette théorie comme quoi la dynastie de mérovingiens descendrait tout droit de Marie-Madeleine (et donc de Jésus), alors que les Capétiens, non. Et seuls les templiers détendraient la vérité. Du coup, Philippe IV (4 siècles après l’accession au trône du premier capétien) ordonne l’arrestation et l’exécution des templiers un vendredi 13.

Da Vinci Code pioche donc dans un registre qui relève tantôt de références communément admises (qui font consensus chez les historiens) , tantôt dans des pseudo-sciences (des travaux ésotériques ou qui ont été considéré comme non fiables). Ce qui n’est pas très grave quand il s’agit de fiction, rappelons le (Absolument personne ne s’émeut de ce genre de détails devant Star Wars, par exemple – on a le droit de lâcher un peu la pression devant un film.). Il s’agit ici de la suspension consentie de la crédulité.

Dan Brown a le droit de mentir

«Enfin, même si Dan Brown s’amuse à présenter son livre comme un document historique («Toutes les descriptions de monuments, d’oeuvres d’art, de documents et de rituels sacrés sont avérées», écrit-il en introduction), tout lecteur sait qu’il s’agit là d’un artifice de bonne guerre pour un romancier, artifice exploité depuis la nuit des temps pour asseoir l’authenticité d’un récit», rappelle l’historien. Personne n’accuse Montesquieu d’avoir menti en prétendant que les «Lettres Persanes» avaient réellement été écrites par un étranger de passage à Paris. Et Frédéric Amsler de conclure: on peut toujours s’amuser à relever tout ce qui est faux dans l’ouvrage, mais on ne saurait accuser le romancier d’avoir menti. Après tout, c’est son droit le plus fondamental.»
Source

Malgré tout, on ne sait jamais vraiment ce qui relève de l’histoire ou de la science-fiction dans le récit. Il est donc indispensable de ne jamais le considérer comme une source historique.

C’est quoi une grammaire ?

La grammaire est la « partie de la linguistique qui regroupe la phonologie, la morphologie et la syntaxe ». En d’autres termes, la grammaire du cinéma regroupe les termes techniques, les gestes, les registres de chaque professionnels sur un plateau. Mais ici, ce qui nous intéresse, c’est la grammaire du complotisme, la façon dont on raconte un complot. Ou plutôt, LE complot.

Et pour qu’une grammaire fonctionne, elle doit être déjà en vigueur ou reposer sur une grammaire commune. Le langage ne peut fonctionner avec une seule personne, il implique une interaction et donc des bases communes pour se comprendre. Ainsi, Da Vinci Code s’inscrit dans une longue tradition de films (car c’est le film notre matériau, ici) qui reposent sur une machination.

affiche da vinci code secret
percer le secret, un argument commercial

Mais son succès est également dû au fait que l’époque de la sortie du film est propice à la diffusion de théories du complot. Dans une atmosphère post-9/11, les soupçons de machination sont omniprésents.

La grammaire de Da Vinci Code

Dans le film Da Vinci Code, nous retrouverons donc ces quelques éléments qui rendent cette grammaire scénaristique très particulière. Notez que c’est à peu près les mêmes ingrédients dans les autres films/romans :

  • Robert Langdon est le héros. Il est enseignant chercheur de symbologie (l’étude des symboles, une discipline fictive à Harvard). On retrouve dans chaque histoire un alter-ego féminin, tantôt scientifique ou conservatrice. Des qualités similaires mais surtout complémentaires mais qui relèvent toujours de la raison et du savoir.
  • Le gout du secret et de l’occulte est omniprésent. On retrouve dans chaque histoire un secret qui n’est révélé qu’à des initiés soigneusement choisis. Le Graal, le sens de la vie, la vérité sur les francs-maçons ou le Vatican.
  • Les confréries, dans le camp du bien ou du mal, sont des éléments récurrents. On retrouve donc, dans le désordre, l’Opus Dei, la CIA, Les francs-maçons, les illuminati, etc…
  • Les lieux de pouvoir et  de culture ont des secrets cachés. Le Louvre, le Vatican, des églises et des basiliques… Toutes ont des passages secrets et des trappes cachées par des codes astucieux imaginées par des savants plusieurs siècles en arrière.
  • Les enjeux dépassent ce qu’on peut imaginer. C’est le sort du monde qui se joue constamment au travers de quelques personnes bien particulières, au pouvoir important.

Ce sont ici avant tout des ressorts scénaristiques, peut être des facilités, mais ce n’est pas nécessairement du complotisme. Entre Dan Brown et Ron Howard, ces éléments relèvent d’une grammaire cinématographique. Rien que de très classique, mais notons tout de même que c’est la même structure utilisée pour toute la pentalogie.

L’imaginaire complotiste en phase

Et si cette grammaire fonctionne si bien dans Da Vinci Code, c’est qu’elle est en phase avec un imaginaire complotiste. Et c’est ce que nous affirmons ici, le succès du film marque non pas un changement, ni la fondation, mais une généralisation de cette grammaire.

