Faire le lien entre Macron et une figure mystico-religieuse comme le Moloch, c’est possible ? Bien sur, tout est possible !
En général quand les Debunkers « ouvrent » une nouvelle série sur un sujet en particulier, c’est que nous avons pu constater un emballement des fachosphère sur ce même sujet. Et en l’occurrence, lorsque nous avons commencé notre série sur « les obsédés du satanisme » (hommage Baphomet inside), c’est bien parce que nous constatons depuis plusieurs années cette tendance de fond: une croyance grandissante au satanisme faite en même temps de « références chrétiennes classiques », d’intégrisme religieux, et de références new age ésotériques absconses.
Nous avions particulièrement pu le démontrer dans notre premier article où des intégristes fascistoïdes ressuscitaient une référence obscure mal comprise du moyen-age pour l’assaisonner à leur sauce de croyances personnelles digne de l’horoscope Télé7jours ou de la « voyance » la plus minable sur internet:
1) Un tee shirt=une théorie du complot
Il n’en faut pas beaucoup à ces gens. Le moindre sigle, chiffre , etc… et c’est immédiatement des centaines d’illuminés qui vont aller vous abreuver de leurs connaissances ésotériques fragiles. Rappelez vous pendant le premier confinement de ceux qui confondaient un oryctérope avec Anubis, le dieu de la mort égyptien ou cherchaient le « chiffre de la bête » dans des souris de labo…
Bref, la vidéo de Macron sur Tik Tok a fait un tabac chez eux. Non pas à cause de ses explications sur le vaccin anti covid ou le pass sanitaire, non à cause de son tee shirt…
Et alors nous direz vous? Le monde la mode est empli de symbole divers et variés et de références plus ou moins explicites à des mythes (exemple très connu: Nike). Et bien parce que le problème ne vient pas de l’émetteur, mais bien du récepteur, ou tout du moins de certains récepteurs persuadés que le monde est dirigé en loucedé par diverses sectes satanistes qui laissent traîner derrière elles des petits cailloux blancs pour que de courageux et intelligents éveillés puissent détecter le pot au rose et alerter la bande de moutons que nous sommes pour les éveiller aussi.
- Ça vous parait gros? Ça l’est.
- Ça vous parait un truc de fondus illuminés intégristes? Ça l’est.
- Ça vous parait notoirement débile? Ça l’est aussi
Car il faut bien constater que cette histoire de symbole su un pauvre tee shirt a bien affolé cette fachosphère:
D’aucuns y ont même vu le lien (évident pour eux bien entendu), avec le groupe secret « Bohemian Club » ou encore avec les sacrifices imaginaires d’enfants, chers à QAnon:
Tout ca n’est pas très sérieux, mais tentons d’entrer dans la tête de ses gens pour comprendre.
2) Qui est « Moloch »?
Et bien c’est un gros problème historique, parce qu’en fait, personne ne sait vraiment. Le nom de « Moloch » est abondamment cité dans la Bible. Dans la Bible, le culte de Moloch est lié à des sacrifices d’enfants par le feu. Le livre du Lévitique condamne fermement cette pratique [Lv 18:21]:
21 Tu ne livreras pas quelqu’un de ta progéniture pour le faire passer à Molek : ainsi, tu ne profaneras pas le nom de ton Dieu. Je suis le Seigneur.
D’autres allusions apparaissent dans les « Rois »: 21,6 et 17,17 pour y être à nouveau cité 23, 10:
- Le roi souilla Topheth dans la vallée des fils de Hinnom, afin que personne ne fît plus passer son fils ou sa fille par le feu en l’honneur de Moloc.
« Moloch » est généralement compris comme le nom d’une divinité. Cependant l’existence d’un dieu spécifique nommé Moloch a été mise en doute par l’absence de découvertes archéologiques, qui viendraient confirmer l’existence d’un tel culte, car, à ce jour il n’y a à ce jour aucune inscription faisant mention de ce dieu…
Un seul texte écrit par Porphyre de Tyr signale que Théophraste avait comparé le sacrifice de la Lykaia arcadienne avec les sacrifices carthaginois au dieu Moloch. Les auteurs classiques indiquent que des sacrifices humains d’enfants étaient pratiqués en Phénicie et à Carthage en temps de guerre. Cependant, la question de la réalité des sacrifices d’enfants dans la civilisation carthaginoise reste débattue, et il n’existe pas de preuve archéologiques que des sacrifices d’enfants aient été pratiqués en Phénicie. Le témoignage de ces auteurs antiques peut témoigner d’une volonté polémique pour dénigrer la Phénicie, la patrie d’origine des Carthaginois ( George C. Heider, « Molech », dans K. van der Toorn, B. Becking et P. W. van der Horst (dir.), Dictionary of Deities and Demons in the Bible, Leyde, Boston et Cologne, Brill, , p. 581-585 ).
Certains auteurs ont voulu comprendre, suite à la découverte des stèles sur le site archéologique de Carthage portant l’inscription mlk, interpréter ce mot ni comme roi, ni comme le nom d’un dieu mais ont suggéré l’idée que moloch pourrait être le nom du sacrifice par le feu et non celui d’un dieu. Dans cette éventualité, le mot molk serait un mot sémitique désignant un sacrifice humain, dont la victime est parfois remplacée par un animal.
Là où la Bible lit « pour faire passer leurs fils et leurs filles par le feu à Moloch », il faudrait plutôt lire « pour faire passer leurs fils et leurs filles par le feu de molk », le feu « du sacrifice ».
