Le DOGE d’Elon Musk est-il un pur objet de la culture Qanon ? La question se pose, surtout avec cette courte vidéo qui nous est parvenue.
Le dimanche 16 février 2025, dans la soirée, une amie des DBK nous fait parvenir cette courte vidéo provenant d’Instagram. Cette séquence, par son montage, ses choix, raconte énormément de choses. L’idée d’un article s’est imposé en quelques minutes.
Avant de regarder cette vidéo de plus près, nous allons regarder de plus près qui relaie ce réel (le format vidéo d’Instagram). Il s’agit d’une page appelée DOGE official, qui partage et diffuse des memes, à la couleur Qanon, à la gloire de l’agence créée pour Musk et destinée à détruire un grand nombre d’institutions en vue de faire des économies.
Ce compte créé récemment (le DOGE ne date lui même que du 20 janvier) contient déjà un grand nombre de publications, des images et vidéos piochées à droite, à gauche (enfin… plus à droite qu’à gauche) et a rassemblé plus de 800 000 abonnés. La page s’approprie l’imagerie du Dogecoin, une cryptomonnaie populaire chez les MAGA, dont le logo est un chien Shiba.
La page est adossée à un site internet intègrant une boutique en ligne, qui propose du merchandising à la gloire de l’agence.
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C’est donc ce compte là qui a posté la vidéo qui nous intéresse aujourd’hui.
Analyse de la vidéo
La vidéo n’a pas été conçue par le compte Doge Official. L’administrateur s’est contenté de rajouter le logo dans une partie vide. La raison en est simple : le format original est en 16:9 (à l’horizontal) alors que le format short/réel est vertical, en 9:16.
Durant ces presque deux minutes, nous pouvons identifier une petite histoire : le temps de la revanche est venu (les dominos) et les coupables seront punis (et même pendus).
Nous pouvons déjà identifier deux films, une chanson et onze photos. Au boulot !
Le contenu
Toute la séquence des dominos est tiré de la scène finale du film V pour Vendetta (2005), adaptation du comics scénarisé par Alan Moore. Nous en avions déjà parlé, mais l’imagerie issue du film a largement inspiré différents mouvements de contestation, à commencer par les Anonymous qui s’étaient appropriés le masque de Guy Fawkes. Rapidement, l’esthétique a commencé par être récupérée par des mouvements plus composites, d’extrême droites et complotistes, jusqu’au Capitole et Brasilia.
Les images de cordes et de pendus viennent d’un classique, un bon vieux western, Pendez-les haut et court (1968). On y suit Clint Eastwood, victime d’une agression, suivre un chemin de résurrection et devenir celui qui ira, incarnant désormais la loi, pourchasser ceux qui ont voulu le tuer. On peut y voir un prototype du vigilante movie, genre où le protagoniste se fait justice lui-même.
Les cibles
Et bien sûr, ça en dit long. Prenons les dans l’ordre :
- Les anciens présidents démocrates à l’inhumation de l’autre ex-POTUS Jimmy Carter, décédé fin 2024.
- Bill Gates anime une conférence TED en 2010
- Anthony Fauci est l’ancien conseiller de Trump sur le Covid, qui s’est montré critique envers sa politique. Trump lui fait retirer toute protection dès le 20 janvier.
- Nancy Pelosi, ancienne présidente de la chambre des députés, elle est une fervente opposante à Trump. Son mari est agressé chez lui par un Qanon.
- En 2016, le FBI recommande de ne pas poursuivre Hilary Clinton dans l’affaire des e-mails.
- Alexander Soros est le vice-président de l’Open Society et fils de George.
- Tedros Adhanom Ghebreyesus était le grand patron de l’OMS pendant la pandémie.
- Larry Fink, pdg de Black Rock, entreprise spécialisée dans la gestion de fonds spéculatifs, incarnation du capitalisme le plus carnassier.
- Peut-on vraiment parler du récit autour du NOM sans parler de George Soros ? Le milliardaire qui a fait sa fortune sur la spéculation voit aujourd’hui sa tête épinglé en haut de la liste des « vilains » par son activité de financement de sa fondation « Open Society » et du parti démocrate.
- Klaus Schwab est l’organisateur du sommet de Davos. Il est régulièrement accusé de préparer de grands plans de contrôle et de manipulation des peuples, comme le great reset.
- Et pour finir, il nous fallait bien un Rothschild.