Le récit entretient un flou sur ce qui est vrai et ce qui est inventé par l’auteur. Quid des faits historiques présentés comme certains dans le film ? Comme l’histoire des templiers ou celle de Leonard De Vinci ?

Les confréries

Et quid des confréries secrètes qui constituent la base des romans de Dan Brown ? Car si on retrouve ici le prieuré de Sion, on croise également les illuminati dans Anges et Démons par exemple. Les théories sur les illuminati étaient déjà très courantes, et ce dès la fin du XIXème, notamment avec l’Abbé Barruel qui cherchaient des bouc-émissaires pour expliquer la Révolution française. C’est une des racines du complotisme anti-système, celui qui est obsédé par les franc-maçons, les illuminati, les rosicuriens… et les juifs.

Le récit est constamment mis à jour, ça n’est ni plus ni moins que celui de l’État profond et du Nouvel Ordre Mondial.

Zeitgeist

Zeitgeist signifie l’air du temps en allemand, et on ne peut pas mieux résumer cet article qu’avec cette expression.

C’est justement le titre d’un documentaire sorti en 2007 réalisé par un activiste américain, Peter Joseph, il servira de mètre étalon au complotisme des années 2010 avec un autre documentaire amateur « l’argent dette » sorti en 2006.

Le film est construit autour de trois thèses : Jésus et son message sont des constructions pour manipuler les foules et imposer un nouvel ordre, la chrétienté, le 11 septembre est un complot (mais pas de Al Qaïda) et les banquiers manipulent les cours (avec toute la charge antisémite qui va avec). Difficile de trouver une cohérence entre ses thèses si ce n’est le complot.

Ici, c’est la thèse autour de Jésus qui nous intéresse. même si elle diffère de celle de Da Vinci Code, elle repose sur les mêmes mécanismes : une grande manipulation et un secret. Le tout est servi avec une sauce néo-païenne qui ne repose sur aucun travaux solides.

Les templiers

Dans Da Vinci Code, les templiers sont du côté du bien et ont été trahit parce qu’ils connaissaient la vérité sur Marie Madeleine et la trahison des capétiens qui ont chassé la descendance de Jésus du royaume de France. On a ici une thèse qui colle avec la liturgie des rois de droit divin. Disons qu’en France, c’est un peu passé de mode.

Pour écrire son histoire, Dan Brown s’est inspiré de l’abbé Saunière (à qui il a donné le nom du conservateur du Louvre) qui a monté une belle arnaque pour retaper son église. Quel fripon ! Mais l’idée que cet argent ait pu être celui du trésor (fantasmé) des templiers a longtemps agité les habitants de Rennes-le-chateau.

Les templiers sont associés aux croisades, et ça c’est un fait historique. Il s’agit d’un ordre chevaleresque qui avait pour raison de protéger les pèlerins se rendant au temple de Salomon à Jérusalem. Si le film fait du prieuré de Sion ceux qui ont repris le flambeau de l’ordre du temple, il leur donne avant tout un rôle de protecteur de la vérité, contre la grande manipulation.

La figure du templier

On va retrouver la figure du templier utilisée à tort et à travers comme gardien de l’occident. On note ici le glissement, de protéger des pèlerins jusqu’à protéger l’occident. Et toute l’imagerie des croisades, puis de la chevalerie va imprégner les représentations de l’extrême droite. Une vision manichéenne et révisionniste, mais passons.

écusson templiers militaires
Un écusson de militaires américains en Afghanistan.

Le journaliste Ricardo Parreira explique d’ailleurs très bien comment on finit par retrouver ce genre de représentation portés par un fonctionnaire de police en service en France.

Cette figure devient ainsi une figure pour des militants d’extrême droite incarnant ce rôle de protecteur contre le grand remplacement.

capture twitter reconquête templier
un militant pris au hasard…

Le féminin sacré

L’autre aspect important du film est la notion de féminin sacré. L’idée est ici que l’institution catholique a ourdi une machination pour étouffer la vérité, par la rédaction des Testaments. Alors que le Graal est le message de Dieu, c’est la féminité, et la volonté de Jésus aurait été que Marie Madeleine soit en charge de la fondation de l’Église.

capture twitter jesus marié
Cet imaginaire continue de se perpétuer en 2023

On retrouve par exemple le mouvement Matricien, un obscur groupuscule dont le coup d’éclat a été une interview par Meta TV, qui s’empare du sujet. Les deux ont aujourd’hui disparu, mais ça permet de les situer dans le paysage de la complosphère.

capture site mouvement matricien
Entre la déesse Isis et De Vinci, il n’y a qu’un pas.

Si les matriciens prennent du recul sur la fiction, l’auteur se réjouit d’un renouveau gnostique. La gnose est le salut par la connaissance du divin, une philosophie métaphysique et parfois ésotérique, que l’on retrouve chez René Guénon ou Julius Evola. On peut considérer les partisans de ce mouvement comme faisant une relecture néo-païenne de la chrétienté, intégrant des éléments très variés comme l’Égypte de la haute antiquité.

Si ces derniers étaient des théoriciens du masculinisme, il faut bien comprendre que le gnosticisme repose sur l’idée que chacun a une fonction, y compris les femmes. Spoiler, ce n’est pas tellement compatible avec l’émancipation féministe.

