Déjà en délicatesse avec les chasseurs d’une part et les fabricants de hoax (les mythomanes patentés de la fachosphère) d’autre part, l’appellation chasseur de hoax pourrait faire sourire. Et soyons honnête, les hoax et autres fake news, nous ne les cherchons pas, ils nous tombent dessus, et c’est quotidien. Cela dit, les choses ont changé!
Certains d’entre nous sont des chasseurs de hoax depuis longtemps et combattent d’extrême droite depuis encore plus longtemps. Alors que nous avons repris une grande partie du contenu de notre ancien site, nous avons trouvé pertinent le fait de faire un point sur l’évolution de notre travail.
État des lieux des hoax sur internet
Il ne vous aura pas échappé qu’internet a évolué. Les plateformes mais aussi les usages ; faire un bond en arrière de dix ans nous permet de faire le point.
Une évolution des plateformes… et des contenus
Le collectif des Debunkers est né de l’explosion de la haine sur Facebook. Reprenons la chronologie des évènements : le réseau de Mark Zuckerberg est crée en 2004, mais n’arrive en France qu’en 2008. Pourquoi celui là plus qu’un autre, les voies du seigneur sont impénétrables. Il n’empêche que pendant des années, à l’époque des Poke et des premiers groupes, c’est une haine sans filtre ni modération qui fait feu de toute part sous nos yeux.
Les communautés se constituent à vitesse grand V. On peut lancer une page en quelques jours, et avoir quelques milliers de followers en une poignée de semaines. Être chasseur de hoax en 2010, c’est un travail quotidien, les panneaux fleurissent de toutes parts. On se retrouve avec des affirmations souvent débiles et de simples méthodes d’autodéfense suffisent. Pour la postérité, on rappellera qu’en 2012, Marine Le Pen n’est pas au second tour.
En 2023, l’ambiance est tout autre. Où sont passés les panneaux invoquant le bon sens paysan sur fond d’horreur islamophobe? Évaporés! Les règles de modération ont changé. Elles ont touché tout le monde, il est mal vu de parler politique. Pour l’anecdote, nous ne pouvons plus être contre le RN, ça va à l’encontre des règles de modération. Les pages populaires ont disparu, nous avons tous du recréer des comptes. Même les nazis ne sont plus aussi nombreux.
Changement de la façon de consommer
Nous avons donc pu constater ce fait : Facebook a peut être changé, mais c’est surtout sa façon d’être consommé. Plus personne n’aide une page en lui mettant un like. Le profil de Zaza, cette quinqua qui partageait chacune de ses pensées (même les pires) a été blindé, moins de commentaires sur les pages et les groupes, moins de publications publiques. Elle-même poste moins, ses groupes ont disparu. Il y a une forme d’atomisation des communautés.
Et puis, il y a le mystère de l’algorithme. Ce dont nous sommes certains, c’est que Facebook décide ce qu’il veut bien afficher dans votre fil d’actualité (votre mur). Nous avons pu constater que certains déploiements de version ont fait chuter la visibilité de nos pages. Pour regagner les grâces de l’hébergeur, il faut payer. Facebook est devenu payant et privilégie ce modèle : afficher plus de publicités et faire payer les entreprises qui utilisent la plateforme.
Pour ceux qui n’ont pas renoncé, il y a de nouvelles plateformes. Zaza a rejoint VK sur lequel elle ne poste pas vraiment. Elle a songé s’inscrire sur Parler, mais finalement, elle est abonnée à un tas de compte sur Telegram et des boucles whatsApp.
Explosion de la vidéo
Ce qui a changé durant la dernière décennie, ce sont les débits. Et le très haut débit permet l’utilisation de plus en plus importante de la vidéo. Ajoutez à ça la démocratisation des smartphones, et c’est l’explosion des plateformes d’hébergement vidéo. Youtube en particulier.
Une conséquence, c’est la raréfaction progressive des photos truquées, des affirmations sur des panneaux, même des glurge. Ce sont mêmes les billets de blog qui se retrouvent impactés : en effet, n’importe qui peut se filmer dans sa voiture et donner son avis sur l’actualité.