Comble des analyses sur ce sujet, certains chercheurs établissent un lien entre Moloch et le dieu des Israélites Yahweh! Pour Klaas A.D. Smelik, Moloch est une invention de la période perse pour masquer le fait que le culte de Yahweh pratiqué dans le royaume de Juda ait pu inclure des sacrifices d’enfants. Selon Thomas Römer, derrière « Moloch », « interprétation tendancieuse » effectuée lors de la vocalisation du texte hébraïque entre le IVe et le Ve siècle, se cache le vocable « Melek », c’est-à-dire « le roi », une désignation de Yahvé. Il est en effet possible que l’on ait sacrifié des enfants à Yahvé, ces sacrifices étant par la suite attribués à Moloch. Cette pratique disparaît à partir du VIe – Ve siècle av. J.-C. et ce tournant trouve son illustration dans le récit du sacrifice d’Isaac. Cependant, rien n’est moins sûr.
Le souci majeur c’est que la figure biblique de Moloch s’est trouvé amplifiée par des analyses farfelues ultérieures et l’iconographie du 19ème regorge de ses images:
On se souviendra également du Moloch du livre « Salammbô » de G. Flaubert:
On les considérait comme des maîtres cruels, que l’on apaisait avec des supplications et qui se laissaient corrompre à force de présents. Tous étaient faibles près de Moloch le dévorateur. L’existence, la chair même des hommes lui appartenaient ; aussi, pour la sauver, les Carthaginois avaient coutume de lui en offrir une portion qui calmait sa fureur. On brûlait les enfants au front ou à la nuque avec des mèches de laine ; et cette façon de satisfaire le Baal rapportant aux prêtres beaucoup d’argent, ils ne manquaient pas de la recommander comme plus facile et plus douce.
Mais la conclusion de tout ceci est implacable: « Moloch » est une pure invention de la Bible hébraïque et ne possède pas de réalité archéologique patente. Ajoutez y les reprises hébraïques du moyen age, ainsi que les délires new age du 19ème et nous voici donc à contempler une image fantasmatique de croque mitaine tout juste bonne pour les enfants. Du coup, Moloch, ça peut être n’importe qui ou n’importe quoi, comme Macron par exemple.
3) Alors quel est ce délire?
Nos complotistes ont exhumé trois délires:
- le symbole de la chouette
- l’association avec le « Bohemian Grove »
- Les sacrifices d’enfants
Effectivement, le logo du tee shirt de Macron semble bien une chouette stylisée, mais au final, bien malin qui pourrait le dire réellement vu que l’Elysée ne s’exprime pas à ce sujet (et à la limite on le comprend). Problème: quasi nulle part la chouette n’est elle associée au culte de Moloch (enfin le soit disant culte). Les seuls endroits où elle l’est c’est dans les articles fantaisistes des conspis fascisants qui reprennent leurs délires sur le « Bohemian Grove ».
Nous avons trouvé un article qui résume ces délires et ce n’est pas triste. Vous pouvez le consulter ICI.
Au milieu de références journalistiques invérifiables, mais colportées des milliers de fois sur la fachosphère, on y trouve des références édifiantes à des théoriciens du complots, plus ou moins délirants, mais toujours situés à l’extrême droite la plus radicale comme par exemple: David Icke, Anthony C. Sutton, Alex Jones, Cathy O’Brien.
On y trouve des éléments de vérité, mais déformés, comme décrit dans cet article de Slate.
Dans tous les cas, on comprend bien que toute cette histoire de Moloch/chouette/sacrifices humains, c’est du flan et du gros. Comme d’habitude nos complotistes en goguette ont voulu attribuer à un groupe plus ou moins occulte (mais pas secret) toutes les turpitudes de ce monde. L’ADN du théoricien du complot en quelque sorte. On n’a rien inventer depuis le complot judéo maçonnique…
A la lecture de cet article et la description de la cérémonie d’ouverture, on comprend également pourquoi certaines relient au Bohemain Club le thème des sacrifices d’enfants chers à QAnon. D’autant qu’il semble bien que le « BC » se soit opposé en tant que groupe à l’investiture de Trump avec le grand succès que l’on sait.
Les complotistes en conclurons que c’est la preuve que Trump avait bien été choisis pour « drainer le marais » de la « cabale », le « deep state », et que des groupes pédosatanistes existent; les plus rationnels en conclurons que ces groupes d’influence ne sont justement pas tout puissant et qu’ils sont en perte de vitesse depuis une décennie comme le Bilderberg d’ailleurs.
Que peut on conclure de tout cela?
Bien entendu, on pourrait gloser sur le fait que Macron soit sataniste et appartienne au « Bohemian Grove ». Que Macron pratique des sacrifices humains d’enfants au démon Moloch. Ou que Macron est le Moloch lui même. Certes, on pourrait. Mais si vous avez lu attentivement notre article et les liens, qu’on nous dise où se trouve le début de commencement de la moindre preuve de ceci!
On l’a vu la figure de Moloch est aussi fantasmatique que celle de Baphomet, qu’aucune preuve archéologique ne vient corroborer l’existence d’un tel culte. Que cette figure voit son image fantasmatique effrayante a été renforcée par des écrits rabbiniques au moyen age, toujours sans la moindre preuve, puis au 19ème par une imagerie new age. Et qu’enfin cette imagerie est abondamment reprise aujourd’hui par les théoriciens du complot affamés de croyances ésotériques new age.
Et qu’enfin, jusqu’à preuve du contraire, aucun des délires de ceux ci n’est corroboré, si ce n’est pas des gens connus pour leur propagande d’idéologues fascisants et leur propension à inventer de toutes pièces de jolies histoires de contes de fée.
Bref avec des preuves et des faits comme ceux ci, on peut affirmer sans crainte que si les scientifiques ayant travaillé sur internet avaient travaillé de la même façon qu’eux, nos conspis ne seraient pas là aujourd’hui à nous beurrer la biscotte sur des sujets aussi grotesques.