Mais d’où vient cette étrange obsession des complotistes pour les pédophiles ? Oh bien entendu, nous n’allons pas prendre la défense de ce que nous considérons moralement injustifiable. Nous nous rangerons toujours du côté de la protection de l’enfance. En revanche, il est intéressant de regarder de plus près les discours et la façon dont la pédophilie finit par être désincarnée. Le mot lui même finit par imager une menace sataniste sur le monde, alors qu’il s’agit d’une réalité : des atteintes sexuelles sur mineurs.
Ces théories reposent souvent sur la même mécanique que la rumeur d’Orléans. Des jeunes femmes seraient enlevées par des commerçants juifs pour être mise sur le trottoir au Moyen Orient. Le bruit court alors même qu’aucune disparition ne sera déclarée. Il ne s’agit pas de pédophilie, mais le fonctionnement sera similaire avec les théories du complot impliquant des élites et des réseaux pédophiles.
Avant de commencer, il nous semble nécessaire de préciser une chose. Nous parlerons ici de pédocriminalité plutôt que de pédophilie (le suffixe -philie faisant référence à une attirance, nous traiterons de criminalité, malgré l’usage courant de pédophilie – À noter qu’on retrouve les deux termes y compris dans le jargon complotiste). Et ajoutons également que la pédocriminalité existe et que des réseaux criminelles sont régulièrement démantelés. Les atteintes sexuelles (viol, attouchements, agression) sur des enfants sont criminelles.
Maintenant que nous avons mis les choses au clair, regardons ce qu’il en est dans la complosphère.
L’obsession de la pédocriminalité dans la sphère Française
L’un des éléments fondateurs de la complosphère des années 2000 est – à juste titre – l’affaire Dutroux dans les années 1990. Le pédophile et assassin belge a eu un impact très fort sur toute la société, y compris en France.
Quand on parle de complotisme, on peut rapidement en arriver à tomber dans l’excès inverse. Attention, la pédocriminalité est une réalité, et une seule agression est déjà de trop. Les statistiques en ce domaine sont conditionnées aux plaintes déposées, et bien souvent les victimes gardent le silence.
Outreau, la justice bégaie
Début 2001, c’est la stupeur au journal télévisé. Une affaire de pédocriminalité de grande ampleur est dénoncée, les médias se précipitent à Outreau, petite commune du nord de la France. La justice se met en ordre de marche ; experts, consultants, avocats médiatiques, tout le monde défile. Dix ans après l’affaire Dutroux, Outreau s’annonce comme une affaire historique, elle le sera. Il s’agit ici d’un réseau d’exploitation de mineurs, de la prostitution et du trafic. Le pays est sous le choc.
Après des années de procédure et de procès, 13 des 17 accusés sont relaxés, les autres sont lourdement condamnés. Entre la machination médiatico-judiciaire et le grand réseau international de prostitution d’enfant, la réalité est là. Il y a bien eu des viols, en France et en Belgique, mais d’une moins grande ampleur.
Entre mépris de classe et idées reçues sur le nord, les experts sont passés à côté du fond. Rien n’a fonctionné ici, de l’alerte pour protéger les enfants jusqu’à la justice qui bégaiera des années durant. Cette affaire est un échec, mais encore aujourd’hui elle divise. Et si tous les coupables n’avaient pas été condamnés?
L’affaire d’Outreau va profondément marquer les théories du complot françaises. Mais ce n’est pas une affaire nouvelle, il y avait déjà des éléments qui ont forgé cette vision des choses.
L’obsession de mai 68
Au delà de ces affaires sordides, un élément récurrent est la période libertaire post-68. Soyons lucide, cette période d’expérimentation a connu des excès, et aussi des passages carrément criminels. Une génération plus tard, la révolution sexuelle est soumise à critique. Cependant, il s’agit ici de violences minimisées et ignorées à l’époque, loin d’un quelconque progrès.
Jack Lang
Un moment clé de cette époque est la tribune publiée par Le Monde et signée par énormément d’intellectuels de l’époque, dont la liste donne le vertige. Certains sont ronflants : Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Françoise Dolto, Michel Foucault, Félix Guattari, Jean-Paul Sartre et… un certain Jack Lang.