Les confinements et la popularisation des logiciels de conférence vont également permettre la prolifération d’un format interview à distance. Des vidéos à peu de frais qui permettent de publier beaucoup. pas toujours un gain qualitatif, cela dit…
Les shorts
L’une des révolutions de format arrive en 2012 avec Vine qui propose des vidéos de 6 secondes. De véritables créatifs se démarquent, inventant une grammaire poétique (ou pas), mais six secondes, c’est pas lourd. 2013, c’est l’arrivée de la vidéo sur Instagram, le format ? 15 secondes ! Ce qui se déroule là, c’est une nouvelle façon de faire de la vidéo. Tiktok débarque en 2017 à l’international (sur des serveurs différents de sa partie chinoise lancée un an plus tôt). Cette fois, on peut y poster des vidéos jusqu’à trois minutes.
Ce format court (short ou reel) aura un grand succès. Toutefois, ces formats ne permettent pas vraiment de l’analyse politique. Les usagers de ces plateformes digèrent donc des capsules faîtes de punchline.
Ainsi, nous avons vu que la dernière décennie est le théâtre d’une évolution des plateformes, mais également des usages. Mécaniquement, les contenus s’adaptent, avec plus de vidéos, ce qui est rendu possible par un réseau plus performant. Ne nous attardons pas là-dessus.
L’ère du fact checking
La théorie du complot n’est pas née avec Internet. Seulement, il faut bien admettre que les sites internets. D’abord les forums et l’IRC, puis les réseaux sociaux sont de formidables vecteurs pour toutes les idées. Y compris les mauvaises.
Paradoxalement, si la presse se met à Internet, elle se retrouve à devoir revoir son modèle économique. C’est la crise pour le papier (bon, il était censé carrément disparaître, et on a jamais imprimé autant. Seulement, on achète moins le journal). Rappelez vous Métro et 20 minutes, des journaux gratuits distribués dans le métro, l’aventure a duré de 2002 à 2015.
Bref, si la presse est obligé de se réinventer c’est qu’il y a un besoin, mais il y a aussi une demande. L’information circule de plus en plus vite, et il faut répondre vite. Libération crée son service Desintox en 2008. Les Décodeurs du Monde sera lancé en 2014.
Cependant, le tournant se fera quelques années plus tard. Prenons trois actualités riches en mensonges et rumeurs : Les attentats (on se souvient que pour le massacre de Charlie Hebdo, les Panamza et compagnie n’avaient mis que quelques heures avant de diffuser leurs versions), le Brexit et l’élections de Donald « You are fake news » Trump.
Nous sommes en 2016. Chaque rédaction va développer son service. Le Monde lance Decodex en 2017, et le service Desintox de libé devient checknews (plus ouvert sur les questions des lecteurs). Suivent Arte, France Info, etc…
Le mensonge de masse devient officiel
Donc on a vu l’explosion d’internet et des réseaux sociaux qui a fondamentalement changé nos vies en l’espaces de 25 ans. Puis on a vu que c’était accompagné ces dernières années par l’apparition du fact-checking dans chaque rédaction. Seulement, tout le monde ne joue pas le jeu.
Revenons un peu en arrière. Thierry Meyssan, vous connaissez ? C’est sur le plateau d’Ardisson qu’il explose en plein vol (un peu comme… non on va pas la faire celle là). On est en mars 2002. En 2009, sur le même plateau, c’est Matthieu Kassovitz qui « émet des doutes » sur le 11 septembre, et il se confie cette fois à Frédéric Taddéi dans son émission Ce soir ou jamais sur France3. C’est le service public, la liberté de ton et les avis variés. Taddéi continuera à accueillir les plus sulfureux personnages comme Dieudonné ou Soral jusqu’en 2016.
Mais ce ne sont encore que des archipels éparpillées. En 2023, c’est un ensemble de médias d’extrême droite à la télévision (Bolloré détient Canal, Cnews et Europe1), à la radio (SudRadio, Radio Courtoisie) et dans de nombreux titres de presse qui invitent les personnages les plus farfelues. Et on y entends les théories les plus dangereuses, au nom de la liberté d’expression (à géométrie variable, entendons nous bien).
