Si un jour on nous avait dit qu’on écrirait sur Pascal Praud et la zoophilie en Espagne…. Mais il faut croire qu’on se dirige de plus en plus vers ce commerce de niche.
Toujours est-il que c’est la lubie du moment. Alors on va nous aussi s’y coller et voir ce qu’on peut tirer de tout ça.
L’affaire
Pour nous, tout commence le 27 février. Sur CNEWS, l’infatigable Pascal Praud pousse un coup de gueule ! À deux doigts d’invectiver son plateau avec un retentissant « et ça les médias n’en parlent pas », il feint de s’étonner que la presse ne se soit pas jeté sur cette sinistre, voire glauquissime affaire de dépénalisation de la zoophilie en Espagne.
https://www.youtube.com/watch?v=QZfnHW2WNz0
Cnews et le scoop
Et pourquoi c’est CNEWS qui nous en parle ? Parce que la chaîne n’abrite que des prix Pulitzer injustement ignorés par le reste de la profession, pardi !
Feu I-TV a perdu une partie de sa rédaction et ses effectifs ont évolué depuis le rachat du groupe Canal par Bolloré. Renommée CNEWS, la chaîne d’information continue a très vite évoluée vers un contenu racoleur. On y retrouve Pascal Praud, Jean-Luc Morandini, Mathieu Bock-Côté et désormais Frédéric Taddéi. Certains chroniqueurs ont fait la navette avec le navire amiral du divertissement, TPMP.
La parole est régulièrement donnée à l’extrême droite, et petit à petit la chaîne intègre le sociolecte de ce bord là. La lutte contre la bien-pensance est devenue une guerre contre le wokisme.
Le debunk
Ce debunk a été fait. Nous n’allons pas nous attarder trop longtemps dessus, Checknews a fait le boulot. Mais il faut quand même en parler.
Ce que Libé nous apprend c’est que la loi a passé le parlement. En Espagne, elle doit être voté au Sénat pour être finalisée. En France, un projet de loi passe au parlement une première fois, puis après un examen au Sénat est revotée une dernière fois par les députés.
« Les chambres du Parlement exercent ce pouvoir conjointement et votent successivement les propositions de loi qui passent d’abord par le Congrès, puis par le Sénat et qui sont enfin remises au gouvernement. »
Cortes Generales
Ce sont des débats politiques du même ordre que ceux pour la sexualité des mineurs qui avaient défrayé la chronique en France. La loi ne convenait pas à l’époque, la majorité sexuelle n’étant pas une notion juridique. Alors, en 2018, il avait fallu se poser la question du consentement des mineurs. A partir de quel âge, un mineur peut-il être consentant?
Une panique morale s’était emparée des conservateurs qui y voyaient déjà la légalisation de la pédophilie.
Deux narratifs s’opposent
Toutefois, si il fallait s’attarder sur un point intéressant, c’est l’origine de cette information et la réaction des différentes bulles.
L’origine
Selon Checknews, c’est Libertad Digital qui publie l’information en premier le 13 février. Il s’agit d’un journal en ligne, avec une ligne de droite, en phase avec l’opposition espagnole. Le parti Vox va d’ailleurs s’emparer de la polémique.
Mais si on fait une recherche sur Google, il faut attendre le 20 février pour trouver une source. Il s’agit d’un post sur un canal russe sur Telegram, celui de Boris Karpov. L’homme tient une chronique mais collabore avec Riposte Laïque pour qui il a écrit pas loin de 200 articles.
Et d’où Boris karpov tient son information ? Probablement de Russia Today qui publie un peu plus tôt dans la journée un article sur le sujet.
Pour autant, on ne peut pas parler d’emballement dans le monde francophone. Tout juste l’échelle de Jacob, un bon vieux site conspirationniste relaie l’information le lendemain.
Et puis plus rien pendant une semaine, jusqu’au coup de gueule du journaliste en direct sur CNEWS le 27 février.
Alors on ne sait pas à quel moment Pascal Praud a entendu parler de la zoophilie en Espagne, mais au choix, ou il lit la presse de droite espagnole, ou il l’a attrapé au vol sur ceux qui ont lu Russia Today. Dans tous les cas, on identifie ici les canaux auxquels il s’abreuve, et ils relèvent tantôt de la presse dite de réinformation, tantôt de la propagande russe.
Le rasoir d’Ockham
Du coup, une question se pose à nous : comment marche une conférence de rédaction à CNEWS ? Ingénus que nous sommes, nous avions cru que les sujets étaient discutés à l’avance avec des chefs de services qui connaissent un peu leur sujet. Ce qui nous amène à cette première conclusion, Pascal Praud est en roue libre et la déontologie n’est qu’un vain mot sur cette chaîne. Pas un scoop, nous direz-vous.
Quoiqu’il en soit, dans cette histoire nous avons un premier narratif qui est sortit dans les médias mainstream français par la voix de Pascal Praud, l’Espagne légalise la zoophilie. Pour peu qu’on suive l’actualité du monde politique en général, cette annonce est un peu curieuse. Comme nous l’avons montré un peu plus haut, il est probable que cette interprétation soit mauvaise ou en tous cas partielle.
