La question du confusionnisme revient régulièrement. Mais de quoi s’agit-il ? Une chose est sûre, la définition du confusionnisme est pour le moins confuse. Et c’est justement tout l’intérêt de la chose, un objet difficile à appréhender qui pioche à droite à gauche qui se veut ni de droite ni de gauche. Un discours séduisant pour qui veut ne pas endosser une identité politique marquée.
Nous avons donc pris rendez-vous avec le professeur Débéka pour qu’il nous explique en quoi tout ça consiste.
Le confusionnisme, un grand mélange ou une stratégie ?
Q : Bonjour, professeur Débéka ! Alors rentrons dans le vif du sujet, comment définir le confusionnisme ?
R : Haaaaa le confusionnisme… Il faut imaginer un brouillard. Comme la brume est constituée de micro gouttelettes, le confusionnisme est un ensemble de références dans un discours qui brouille la vue. En fait, en lisant un texte confusionniste, on rencontre des difficultés à situer politiquement ce discours.
Q : On parle beaucoup d’Étienne Chouard au sujet du confusionnisme… est-il confus ?
R. Oui, absolument. Tout d’abord, Chouard n’est pas mentalement confus, son discours n’est pas confus. En revanche, par ses références contradictoires, il crée de la confusion. Ses idées reposent sur la souveraineté du peuple mais ne tient absolument pas compte des tensions qui le traverse. Il invoque la liberté d’expression comme un fétiche, comme l’expression suprême de la démocratie.
Le terreau fasciste
Q : Une question me brûle la langue, le fait-il exprès ?
R : En ce qui concerne Chouard, probablement pas. Il pense la question démocratique en terme institutionnel et ne semble pas comprendre les oppositions politiques. C’est l’idée ici que le peuple s’exprime par les voies constitutionnelles et donc que les rapports de force politiques internes n’ont pas d’intérêt, puisque chaque individu fait son choix en conscience et que seul les scrutins comptent.
Q: Ne me dîtes quand même pas que personne n’utilise ça comme méthode !
R : Bien sûr, certains ont compris l’intérêt de cette confusion. Rappelez vous le slogan de Soral « droite des valeurs, gauche du travail », ou encore le gramscisme de droite inventé par le GRECE. C’est ce qu’on voit dans le conflit social autour des retraites, on trouve l’extrême droite qui attaque des manifestants de gauche, mais qui organise ses propres manifestations. C’était également le rôle des gentils virus autour d’Étienne Chouard, une sorte d’armée mexicaine constitué de personnes peu formées politiquement accrochées à une idée, le RIC. En cherchant à faire la promotion de cette démocratie à tout prix, ils ont créé les conditions favorables à des porosités, matérialisées par des liens douteux comme avec le M14 de Fiorile.
Les mots ont un sens
Q : Pourtant Gramsci… Je nous vois mal à gauche nous identifier à Pierre Sidos par exemple…
R : C’est justement ça l’astuce ! [ndlr : en remuant son thé] L’extrême droite s’est lancée dans les années 70 dans une bataille des idées, mais le FN n’était pas très réceptif à l’époque, et le vieux borgne aimait trop provoquer pour atteindre le pouvoir. La surprise du 21 avril, c’est le résultat du travail de l’ombre : Jospin se plante parce qu’il tente de défier la droite sur son terrain, l’insécurité. Un coup de Papy Voise, la marseillaise sifflée au stade de France… qui a imposé ce thème dans le champ politique ? Un certain Jean-Pierre Chevènement, très bon exemple de confusionnisme, avec son Gaullisme de gauche. Les idées d’extrême droite infusent dans la société, notamment en tordant les mots et les références. On a tous croisé un facho invoquer Orwell, un antifasciste notoire. Le wokisme, la bien-pensance, le droit-de l’hommisme, on détourne les mots et les concepts.
L’origine du phénomène
Q : Mais d’où vient ce phénomène ?
R : Oh je suis un vieux chat, mais pas tant que ça. Je viens de vous parler de Chevènement qui a mené le PS sur les terres de droite. Allons moins loin si vous le voulez bien. En 2005, l’état français organise un referendum sur une constitution européenne. Le non l’emporte, le gouvernement ne respecte pas le résultat, ça a été un coup terrible pour toute une génération. C’est également l’année des émeutes dans les quartiers populaires et du CPE. Dans cette séquence, on assiste à un mouvement de rejet du schéma politique vertical traditionnel. C’est à ce moment que Chouard se fait connaître, mais dans les années suivantes, avec l’arrivée d’internet et une effervescence dans le monde, on assiste à des nouveaux mouvements politiques plus horizontaux : le mouvement du 15 mai, Occupy, les indignés, Nuit debout jusqu’aux gilets jaunes. Et encore, je mets de côté les révolutions arabes et la révolution orange…
Q : Ce sont pas des mouvements confusionnistes ?
R : Ça, c’est le contexte. En France par exemple, on assiste à une double dynamique : d’un côté, ces mouvements rejettent les références classiques mais ce corpus est tout de même bien utile, on ne part jamais d’une page blanche. De l’autre côté, on assiste à des formations politiques qui voudraient bien profiter de ces militants très déterminés. C’est l’histoire de l’UPR [nldr : formé en 2007] qui a voulu installer un stand au milieu des tentes des indignés à Bastille, le débat pour savoir si ils pouvaient rester ou non montre justement la problématique du confusionnisme. C’est aussi le moment où le masque de V s’impose. D’abord apanage des anonymous, il est récupéré par tout un tas de gens aux intentions très différentes, associant à l’image du personnage de comics des idées très différentes.