Pire, les chaînes russes ne peuvent plus émettre depuis leur invasion de l’Ukraine en février 2022. Pourtant, RT France émettait depuis 2017, et déployait une grande énergie pour être diffusée dans toutes les offres. La société Rt France sera définitivement liquidée en janvier 2023. La chaîne qui avait recruté Frédéric Taddéi voit son message être encore largement relayé par les confrères que nous avons évoqué.
Nous voyons donc qu’il y a un vrai relais de la part de groupes industriels solides pour donner de la visibilité à ces théories.
Quel est notre rôle aujourd’hui ?
Alors au milieu de tout ça, dix ans plus tard que peuvent faire les debunker (que ça soit notre collectif ou des citoyens prudents).
Debunker quoi ? Pour qui ?
Après avoir planté le décor, revenons aux débuts des debunkers de hoax d’extrême droite. Le plus ancien article que nous trouverez ici date de février 2013 : Montage photo anti-mariage pour tous : encore 1 de (photo)chopé, Samuel Lafont de l’UMP !
Oui, le même Samuel Lafont qui a crée Damoclès et qui roule pour Eric Zemmour dix ans plus tard (jour pour jour!). Avouez qu’il y a de quoi avoir le sentiment que ce travail est vain, parfois.
Et comment ce premier article est né ? Dans le chaos de la scène antifasciste, avec la fin de Ras l’front et d’autres collectifs, quelques militants se rencontrent. Le futur, c’est internet hurlèrent-ils dans le désert.
En parallèle, plusieurs collectifs forment une première coordination nationale, la CONEX. Ces frais debunkers seront parmi les premiers signataires avec La Horde, Mémorial98 (futur RAAR), Visa et bien d’autres. L’initiative ne durera pas, mais les graines sont semées et le collectif grandira avec les années.
Quels hoax ?
Comme nous l’avons vu, les hoax se sont raréfiés. En tous cas le panneau sur le compte de Zaza qui était suivi par 5000 abonnés qui relayaient dans la minute des énormités. On en voit encore passer, mais beaucoup moins.
Par contre, en 2023, les rumeurs qui pullulent sur les réseaux sont inventées à la Loubianka, ou dans des think-tank américain. Elles sont le fruit de stratégies de partis comme le RN ou Reconquête. Plus sophistiquées, elles mettent plus de temps et demandent plus d’efforts pour être débunkées.
Le chasseur de hoax se retrouve devant un dilemme :
- Laisser tomber et s’en remettre au fact-checking
- Tenter de proposer autre chose.
Partir d’un hoax, et tenter de tisser des liens, de chercher à comprendre.
Aujourd’hui, nous restons confrontés à des mensonges venant des extrêmes droites et de la complosphère. Seulement la plupart sont des serpents de mer, voir carrément des marronniers (crèches, Noël, galettes de rois, les moutons de l’Aïd, etc…). À partir de là, nous sommes condamnés à réécrire la même chose que tous les autres, ou alors nous cherchons à apporter notre pierre pour mieux comprendre un phénomène.
Comment convaincre ?
Puis, une autre question se pose : à quoi bon faire des fact-checking alors qu’ils ne sont pas lu par ceux à qui ils s’adressent ?
En clair, les fâcheux fachos et autres complotistes se fichent complètement de ce qu’un chasseur de hoax lui répond. Pire, l’évolution des algorithmes a cloisonné les différentes communautés. Alors que nous sommes moins exposés à leurs contenus dans nos fils d’actualité, ils le sont également moins à nos contenus. Ce sont les bulles de filtres.
Alors force est de constater que nous nous adressons le plus souvent à d’autres antifascistes qui eux-même ont besoin d’arguments. Mais ça, nous l’avons déjà dit, le fact-checking le fait déjà et en plus ils ont un nom bien plus sérieux que nous. En revanche, nous avons une certaine expertise de certains sujets. Ne rougissons pas de ça, nous baignons dans ces milieux, débattons, analysons, nous les connaissons.