Ce dernier n’est à l’époque qu’un universitaire, militant du PS élu localement, mais pas encore ministre. Il regrette aujourd’hui avoir signé cette tribune, mais ça importe peu pour les sphères complotistes et antisémites prêtes à tout pour se payer l’ancien ministre de la culture.
Cette cause est inacceptable, et elle l’était déjà à l’époque. Le texte mêle à la fois la question du consentement, de la majorité sexuelle et légitimation de la pédophilie. Si le dernier thème n’est pas sujet à débat, les deux premiers ont été largement discuté ces dernières décennies.
Gabriel Matzneff reconnaîtra longtemps après en avoir été l’auteur.
Daniel Cohn-Bendit
L’autre nom qui revient régulièrement quand il s’agit de pédophilie, de la gauche et des 70’s, c’est celui de Daniel Cohn-Bendit. Alors qu’il était éducateur en Allemagne, il publie un texte en 1975. Il évoque alors des attouchements et des jeux troubles avec des mineurs.
Il invoquera un besoin de provoquer. L’affaire ressort régulièrement, et Cohn Bendit regrette amèrement. Il y a de quoi. On ne saura jamais de quoi il en retourne vraiment. Néanmoins, cet épisode alimente un imaginaire à charge contre cette période.
Libération
Le 20 juin 1981, le journal Libération publie un article qui rapporte les propos de Benoît. Benoît aime les enfants. Non, il les viole en fait. Mais dans le sillage de mai 68, ça passe. Peut être que ça a fait débat dans la rédaction. Toutefois, il est imprimé et marque durablement les esprits.
Laboratoire. L’ordre moral. Voilà l’ennemi. Et Libération de cette époque n’est rien d’autre que l’écho particulier du vertige commun. Nous sommes à la fin des années 70. Les traces du mai des barricades traînent sur les murs et dans les têtes. «Interdit d’interdire», «contestons toute forme d’autorité». C’est plus qu’une période, c’est un laboratoire. Accoucheur d’espoirs, de rêves, de combats insensés. Et de monstres. A Libération comme ailleurs, l’affrontement fait rage sur tout. Une page de courrier pédophile déclenche la polémique. Mais est néanmoins publiée.
Sorj Chalandon
En 2001, Sorj Chalandon est grand reporter à Libé, dont il est même un des co-fondateurs. Et il revient dans les colonnes du journal sur cet épisode, sans détourner le regard. Une erreur du passé, un combat insensé dit-il. Un texte salutaire qui éclaire ces dérives.
Françoise Dolto
L’éminente psychanalyste, disciple de Jacques Lacan est signataire de la tribune de 1977. Nous n’allons pas nous y attarder. Malgré tout, dans sa bibliographie, plusieurs autres de ses confrères ont relevé un ensemble de phrases qui forment un faisceau plutôt douteux sur sa perception de l’inceste et des violences sexuelles.
Tous ces épisodes sont largement récupérés par l’extrême droite, en particulier lors de la manif pour tous, puis lors de l’affaire Matzneff en 2020.
Wanted Pedo
Wanted pedo est un collectif fondé en 2014, consacré à la lutte contre la pédophilie. Mais ça dérape très vite quand on y regarde de plus près. Maxime Montaut, fondateur et leader incontesté de l’association se montre très vite proche d’égalité et réconciliation, qui reprend ses hoax. La lutte contre les pédophiles se mêlent même à des délires complotistes. Le collectif affichera son soutien envers Soral, Dieudonné et Stan Maillaud (dont nous vous parlons juste en dessous). Un soutien à géométrie variable selon les égos de chacun comme à l’accoutumé dans les milieux complotistes.
Encore aujourd’hui, on voit régulièrement Montaut sur TV Liberté. Wanted Pedo soutient également Karl Zéro, et en particulier son documentaire 1 sur 5.
Dans le contenu, Wanted Pedo recense tous les cas de violence sexuelle sur mineurs, des cas eux-même recensés dans la presse. Pourtant, la teneur de plusieurs articles laisse penser que le collectif dénonce une omerta médiatique. Le site a publié plusieurs fake.
Stan Maillaud
Le cas Stan Maillaud est éloquent. Christian Maillaud est un ancien gendarme. Après avoir quitté la gendarmerie, il endosse la cape du vigilante et enlève des enfants prétendument victimes de pédocriminels. Il sera d’ailleurs condamné à plusieurs reprises.