La politique se réinvente constamment
Q : Professeur… j’aimerais revenir sur ce rejet des partis politiques, ils ne sont pas tout blancs non plus dans cette histoire, c’est pas une bonne nouvelle de voir des jeunes vouloir réinventer tout ça ?
R : Oui, et c’est un phénomène normal, chaque génération vient secouer celle d’avant. Tant mieux ! Seulement, on ne peut pas non plus oublier ce qu’incarnent les forces politiques en présence : des valeurs très différentes. L’extrême droite, c’est l’autoritarisme et une notion de peuple homogène sous un vernis de pseudo-démocratie ou pas de démocratie du tout. La droite traditionnelle en France, c’est une vision libérale de l’économie et pour qui l’état doit se contenter des tâches régaliennes. La gauche c’est l’émancipation et l’égalité, c’est aussi une façon de penser le monde et notre société, d’en analyser les structures et les rapports de domination… On ne peut piocher un peu de chaque, ce sont des valeurs antagonistes.
Et c’est tout en nuances
Q : Donc, si je comprends bien, on est ou de gauche ou de droite ? c’est une vision un peu binaire…
R : Justement non ! Pour bien comprendre, il faut regarder ce qu’est le centre sur l’échiquier politique. Ce n’est pas un mélange des deux, ce sont d’autres valeurs, très variées d’ailleurs. Il n’y a pas d’extrême centre, qui serait un peu d’extrême droite et un peu d’extrême gauche, ça donnerait quoi, une émancipation autoritaire ? Une égalité identitaire ? Il faut bien comprendre que les forces politiques sont réparties sur un spectre. À trop nier les nuances, on obtient un espace politique à deux faces, exactement l’inverse de la réalité.
Q : Mais on parle bien de rouge-brun pourtant ?
R : Et même des nazbols! [ndlr les national-bolchéviques] Effectivement, le drapeau est rouge, mais on ne trouve plus vraiment de traces de valeurs émancipatrices là-dedans. Bien entendu, c’est un bon exemple de confusionnisme, mais on ne peut le réduire à ça. Il faut se méfier aussi à ne pas interpréter chaque tension interne comme du confusionnisme. La diversité d’opinion n’en relève pas, et à gauche, on voit très souvent des dynamiques très différentes et des intérêts qui s’opposent parfois (les gauches productivistes s’opposent aux écologistes décroissants, par exemple, ce qui donne des concepts bizarres comme la croissance verte). C’est l’utilisation de thèmes contraire aux valeurs fondamentales par contre qui est confusionniste.
Selon Philippe Corcuff, le confusionnisme est aussi une pratique de militants et penseurs d’extrême droite pour séduire et avancer leurs idées de façon dissimulée au-delà de leur cercle de sympathisants habituels.
Tout le monde facho ?
Q : Donc en gros, le confusionnisme c’est un truc de facho.
R : C’est un effet mécanique. L’extrême droite a un besoin de légitimité, n’oublions jamais que ce sont les héritiers politiques des perdants de la seconde guerre mondiale. Leur espace politique s’est réduit à peau de chagrin, et ils n’ont eu de cesse depuis que de tenter de réimposer leurs thèmes dans l’espace publique. Prenez Paul Rassinier par exemple. Cet ancien résistant, déporté lui même, militant communiste puis socialiste se lance dans l’analyse hypercritique de la machine d’extermination nazi. Il finit par se jeter dans les bras de l’extrême droite et est publié par Rivarol.
Q : Ça ne répond pas vraiment à la question. Les idées de gauche pourraient infuser elles aussi…
R : Il faut admettre que toutes les opinions ne se valent pas, on peut s’écharper sur plein de sujets, mais les nazis en général ça fait consensus. Et la gauche, malgré une histoire tumultueuse, porte en elle des valeurs antiracistes, antisexistes, pour l’égalité des droits, etc… C’est incompatible avec des discours anti-immigrationniste, suprémaciste, pour une plus grande répression ou anti-pauvres. Le confusionnisme, c’est un courant. Imaginez une baïne, vous vous faîtes emporter malgré tous les efforts que vous faîtes pour nager à contre courant. C’est pareil avec les idées, se revendiquer ni de droite, ni de gauche, c’est intégrer des idées incompatibles entre elles, et le courant allant vers la droite est plus fort. Il n’y a pas d’équilibre possible.
Ni de droite, ni de gauche
Q : Alors attendez, parce que j’en connais un qui se dit ni de droite, ni de gauche !
R : Et aujourd’hui, il deale le vote de ses lois avec la droite d’appareil. Comme quoi… C’est une mécanique commune, à la différence qu’il incarne les institutions quand les confusionnistes se construisent sur un logiciel anti-système : tout est bon contre le pouvoir. C’est un catalyseur très puissant. Et puis, entre nous, qui a vraiment cru que Macron n’était ni de gauche, ni de droite ? Il a été encarté au PS, oui, mais se revendique du Chevènementisme, pas du pain et des roses.
Q : Ce n’est pas un peu puriste comme discours ? La gauche semble un peu naïve tout de même…
R : On oppose le principe de réalité aux luttes de gauche. D’un côté, il y a le cadre libéral hégémonique qui limite la marge de manœuvre. Mais surtout, on voit l’effet de l’offensive sur les mots. Être de gauche est devenu synonyme de naïveté, mais qui a mené les grandes luttes sociales victorieuses? c’est de la naïveté ça ?
Le professeur Débéka, agacé, s’en va patouner un peu plus loin, puis reprend sa sieste.