Ce jeudi 23 septembre 2021, l’événement est le débat opposant Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon. Présenté comme un combat de boxe, demandons-nous si au delà du spectacle ce genre de débat a un intérêt ? Ou si justement, le coût politique est trop important.
En 1979, Ivan Levaï invite Robert Faurisson à l’antenne d’Europe 1. Il est persuadé de pouvoir tenir tête à l’historien négationniste, ayant préparé l’entretien. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévues. Et Levaï sera vite dépassé par la verve et les postures de Faurisson. *
Cet épisode illustre parfaitement l’erreur tactique du dialogue avec l’extrême droite en général.
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Le professeur Débéka nous explique pourquoi.
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Q : Alors comme ça on ne doit pas faire de débat avec l’extrême droite?
R : Non ! Jamais !
Q : Mais Mélenchon le fait bien avec Zemmour ?
R : C’est une erreur tactique. Mais JLM est bien plus subtil, il le sait. Analysons un peu : ce débat n’en est pas un. JLM y va pour incarner une opposition brutale à EZ. Il n’y aura pas de débat, parce qu’il n’y a pas de discussion possible. Juste se positionner comme un rempart, c’est un jeu de posture.
Q : Pourtant, on pourrait le tacler sur des sujets qu’il connaît mal…
R : Ce n’est pas la question. Zemmour est sûrement très nul sur plein de sujets, il a d’ailleurs misé sur un seul angle d’attaque : le péril de la France. Il peut tout expliquer avec ça, sans n’avoir jamais à argumenter, il suffit de dire « les gens le savent », « tout le monde le voit ». Ce n’est pas mesurable, et il n’y a rien à répondre à ça. Le pré requis à n’importe quel politique d’un domaine qu’il ne maîtrise pas, passe par un pseudo-souverainisme.
Q : Mais JLM connaît son sujet, il peut le mettre en pièce !!!
R : Ça c’est en partant du principe que son interlocuteur va accepter la qualité de l’argument avancé. Peu de chance que ça arrive, pas tant parce qu’EZ serait de plus mauvaise foi qu’un autre. Mais n’importe qui vient défendre son bout de gras, et Z ne déroge pas à la règle. Et il existe tout un tas d’astuces pour se défaire de quelqu’un qui a potassé : le mille-feuille argumentatif par exemple. Les sophismes sont vieux comme le monde, c’est le Gorgias de Platon.
Q : Des zététiciens se sont proposés pour débunker le grand remplacement, c’est une bonne idée, non? [cf couverture causeur]
R : On dirait à première vue, toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre. Seulement, il n’y a rien à débunker. C’est un sentiment diffus, un fantasme, ce n’est pas un ensemble de faits qu’on peut invalider par une enquête solide, des chiffres, bref… des arguments. On est à une limite, d’ailleurs, selon les principes de la zététique, ça serait à eux d’avancer des preuves, et justement, on en est à lire dans le marc de café des signes du GR, parce que ça n’existe pas, mais si on y croit très fort, alors on le voit partout, et n’importe quel épicier de quartier devient la preuve d’un péril imminent. Souvenez vous de ce « débat » très controversé qui à eu lieu sur France Culture sous l’égide de Finkielkraut entre Renaud Camus, égérie de l’extrême droite et créateur du fumeux (et très raciste) concept de « grand remplacement »; à Hervé Le Bras, démographe et historien. Une fois les fantasmes sans preuves de Camus exposés, Le Bras lui a opposé la rigueur de la science et des chiffres qui annihilent le pseudo raisonnement de Camus. Peine perdue, voici ce qu’à répondu le très délirant camus face à ces évidences incontestables:
“J’aurais tendance à élargir le débat si je puis dire, et à contester la notion de chiffre”.
“Je suis en accord très profond avec le philosophe Olivier Rey qui souligne l’incapacité du chiffre à rendre compte du monde”.
“C’est la science elle-même que je remets en cause (…) la science a toujours été du côté du pouvoir”.
[…]ces sujets n’ont pas d’intérêt pour la gauche qui devrait se concentrer sur des thèmes qui lui sont propres : le progrès social, la solidarité, les conditions de travail, le partage et la redistribution des richesses…
Q : Alors c’est perdu d’avance ?
R : Choisissons nos combats, ou au moins quelles seront nos arènes. En acceptant de débattre avec EZ, dans les conditions imposées par lui, dans un cadre qui lui est familier, il y a peu de chances d’être efficace.
Pire ! On montre à l’auditoire que nous reconnaissons à EZ ou aux autres, la légitimité dont ils rêvent tant, et donc d’imposer les sujets. C’est lui qui choisit, et nous répondons avec de superbes arguments. Sauf que ces sujets n’ont pas d’intérêt pour la gauche qui devrait se concentrer sur des thèmes qui lui sont propres : le progrès social, la solidarité, les conditions de travail, le partage et la redistribution des richesses…
Q : Quelle douce utopie…
R : Non, c’est une stratégie politique.
Q : En même temps, il a accès à des plateaux TV, lui…
R : C’est vrai. Mais si la gauche et le mouvement ouvrier sont faibles aujourd’hui, ce n’est pas le fait de BFM et du patronat, ce sont des stratégies internes et une perte de ses lignes historiques qui ont mené à ce résultat.
Nous ne pouvons pas exister seulement par le prisme de la réponse à EZ ou MLP, nous devons être offensifs. Proposer autre chose que le nationalisme, le souverainisme et la xénophobie pour régler tous les problèmes. Dans ce contexte, un EZ n’existerait même plus, et le RN plafonnerait à 5% aux présidentielles.
Q : En attendant, on ne peut pas laisser un fasciste parler sans réagir !!!!
R : Il le fait depuis 10 ans, et on a pas entendu grand monde s’indigner. Il a publié des mensonges, des contre-vérités historiques, et ? Il ne s’est pas retrouvé persona non grata. Au contraire, il incarne une voix irrévérencieuse, dont le PAF est friand.
Q : Mais il y a dix ans, il était inconnu.
R : Et aujourd’hui, il est candidat. La belle affaire… Pour qu’un débat puisse avoir lieu, il faut au moins deux personnes. C’est Eric Zemmour qui a besoin d’exister. Ne lui offrons pas cette tribune.
Pour en savoir plus:
Pourquoi il ne faut pas débattre avec l’extrême droite.