Mais c’est surtout une figure avec sa compagne, des complotistes français, et sa chasse aux pédophiles s’articule avec les grandes dynamiques du milieu : il gravite autour de Wanted Pedo un temps, puis rejoint le Conseil National de Transition (vous savez, ce groupuscule crée par Eric Fiorile, le type qui prépare plus de coups d’état que le Général Alcazar) et Qanon. La dernière décennie ne sera qu’une longue fuite avant d’être arrêté au Venezuela, puis à nouveau un an plus tard en France.
Inutile de dire qu’il est un habitué des canaux de communication d’extrême droite.
L’affaire Marjani a refait surface fin 2022, et Stan Maillaud y est explicitement cité.
L’affaire Mia
L’affaire commence le 13 avril 2021 quand la petite Mia, confiée à sa grand mère maternelle est enlevée par deux hommes. Elle est retrouvée en Suisse quelques jours plus tard, en bonne santé avec sa mère. Immédiatement, celle qui avait perdu la garde de sa fille est mise en examen pour « enlèvement de mineur de 15 ans en bande organisée » et « soustraction de mineur par ascendant ».
Rapidement, l’affaire prend une autre tournure. Les juges d’instruction se dessaisissent au profit du parquet anti-terroriste. La jeune femme, qui s’était rapprochée de One Nation a été mise en contact avec un groupuscule d’extrême droite qui planifiait un coup d’état (décidément!) : DW Renversement. Le chef de cette cellule vit en Malaisie, il s’appelle Rémy Daillet.
Dans ce dossier on retrouve à la fois les citoyens souverains, Qanon, des théories vaseuses et antisémites. Et encore une fois, cette proximité chez les complotistes entre la lutte contre les pédophiles (avérés ou non) et la volonté de renverser l’État.
Karl Zéro et le documentaire 1 sur 5
Tout le monde connaît Karl Zéro. Le journaliste grande gueule de Canal+ a quitté le paysage audiovisuel depuis un moment pour réaliser des documentaires, en moyenne un par an depuis 2005.
En 2021, il sort « 1 sur 5 », un véritable réquisitoire contre la pédocriminalité à l’adresse des candidats à l’élection présidentielle. Le documentaire d’1h30 est un assemblage de témoignages et d’interviews d’activistes, mais plus pernicieux, c’est Karl Zéro lui-même qui sert de fil rouge entre chaque invité et qui présente la France comme « une machine à étouffer la vérité », quitte à s’éloigner de la teneur des interviews.
Le postulat est là : un enfant sur cinq est victime de violence sexuelle, et une élite politique et médiatique intouchable empêche la justice de se faire.
C’est là qu’on peut identifier les dérives complotistes (et ça ne sera pas la dernière), en particulier quand il s’agit de dénoncer les pédophiles.
Mk-Ultra, Pedopolis, L’heure de se réveiller et autres facéties franchement complotistes
Nous venons de voir une tendance générale, dont le danger est réel et qui trempe allègrement dans un complotisme d’extrême droite. Cependant, dénoncer les élites pédophiles est tout à fait cohérent avec des théories complotistes plus ésotériques.
On retrouve par exemple Alexandre Lebreton, animateur du site MK-Ultra et grand pourvoyeur de théories du complot impliquant des enfants. Ces mêmes théories se retrouvent dans les colonnes de Wanted Pedo, mais aussi d’autres sites comme Pedopolis.
Ces théories complotistes mêlent tout le gloubi boulga habituel de cette scène : Aleister Crowley, adrénochrome, affaire Epstein, réseaux pédophiles et maçonniques…
Les accusations partent dans tous les sens au risque de finir au tribunal comme la chaîne Youtube « L’heure de se réveiller », condamnée pour une vidéo s’en prenant au groupe NXIVM avec son programme éducatif douteux, au sein d’une école française. Il y aurait sûrement beaucoup à dire sur l’enseignement privé hors contrat en France, mais à force de tout mélanger, ça devient compliquer de trier le bon grain de l’ivraie.
Balanciaga et les peluches BDSM
Alors oui, dit comme ça, ça sonne un peu bizarre. Pourtant, Balanciaga est la marque spécialiste de la provocation à destination de la bourgeoisie. Rien ne devrait donc nous étonner. Pourtant en novembre 2022, la maison de haute couture diffuse une nouvelle campagne qui comme à son habitude, renchérit sur la précédente.