Ce que raconte la vidéo sur l’imaginaire Qanon
Qanon vs Diablo
Cette première vidéo nous a permis d’identifier son auteur (le @aanon55 sur le bas de la tv) et son compte Telegram. Peu prolifique, il nous propose tout de même d’autres matériaux intéressant, comme ici :
La piste son est un prêche chrétien évangélique « soldier of god » (dont l’auteur n’est pas clairement identifié, ça n’importe pas beaucoup ici.).
What else… Ce récit mettant en scène le camp du bien contre le camp du mal marque une recomposition de leur champ politique. Les adversaires deviennent les forces du mal. Un sociolecte pas franchement nouveau ; Bush, lui-même méthodiste (un mouvement se revendiquant du protestantisme évangélique), avait déjà usé jusqu’à la corde son discours sur l’Axe du mal.
Le récit Qanon comme matrice
Qanon n’a pas complètement disparu
Nous aurions pu nous attendre à la disparition totale de Qanon lorsque le monde a découvert que les Watkins (père et fils) en étaient à l’origine. Le patron du forum 8chan aurait joué à distiller des messages pendant des années. C’était déjà assez étonnant de voir le mouvement perdurer après la victoire de Trump en 2016 et toutes les promesses de démantèlement de l’État profond retomber comme un soufflé. Mais non, Qanon existe toujours.
Nous pouvons même le formuler ainsi, Qanon est devenu une composante de ce mouvement MAGA, qui arrive à unir une certaine Amérique rurale, l’alt-right, des complotistes, une partie de l’électorat latino pourtant menacé, etc.
Une étude montrait en 2021 que le mouvement Qanon avait en partie migré vers Telegram. C’est là que nous avons trouvé l’original de notre vidéo, sur un compte d’environ 500 abonnés. Ce n’est pas grand chose, non. Pourtant, on retrouve cette vidéo partagée sur différents comptes sur différentes plateformes en moins de 24h (Instagram, Youtube, Bitchute). Pas mal comme viralité, même si la plupart de ces posts n’ont peu ou pas de vues.
Mais pourquoi donc les Qanon se sentiraient-ils menacés, alors que déroulement des faits tend à les conforter dans leur vision du monde.
Le renversement de la réalité
Résumons. Le trumpisme est un récit. Qanon a permis de formuler une syntaxe propre à ce récit, un discours anti-système et complotiste. De société nouvelle, d’Homme de demain, il n’est jamais vraiment question. Au contraire, ce récit ne sait formuler qu’un mantra assez flou, « liberté ». Une liberté rendue impossible par la corruption (supposée) et la décadence, matérialisée par un état profond (Deep state).
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Le DOGE est le prolongement de ce récit Qanon, aux accents millénaristes, le combat du bien contre le mal, le combat final, épique, biblique.
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Qanon est un renversement de la réalité, un récit qui repose sur l’autojustification, et qui comble de lui-même les trous pour avoir réponse à tout. Des contradictions ? Peu importe, c’est un récit syncrétique. Les faits ? On s’arrange avec, ou même sans, peu importe, c’est la post-vérité. Qanon a développé ce récit qui se suffit à lui-même, une liturgie ultra plastique reposant sur les propos énigmatiques de Q, mais aussi un corpus de slogans et de références pop (films, séries).
Le DOGE comme fétiche, le rapport au sacré
Lorsque Trump confie le DOGE à Elon Musk, il matérialise un fantasme omniprésent dans les discours Qanon. C’est l’arme suprême contre les forces du mal. Peu importe que Trump incarne lui même tout ce que Qanon condamne, l’imaginaire lié au DOGE est tellement fort qu’il relève du fétiche, de l’incarnation du sacré.
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Que Musk fasse n’importe quoi, dise n’importe quoi et soit lui-même au centre de conflits d’intérêts en restant dirigeant de son groupe n’a aucun impact. Puisque l’enjeu est tel (lutter contre le mal, c’est pas rien non plus) que tout est pardonné.
Dans une démocratie, les institutions sont au dessus de tout. Elles relèvent du sacré, une sacralisation adossée à une histoire, des combats, des luttes (par exemple, la Boston tea party, est un élément important du folklore américain). Le DOGE est un instrument de désacralisation de ces institutions, une création du think tank Heritage Foundation, qui a conçu ce choc brutal dans son programme Projet 2025. Et tout ça est devenu possible par le travail de formulation de Qanon, plateforme qui a servi à Trump et son entourage pour écrire son récit.