Une autre mouture du féminin sacré a connu un essor dans les années 2010, reposant sur une spiritualité néo-païenne et des principes de développement personnel. C’est d’ailleurs l’objet d’une alerte dans le dernier rapport de la Miviludes.

Le secret

Enfin, comme nous sommes sur le registre du développement personnel, c’est l’occasion de parler deux minutes de « Le secret » de Rhonda Byrne. Il s’agit ici d’une série de livres, probablement le plus gros succès du genre « développement personnel ». Le premier sort en 2006 et sera suivi de 7 autres et d’un « documentaire » en 2012.

Le concept est assez simple, il relève de la pensée magique et développe la théorie issue de la théosophie la « loi de l’attraction ». Ça consiste à aligner ses fréquences positives par la pensée. Pour faire court, soyez positif, vous n’aurez que du positif. Finis les guerres, le cancer et les crédits conso.

Si on trouve une place à Rhonda Byrne ici, c’est qu’elle incarne également très bien son époque. Le secret ici est un argument purement commercial (ne regardez que les 5 dernières minutes de son documentaire, le reste n’est qu’une mise en bouche sans fin), mais ses théories relèvent des pseudo-sciences. Encore ce flou autour des apports de la science, de la spiritualité…

Fin de la parenthèse sur Byrne et Le secret, la différence avec Da Vinci Code est que Le secret ne se présente pas comme une fiction. Mais certains aspects rappellent la grammaire du film.

D’autres exemples

Prenons d’autres exemples d’échanges entre popculture et imaginaire collectif :

Le complotisme après le Watergate

Le scandale du Watergate (1974) et l’assassinat de JFK (1963) ont profondément marqué Hollywood. Et c’est même un levier très important dans la production US américaine. Le Nouvel Hollywood est un courant né dans les 60’s et qui va tirer jusque dans les années 80 (On détermine la fin de ce mouvement avec La porte du paradis de Michael Cimino en 1980).

Imprégné par les contre-cultures de son époque, il modélise une critique de l’institution américaine. L’État et ses magouilles, celui là même qui a cédé des miettes en termes de droits civiques aux minorités sous la contrainte devient l’incarnation du complot et objet d’une défiance sans limite. La production cinématographique traitant du sujet est importante. On retiendra en particulier Les hommes du président ou Les trois jours du Condor.

Des profils de personnages se dessinent. Celui de Mark Felt, la source anonyme appelée Gorge profonde par exemple, qui incarne à la fois l’agitateur de l’intérieur et l’agent double. Ou celle de Seymour Hersch qui révéla le massacre de Mi Lai au Vietnam.

De Stargate à la Révélation des pyramides

En 1994 sort le film Stargate au cinéma. Un objet pop qui a son petit succès au point de donner une série quelques années plus tard. Le synopsis est simple, des archéologues découvrent dans le désert un passage vers un monde extra-terrestre, c’est la porte des étoiles. Et on y comprend très vite que c’est une civilisation bien plus avancée que les humains de la terre qui ont conçu les pyramides.

capture stargate film
Dieux égyptiens et militaires américains…

C’est un prétexte à un film d’aventure et d’action, mais c’est aussi une lecture très américaine de l’histoire, où un aréopage de marines et de scientifiques font cause commune pour survivre, libérer les esclaves et vaincre les faux Dieux les méchants. Murica! Roland Emmerich nous propose un film avec des extra-terrestres  vaincu par l’armée américaine en plein désert, tout juste trois ans après avoir libéré le Koweit.

En 2010, Grimault sort son documentaire « la révélation des pyramides » dont la thèse n’est ni plus ni moins que l’histoire du film. On a encore un exemple d’imprégnation par la fiction et qui tord les faits pour en faire un documentaire. Ça a déjà été largement debunké, Passons.

En conclusion

En définitive, Da Vinci Code raconte ceci : nous vivons dans un système de castes, où le « vrai pouvoir » est « naturellement » le fait des religions. Et ce, avec des états (en particulier la police) corrompus ou dépassés eux-mêmes par les enjeux. C’est un monde de machinations et de confréries secrètes, ce qu’on retrouvera dans la description du Deep State. La spiritualité est fondamentale, même pour ce héros sceptique.

Mais il marque aussi un tournant dans la nature du complot. Le complotisme anti-système, construit sur la nature même de l’état, de la démocratie, devient un enjeu identitaire. Da Vinci Code laisse entrevoir l’émergence d’un complotisme civilisationnel, qui intègre l’idée d’un ordre naturel (histoire, filiation, genre) vu par le biais d’un personnage sceptique, qui incarne une raison dépassée par les évènements. On retrouve une partie de ces représentations d’enjeu civilisationnel dans l’imaginaire de l’extrême droite.

En ce sens, Da Vinci Code pose les bases d’une grammaire complotiste. Et il se pose en pur produit de son époque, une très bonne illustration du tournant des années 2000. Mais on peut aussi le considérer comme un moment pop corn, en toute connaissance de cause.

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