Comme raconté ici, la complosphère s’empare de l’affaire et tisse ses propres liens sur fond de satanisme, quitte à accuser au hasard.
« Aux États-Unis notamment, pays très marqué par la religion, certains n’hésitent pas à parler de satanisme et viennent même jeter avec l’eau du bain le travail de Lotta Volkova ancienne styliste de Vetements, qui a longtemps fait parti des proches de Demna Gvasalia. Alors qu’elle n’a jamais collaboré à aucune une campagne Balenciaga, la styliste s’est vue associée à la polémique via la diffusion à grande échelle de plusieurs images tirées de son compte Instagram. »
En fin de compte, la marque s’est excusée et a annulé deux campagnes de pub, dont l’une peut être plus douteuse encore qui mettait en scène un document officiel d’une cour de justice américaine sur la pédopornographie. À force de flirter avec le mauvais gout et la provoc’, c’est le risque.
Les USA, les QAnon et l’obsession pédophile
Les paniques collectives aux USA
Dans l’histoire récente, les disparitions d’enfants ont profondément marqué les américains. Le 25 mai 1979, le jeune Etan Patz disparaît en se rendant à l’école. Il ne sera jamais retrouvé. L’émotion est grande dans tout le pays. La fiche de recherche est même publié sur des milliers de bouteilles de lait. Ces mêmes bouteilles que l’on lit le matin en mangeant ses céréales. Il faudra attendre 40 ans pour que le meurtrier du jeune Patz soit condamné, avec tous les doutes qu’impliquent ces cold case.
C’est une génération entière qui a pris son petit déjeuner en compagnie d’enfants disparus. Le 25 mai deviendra même la journée internationale des enfants disparus.
L’alerte enlèvement
L’alerte enlèvement naîtra en 1996, après le meurtre de la jeune Amber Hagerman. La même année, en France, Marion Wagon âgée de 10 ans disparaît, c’est cette année là que les photos sur les bouteilles de lait seront expérimentées chez nous. L’histoire se terminera mal, encore une fois.
Les avis sur les bouteilles de lait finiront par disparaître avec l’apparition de l’Amber alert. Plusieurs critiques avaient finit par être soulevées, notamment le sentiment de danger permanent que ça induisait. Mais aussi, un véritable problème se posait : la sélection des enfants disparus dont on imprimait le portrait était biaisée. Pire, c’est une surreprésentation d’enfants blancs.
Le syndrome de la femme blanche disparue est largement documenté. Il s’agit d’une médiatisation plus importante des disparitions de femmes blanches en comparaison aux femmes non-blanches, pourtant plus exposées aux violences. La critique sur les Milk carton kids relève du même mécanisme.
Puis admettons le, avec le déploiement d’internet, du mobile et de la télévision absolument partout, l’alerte enlèvement est beaucoup plus efficace.
Une réalité statistique… et inquiétante
Nous qui sommes habitués aux récits policiers dans la pop culture prenons assez mal l’ampleur du phénomène. En 2015, une année comme une autre, le FBI relevait près de 450 000 disparitions de mineurs. Ces statistiques intègrent les fugues, les fausses alertes, les conflits parentaux… mais demeurent tout de même un chiffre inquiétant de mineurs de moins de 21 ans qui disparaissent plus durablement. À la fin de cette année là, il demeurait près de 33 000 enfants non retrouvés. Notez bien ce chiffre, il reviendra souvent.
Sans surprise, ces disparitions mystérieuses alimentent largement la culture populaire. Le temps long des enquêtes, parfois infructueuses, favorise les thèses les plus farfelues.
La réalité est parfois atrocement prosaïque, mais on trouve aussi de vrais réseaux de traite humaine, où parfois les enfants se comptent pas dizaine.
Nous avons ici la matière pour expliquer un traumatisme collectif profond. Naturellement, à l’image de l’influence sur la pop culture, ces évènements sordides jouent beaucoup sur l’imaginaire des complotistes : des réseaux pédophiles kidnappent des milliers d’enfants. Cette génération qui prenait le petit déjeuner avec la photo du jeune Etan a grandit et a eu des enfants à son tour. Et tout parent sait à quel point l’inquiétude pour ses enfants est immense.