Depuis quelques années, en particulier avec la mise en ligne de notre site actuel en 2018, nos articles vont dans le sens d’une réflexion. Nous tentons d’articuler tous ces debunks, de les mettre en lien les uns les autres et de dessiner ces relations complexes.
En clair, nous nous adressons à d’autres personnes déjà convaincues. Nous tentons de vous fournir des grilles de lectures, des éléments de réflexion afin d’appréhender efficacement la complexité et les contradictions de milieux qui en ont très sérieusement après nous (rappelons le, ce n’est pas un détail).
Face au fact-checking
Nous venons de la voir, notre travail de chasseur de hoax et fondamentalement différent aujourd’hui de celui des fact-checkers. C’est un rôle assumé aujourd’hui par les médias mainstream, et tant mieux! Non seulement ils ont une force de frappe considérable, mais en plus c’est important dans un cadre démocratique de lutter contre le mensonge et la manipulation.
Toute fois, rappelons le, nous ne faisons pas du fact-checking à proprement parler. Le premier problème du cette pratique, c’est de répondre à une question ; une réponse simple à une question simple, c’est vrai ou c’est faux, fait à l’appui. Le second, c’est que les rédactions refusent d’assumer un positionnement politique sous prétexte que l’objectivité journalistique est synonyme de neutralité politique.
Nous ne répondons à aucune de ces deux affirmations. Nous sommes un collectif militant, ce qui nous vaut de ne jamais être cité hors de notre milieu politique, et nous tentons de développer les réponses au delà de la simple réfutation.
La vérité est ailleurs
Ensuite, répondre à des affirmations par des faits, c’est vain face à un mille-feuille argumentatif. Comme nous l’avons dit, les debunk n’ont aucun impact sur leurs auteurs. Au mieux nous pouvons atténuer le déploiement d’une rumeur en mettant le doute aux personnes qui relaient machinalement sans réfléchir.
Selon le théorème de Brandolini, il faut 10 fois plus de temps pour infirmer une idiotie que pour l’inventer. Alors pour infirmer dix arguments, ou cents, le travail à fournir devient vertigineux. Par exemple, reopn911 a donné des pelletés d’arguments, qui se contredisaient parfois. Tout a été debunké, sans effet.
Car l’enjeu n’est pas la vérité ici. Nous ne prétendons pas détenir une vérité absolue, nous n’avons pas un rôle de missionnaire. Nous livrons notre lecture du monde qui s’oppose à d’autres lectures reposant souvent sur des thèses suprématistes, sexistes, etc.. Et ces mêmes thèses admettent d’intégrer des mensonges et des rumeurs, ce que nous refusons de faire.
Conclusion
Nous venons de voir que le rôle de chasseur de hoax, la façon dont nous concevons notre rôle de debunker est finalement loin de celui de moine archiviste rangeant soigneusement des faits vérifiés sur une étagère.
Notre collectif est constitué de militants, et nous tenons à le rappeler. C’est un curieux équilibre qui rend ce groupe fonctionnel : des origines, des lieux de vies (nous vivons aux quatre coins du pays et sommes peu représentés à Paris), des métiers différents. Ce qui nous lie dans cette aventure relève d’un profond désir de comprendre et de lutter. Mais pas seulement, il y a aussi la convivialité propre aux groupes affinitaires.
Dans cette perspective, il nous semble nécessaire d’essayer d’apporter autre chose, de faire un pas de côté. Ça implique de réfléchir à d’autres angles, à développer des outils, de fournir des ressources pour établir un contre-discours. En somme, apporter du grain à moudre à nos lecteurs, pas seulement des arguments bruts.
Notre boulot de chasseur de hoax sera plus que jamais orienté en ce sens :
- des séries d’articles sur une même thématique, un suivi dans le temps (à l’image de la série : Sa tsarité Poutine)
- des dossiers sur un thème précis
- des essais, des hypothèses
- des outils (tutoriels, ressources – les formations assurées par Visa ont commencé en 2016)
- Et évidemment, continuer cette veille et débunker des mensonges éhontés. Quoiqu’on en dise, c’est nécessaire
Amicalement,
les debunkers de hoax et rumeurs d’extrême droite.