L’interprétation la plus plausible
Mais alors pourquoi nous considérons cette information comme peu plausible, voir carrément un peu bizarre ?
Nous allons invoquer Guillaume d’Ockham et son rasoir ici. C’est très simple : l’explication la plus plausible est celle qui engage le moins d’hypothèses. Attention, il ne s’agit pas de dire que la solution la plus simple est forcément la meilleure. C’est le principe de parcimonie, c’est à dire raser (d’où le rasoir d’Ockham) les hypothèses déjà énoncées. En clair, il est très probable que la véritable explication aient des raisons très simples et prosaïques.
Dans notre histoire de zoophiles espagnols, nous savons qu’une loi est en débat, c’est à peu près tout. Les premiers fact-checking, donc des sources que nous considérons fiables, nous donnent une version un peu développée : une première loi existante était insuffisante, une seconde est à l’étude. Et comme nous l’avons vu plus haut, la loi n’a pas finit son cheminement avant d’être adopté.
Et si nous rajoutions des hypothèses
Maintenant, est-ce qu’il existe en Europe une formation politique majeur qui revendique la légalisation de la zoophilie ? Pas à notre connaissance, en tous cas.
Rajoutons donc un élément à notre raisonnement : qui a émis cette affirmation? Qui sont les acteurs de cette comédie ? Nous savons que l’Espagne est traversée par des tensions politiques assez semblables à la France. Le PSOE (le parti socialiste) a remporté les dernières élections face à la droite conservatrice (le parti populaire). Podemos, un parti plus à gauche que le PS et qui fédère écologistes et militants issus des gauches communistes, s’installent dans la durée. L’extrême droite fait une percée historique.
Qui a déposé ce projet de loi?
C’est la ministre des droits sociaux, Ione Belarra Urteaga, issue de Podemos qui a rédigé ce projet de loi ; une loi venant de la gauche, et plus précisément de la gauche écologiste, dont la protection animale est un pilier.
Un projet de loi de gauche dénoncée sur CNEWS comme étant une infamie. Nos réflexes de debunkers nous poussent à considérer que l’affirmation de Pascal Praud sur la légalisation de la zoophilie en Espagne est fausse, et à défaut de connaître le contenu exact de la loi, il nous appartient de nous méfier de toute affirmation.
Alors quand, en plus, cette affaire vient juste après une révision de la loi sur le genre, permettant à des adolescents dés 16 ans de commencer une transition encadrée, en plus de la mise en place congé menstruel… n’en jetez plus, la cup est pleine ! On retrouve ici les obsessions conservatrices de Pascal Praud. Dans ce contexte, l’affirmation prend une autre dimension.
La complosphère croit en ce dont elle a envie
Mais vous nous direz, à quoi bon ? C’est effectivement une bonne question dans la mesure où la comploshère n’a cure des fact-checking et autres debunking.
L’effervescence
Il faut comprendre que nos réseaux forment des bulles. La complosphère est composée de bulles, mais nos sphères militantes aussi. Ainsi on peut vite se couper tout sens de la réalité. C’est valable pour l’extrême droite, mais pour nous aussi.
Une fois que ceci est dit, allons voir ce qu’en dit Twitter :
Éloquent, n’est-ce pas.
Qu’est ce que ça raconte ?
C’est une vision cohérente du monde qui se met en place ici. L’Espagne serait dirigée par l’extrême gauche qui en profiterait pour imposer des règles décadentes. C’est ce qu’on retrouve dans les discours des Qanon, des anti-pédophiles et bien d’autres. Et c’était également un raisonnement similaire il y a dix ans quand Christine Taubira était devenue le symbole de la haine des anti-mariage pour tous. Le discours sous-jacent à une opposition au mariage des gays et lesbiennes était que le gouvernement allait légaliser la zoophilie et la pédophilie. Sous-entendu, tout est lié et le pouvoir veut détruire les valeurs ancestrales et la morale.
Donc pourquoi Pascal Praud, puis une partie de la complosphère croient que l’Espagne légalise la zoophilie ? Demandons-nous ce que ce que propose cette version. Et surtout, pourquoi croire en une version aussi bancales ? Parce qu’elle colle est cohérente avec leur vision du monde.
Bref !
Il est indispensable de se méfier des affirmations de Pascal Praud, évidemment. Mais il faut se méfier de nous-même, et ne pas répondre par esprit de contradiction. En l’état, cette loi n’est pas finalisée et ne permet pas de dire que l’Espagne légalise ou dépénalise la zoophilie. Et il est tout de même peu plausible qu’un parti politique au pouvoir soit le vecteur de ce genre de pratique. Même de gauche, n’en déplaise aux conservateurs.
Il est également indispensable de se protéger en identifiant les émetteurs des informations, en tirant les fils. Ici, Praud relaie la propagande russe autant que la réinformation espagnole, sans une once de distance ni de déontologie. Justement, le narratif d’un Vladimir Poutine sur l’occident décadent vient se calquer sur celui de Pascal Praud et de l’extrême droite espagnole. Chacun son agenda politique, mais une concordance des thèmes.
Debunked !