Les théories
Donc, reprenons. Nous avons vu que toute une génération d’américains était très marquée par l’histoire récente. On a également vu des collectifs citoyens en France qui ont fait de la pédocriminalité une obsession. Et enfin, des complotistes qui déraillent complètement et qui relient un peu tout et n’importe quoi : franc-maçonnerie, antisémitisme, satanisme, tous pédophiles !
Beaucoup de ces théories sont importées des USA. Et ces dernières années ont été riches en théories du complot.
L’affaire Epstein
Il s’agit ici d’une vraie affaire. Jeffrey Epstein est un milliardaire qui a fait fortune dans la finance. En 2019, il finit par être arrêté pour toute une série de viols sur des mineurs (des dénonciations qui datent de dix ans, pour certaines). Il se suicide dans sa cellule. Seulement voilà, Epstein avant d’être un pédocriminel était surtout connu pour être un homme avec un réseau de relations plutôt célèbres et influentes. Son suicide devient ainsi sujet à controverse : qui a voulu le faire taire ?
Une réalité prosaïque s’oppose alors à une version complotiste, s’il a mis fin à ses jours c’est qu’il en savait trop, version plus séduisante qu’un homme face au déshonneur et à la culpabilité. Forcément, comment a-t-il pu passer si longtemps à travers les gouttes ? Et à partir de là on peut extrapoler à peu près tout et n’importe quoi.
Seulement, parmi les relations de Jeffrey Epstein il y a les Clinton. Bill Clinton, suite à une sombre affaire de cigare avait révélé des mœurs plutôt légères (rappelons tout de même que Monica Lewinsky était la maîtresse du président, pas une victime d’agression). Mais Hilary Clinton ? Pourquoi pas Donald Trump ! Tout le monde y passe.
L’affaire Epstein vient se greffer dans un paysage où un candidat anti-système surfe sur une vague complotiste, avec un fond antisémite.
Qanon et le pizza gate
Encore une fois, ça commence par une vraie affaire. En 2015, Wikileaks met en ligne 30 000 mails venant d’un compte privé d’Hilary Clinton alors qu’elle était secrétaire d’état, et aux USA, on ne rigole pas avec ce genre de choses. C’est l’affaire des courriels.
Nous sommes en novembre 2016, à la veille de la dernière ligne droite des élections aux USA. Coup de théâtre à quelques jours du scrutin, le FBI annonce la réouverture de l’enquête. Hilary Clinton est opposée à Donald Trump et pourrait bien l’emporter. Seulement l’agence a de nouveaux éléments, des mails trouvés dans un autre ordinateur et qui incriminent Anthony Weiner, l’ex mari d’une collaboratrice de la candidate. C’est la stupeur.
Énième rebondissement (plot twist en anglais), le même directeur du FBI referme l’enquête car ces nouveaux éléments ne menaient nul part. On peut se dire quand même que tout ça pour ça, et dans cette séquence, c’est une malheureuse coïncidence.
4Chan et le pizza gate
C’était sans compter l’éternel germe des thèses complotistes, 4chan, la fosse des enfers. Parce qu’entre temps, à peine l’affaire remise sur le devant de la scène, c’est l’effervescence. Rendez-vous compte, nous sommes en plein milieu de la séquence où l’alt-right est en train de se constituer comme telle sur 4chan.
Le nom de John Podesta, directeur de campagne pour Clinton est mis en cause sur le forum. Le hashtag #pizza-gate apparaît, avec une adresse, une pizzeria de la capitale. Il s’y passe des choses, les affirmations fusent, pas les preuves.
Un mois plus tard, Edgar Maddison Welch rentre dans cette pizzeria pour trouver des preuves et libérer des enfants captifs dans le sous-sol du restaurant. Il fera un blessé et n’a libéré aucun enfant.
Petit aparté : en 2020, le gérant d’une pizzeria parisienne « Pizza girl » reçoit des menaces. Il a trouvé malin de nommer ses pizzas avec des noms de femmes, ce qui a finit, 30 ans après sa création, par attirer les regards. Chaque pizza serait un code dans un réseau de trafic d’enfant, à l’image du pizzagate de Washington. L’affaire finir par s’éteindre d’elle même.
Qanon
Donald Trump est élu le 8 novembre 2016. Quelques temps plus tard, sur le forum 4chan (ça vous dit quelque chose ? nous aussi), un certain Q se met à diffuser des messages cryptiques. Une communauté se forme autour de ces révélations floues qui reposent sur des interprétations.
Dans ce contexte d’affaire Clinton ou Epstein, on arrive très vite à des thèses complotistes qui mettent en scène le tout Hollywood, les démocrates, les communautés immigrés et LGBT, un peu tout et n’importe quoi selon les obsessions du moment, mais on en revient à peu près toujours aux élites pédophiles et satanistes. Et Donald Trump est la bonne personne pour s’en prendre à eux (l’état profond) et sauver les enfants.
Les Qanon étaient nés.
Même si on connait le fin mot de l’histoire et qui se trouve derrière Q, la communauté croît et se développe partout dans le monde. Pendant quelques années, c’est même la pointe de toute lutte antisystème. Q égraine ses messages et la communauté scrute l’actualité quotidienne pour relier des fils entre eux et donner un sens aux évènements du monde.
Finalement, même après la défaite de Trump qui n’aura pas pu sauver les enfants cultivés par les élites du deep state pour leur adrénochrome. Mais la communauté perdure et pèse dans le paysage politique. Informelle, elle est susceptible de se raccrocher au prochain pseudo-messie qui leur proposera un récit cohérent.
Les moles children
Et en parlant d’enfants captifs, il est nécessaire de parler des Mole children, les enfants taupes.
Dans l’inconscient collectif américain, les hobos, ces sans abris qui disparaissent au rythme des trains ont profondément marqué l’histoire et la littérature. Dans le même inconscient, comme nous l’avons vu, les enfants disparus tous les ans ont beaucoup marqué. Toujours dans le même imaginaire, on retrouve les métropoles tentaculaires avec ces réseaux souterrains.
Mettons tout ça dans une grande marmite, touillons un peu, et hop! Les enfants taupes sont là. Bon, soyons clairs, on ne sait pas si ces enfants sont là pour être abusés par les pédophiles satanistes ou alors élevés comme du bétail pour prélever l’adrénochrome, ou les deux. Toujours est-il que les complotistes de Qanon l’affirment, il y a 33000 enfants dans les sous-sols new-yorkais.
Nous sommes en avril 2020, la pandémie de Covid explose aux USA. Le gouvernement fédéral dépêche un navire hôpital dans le port de la grosse pomme. Il s’agit de délester les hôpitaux de la ville qui sont en voie de saturation. En tous cas, c’est la version officielle, parce que les Qanon ont compris, l’armée vient libérer les enfants captifs, et ce parce que Trump s’oppose enfin à l’état profond. Le Covid d’ailleurs n’est qu’une couverture, le virus n’existe pas.
Même en plein Central Park, des tentes apparaissent, l’aide un peu délicate d’une association évangéliste ultra-conservatrice à la lutte contre le covid et le manque criant de places de réa dans la ville. Ce qui se passe en sous-sol est si secret que nous ne verrons aucun enfant en sortir.
Le canal de Suez
On finit ce passage en revue des obsessions complotistes sur les réseaux pédophiles avec l’affaire du canal de Suez. En plein confinement, le navire Evergreen se met de travers et bloque le canal. Evergreen, c’est le nom de code que les services secrets ont donné à Hillary Clinton. Troublante coïncidence.
Encore une fois, les actualités du monde sont de nouveaux points à relier avec des fils, comme un grand jeu d’énigmes à jouer ensemble. Néanmoins, une fois le navire désensablé et reparti, les caméras passent à autre chose et les complotistes aussi.
Le tout Hollywood
Harvey weinstein, Woody Allen, Roman Polansky, on pourrait égrainer les noms des stars ayant agressé ou étant coupable de détournement de mineurs (l’autre nom pour la romance avec une fille trop jeune). C’est l’époque #Metoo et c’est un moment d’intense chamboulement où les paroles se libèrent en cascade.
D’ores et déjà, nous répondrons que non, ce n’est pas tout Hollywood, et que ce milieu (en général démocrate) n’est pas non plus le fer de lance de l’élite pédocriminelle. Nous pourrions en revanche souligner que les stars attirent les regards et mettent en lumière des histoires qui arrivent dans l’ombre, plus près de nous. Ou qu’argent et pouvoir sont des leviers pour imposer des relations non sollicitées.
Mais surtout, nous nous méfierons de cette tendance complotiste à interpréter les patronymes et d’en tirer des conclusions antisémites.
De l’autre côté, le rêve hollywoodien ne se soustrait jamais au culte du héros, et c’est prégnant même dans les théories du complot. Mais il s’agira de piocher dans le registre des hommes blancs catholiques et républicains.
Les vatniks accusent les NAFO’s
Un vatnik c’est un activiste pro-russe. Et ils pullulent. La rhétorique est celle des Qanon et de la plupart des complotistes, où pédophilie et violences sur les enfants font parti des obsessions.
Pourtant la Russie qui est à la barre dans une partie de ces affaires de désinformation n’agit pas mieux sur le terrain. La campagne de guerre menée par Moscou est le cadre d’horreurs, quand ce ne sont pas des trafics d’être humains. Pour la dénazification, vous repasserez.
On trouve également en Russie des collectifs équivalent à Wanted Pedo et consorts. Ça s’appelle Occupy pedophilia et est finalement plus une milice néo-nazie spécialisée dans la chasse et la violence contre les LGBT. L’homophobie est récurrente quand on parle de pédophilie.
Hunter Biden
On vous a parlé de Hunter Biden récemment. Le fils du président est au cœur de plusieurs thèses des Qanon. Ces histoires viennent souvent de 4chan (ça ne vous dit rien ce nom? nous si…), où on parle de bases secrètes, de laboratoires d’armes biologiques et de tunnels pour la cabale.
En réalité, Biden est un homme d’affaire. Comme nous l’avons vu, les milieux complotistes entretiennent une rancœur tenace contre Hollywood, les milieux politiques … et la finance (avec Esptein par exemple). Une analyse matérialiste en conclurait que le problème vient de la classe bourgeoise. Mais les vatniks, parfois admirateurs de l’URSS ne sont pas matérialistes, loin de là.
Hunter Biden a été accusé d’avoir consommé de la cocaïne et d’avoir recours à des prostitués, ce qui ne grandit pas le personnage, enterre son hypothétique aura de pureté. La suite se fait par association : on vous la fait courte, le fils du président (qui était numéro 2 d’Obama avant Trump) est dans la chimie en Ukraine. Un leak provenant d’un prétendu disque dur de Hunter est révélé, et on y trouve des images pédophiles.
La guerre en Ukraine c’est surtout un moyen pour l’OTAN d’effacer les traces de Hunter Biden (évidemment !)
Scott Ritter
Scott Ritter est un ancien militaire américain qui s’est illustré après la guerre du Golfe pour ses critiques contre les USA. Bon, c’est un opposant comme un autre.
Mais le paradoxe de cette histoire est qu’il est arrêté en 2009, piégé par un agent de police. On peut critiquer la méthode, ce n’est pas l’essentiel ici. Depuis qu’il est sorti de prison en régime de liberté conditionnelle, il s’illustre dans différents médias. Et plus particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine, il prend ouvertement parti pour la Russie. Il est alors lui même soutenu par les vatniks qui font moins la fine gueule sur les affaires de moeurs.
Par exemple ici, le parti de Jacques Cheminade ou encore Riposte laïque. Depuis le début, il se sera trompé sur tout. C’est le Xavier Moreau (stratpol) américain.
L’affaire de l’enfant crucifié de Sloviansk
Enfin, nous finirons par cette affaire particulièrement sordide (ok, le reste l’était déjà). Nous sommes en 2014, le Donbass est l’objet de vives tensions, l’Ukraine est en train de se déchirer. A la télévision russe, un reportage montre que des militaires ukrainiens ont emmené un enfant de 3 ans pour le crucifier sur la place publique.
Un fake absolu qui va marquer le début d’une communication souvent grossière de la partie russe. Ce qui est à noter ici, malgré le fait qu’il ne s’agisse pas d’une affaire d’agression sexuelle, c’est la grammaire utilisée. Il s’agit du même mécanisme : l’ennemi s’en prend aux enfants, un type de communication mensongère utilisé par ailleurs en 1990 avec l’affaire des couveuses, un mensonge qui avait permis de toucher l’opinion publique et d’aquérir son soutien.
Et que font les debunkers contre les pédophiles ?
La pédocriminalité existe pour de vrai, c’est un fait. Nous aurions pu développer d’autres aspects de véritables réseaux existants ou parler de l’affaire Matzneff. Évidemment qu’il y a de quoi soupirer quand la fédération française de football est mise à mal par un mauvais mot sur Zinédine Zidane, mais que les affaires soulevées dans la presse par le journaliste Romain Molina n’ont pas fait beaucoup de bruit. Et que dire de l’Église et du Vatican qui ont couvert d’innombrables viols depuis des décennies.
Alors qu’est ce que font les debunkers contre les pédophiles ? Parce que c’est bien de dénoncer, mais on vous entends pas trop sur les « vrais problèmes ». Ce genre de discours, nous l’entendons régulièrement.
Comme nous l’avons montré plus haut, si ces affaires sont documentées, c’est qu’elles finissent par éclater, et pas grâce aux complotistes. Il y a malgré tout un état de droit, une police qui enquête et une justice qui juge. C’est souvent très long.
Nous rappellerons ensuite que notre objectif est de documenter les réseaux complotistes et d’extrême droite, pas les réseaux de traite humaine et que voir des réseaux pédophiles partout relèvent de ce type de pensée.
Enfin, la plupart des violences sexuelles ont lieu dans un cercle rapproché. Pas une élite maçonnique, mais dans le cadre familiale. Et il a des statistiques sur ces violences, pas de secret.
Pourquoi cette obsession ?
Pour conclure, nous allons tenter de résumer le pourquoi de cette obsession.
- Les disparitions d’enfants ont marqué ces dernières générations, en particulier avec la généralisation des alertes.
- Tout parent connaît cette inquiétude qu’on nourrit pour ses enfants. Et cette peur mène parfois à des théories et discours irrationnels.
- L’exploitation des enfants existe bel et bien dans le monde, malgré un consensus pour la condamner.
- Les victimes sont tout de même assez nombreuses, et il est logique de retrouver parmi certaines personnes qui analyseront l’ensemble du monde sous le prisme de leur trauma.
- Enfin, les propagandistes ont tout intérêt de profiter de cette peur en l’utilisant à des fins politiques.
Les conséquences de l’obsession des complotistes pour les pédophiles sont multiples :
- Les rumeurs relayées par les réseaux complotistes peuvent mener à l’engorgement des systèmes d’aide officiels. Comme le raconte cet extrait :
« Le 20 juillet, un communiqué de presse de l’association Polaris, qui maintient un central d’appel national sur les trafics d’êtres humains, faisait état d’un grand nombre d’appels liés à cette rumeur sans fondement et rappelait que ceci avait empêché le central d’appel de répondre à de véritables demandes d’aide. »
- Des accusations à tort et à travers. Ça atténue l’effet du call-out et ça laisse quand même des traces sur des personnes innocentes accusées parce que leur profil collait à la version complotiste.
- Ces collectifs n’apportent pas d’aide. Pire, dans les cas d’enlèvement, ça aggrave les choses.
- Quand une personnalité adoubée par le milieu complotiste se révèle être elle même d’une moralité douteuse, l’intransigeance n’est pas de mise. Une géométrie variable que l’on retrouve dans tous les milieux, mais qui jure quand il s’agit de « chercheurs de vérité ».
- Les accusations sont toujours dirigés contre des politiciens, des financiers ou Hollywood. Des personnes médiatisées et influentes en somme. Cette construction politique implique la diabolisation de l’autre, ainsi qu’une lecture simplificatrice qui colle au récit conspirationniste.
Rappelons que l’essentiel des violences sexuelles sur mineur se fait dans le cadre de la famille, loin de réseaux souterrains exotiques. - Corollaire de l’argument précédent, cette diabolisation repose sur des stéréotypes largement éprouvés : les Illuminatis, les francs maçons, les juifs…
- Enfin, il est difficile de concilier une critique des institutions et de ses élites en comptant sur ces mêmes institutions pour faire justice. Le risque est un recours à l’auto-justice.
Pour éviter de se faire justice soi-même, vous pouvez signaler un fait ici.
En savoir plus :
- Affaire Mia : un enlèvement d’enfant sur fond de complotisme – Complorama
- Vivès : au nom de l’« art » – article de Suze l’araignée pour le blog de Mediapart
- Inceste et pédocriminalité – Arte Radio