Nous avons vu dans la première partie la nature anti-démocratique du conspirationnisme par le biais de QAnon, dans la seconde comment certains gilets jaunes sont devenus antivax, dans cette troisième partie, nous allons pencher sur les résonances qu’a l’anti-impérialisme et la façon dont il structure un certain complotisme.
La guerre en Ukraine
L’invasion de l’Ukraine a été une surprise pour beaucoup d’entre nous. Malgré tout, passé ce moment d’incrédulité il semble parfaitement logique dans une séquence historique où la Russie occupe un rôle particulier, celui d’une puissance impérialiste qui veut se donner les moyens de ses ambitions.
Un contexte, une histoire
Est-ce qu’on a vraiment besoin de rappeler les évènements de cette année ? Difficile d’ignorer les faits qui ont agité l’année 2022. Le 24 février 2022, les forces Russes entrent en Ukraine avec la volonté d’une Blitzkrieg, et de dénazifier l’Ukraine. Attention tout de même, les esprits chagrins rappelleront que Moscou mène une opération spéciale pour sauver ses alliés des Républiques de Luhansk et Donetsk. Au risque d’être taxé de conspirationniste, on a cru que le plan était d’absorber l’Ukraine et la Transnistrie.
On vous mets ce qu’on a déjà écrit là dessus :
C’est une histoire douloureuse, déjà largement décrite, et c’est le point de départ pour nous en occident d’un regain d’intérêt pour la Russie (même si elle a un rôle important depuis longtemps dans la structuration des nationalismes et des extrêmes droites).
L’explosion complotiste
On a vu dans la partie précédente que ceux qui avaient été gilets jaunes tendance complotiste ont suivi une évolution « standard » vers les antivax/antimasques. C’est le cas en France avec son contexte particulier, mais on l’a vu au Canada avec le convoi de la liberté, les réseaux survivent aux mouvements. Dés le 24 février l’attention de tout ce petit monde a suivi l’actualité, comme tout le monde.
Cette fois-ci, ce mouvement complotiste va s’approprier le conflit en cours, et prendre une posture anti-impérialiste : contre Macron et son monde, c’est être allié objectif de Poutine. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis entre autre genre d’âneries.
Mais on avait déjà un terreau favorable. Comme nous le verrons par la suite, l’influence Russe n’est pas une nouveauté. Et l’histoire nous a démontré que les sympathies pour l’union soviétique a permis à certains de conjuguer complotisme et anti-impérialisme.
Mais c’est quoi l’impérialisme ?
Impérialisme par ci, impérialisme par là…
L’impérialisme est un élément important du lexique politique. Mais qu’est ce que c’est exactement ?
Pour commencer, l’impérialisme est une ingérence. Une puissance étatique lorgne sur ses voisins et étend ses réseaux d’influence. En 2022, quoi de plus naturel qu’une mise en concurrence des états, après tout, de là à appeler ça impérialisme… Nous avons malgré tout un début de définition assez généraliste.
L’impérialisme Russe
Oui, l’URSS a perdu la guerre froide. Mais la Russie reste malgré tout le plus grand pays du monde, avec un atout : une grande armée (admettons en septembre 2022 que ce point est discutable. Mais numériquement, c’est une grande armée.) qui dispose de l’arme nucléaire, mais aussi des ressources stratégiques. Donc, c’est une grande puissance, mais pourquoi impérialiste ?
Le soft power
La Russie tente d’influencer les politiques étrangères. C’était le rôle de Russia Today ou Sputnik avant que l’Europe ne les empêche d’émettre. En finançant des partis d’opposition à l’étranger, le pays table sur le désordre dans les autres puissances pour les affaiblir. L’idée est de retourner la démocratie contre elle-même, c’est vieux comme le monde.
Mais Moscou influe également en fomentant des « coups ». C’est ce qu’on voit avec les attaques via internet, les fermes de troll ou l’accueil des pires crapules qui rançonnent des hôpitaux.
Les proxys
Qu’est ce qu’un Proxy, me direz-vous ? Il s’agit de « délocaliser » le conflit avec ses ennemis (car à ce niveau là, il ne s’agit plus de concurrence, mais d’une haine farouche contre les autres puissances impérialistes). Par exemple, s’opposer à l’occident en armant le camp d’en face dans un pays en crise. Il s’agit de soutenir la junte de Damas contre les révolutionnaires, mais aussi de fomenter une insurrection comme en Georgie ou dans le Donbass, pour finir par assoir son influence via un état fantoche acquis à sa cause (Comme avec Viktor Ianoukovytch en Ukraine qui sera défait par les urnes en 2014 après la Révolution Orange. Ça sera le point de départ de l’insurrection au Donbass par les séparatistes acquis à la cause de Moscou), puis annexer la région.
Wagner et les groupes paramilitaires
Nous vous avions déjà présenté ces bandes de joyeux lurons dans notre article sur l’obsession des nazis. La PMC Wagner est un des groupes paramilitaires Russes qui a ses entrées au Kremlin. C’est un outil précieux pour Poutine qui peut mener des opérations militaires sans engager ses propres troupes, comme en Libye, en Centrafrique, au Mali mais aussi sur le front en Ukraine ou en Syrie.
Ces groupes sont réputés pour leur cruauté (comme en Syrie justement) et pour des méthodes exotiques comme ce recrutement en prison en septembre 2022.
L’impérialisme Français
Ho ! Comme vous y allez, les Debunkers ! Carrément un impérialisme Français ! Et oui, au risque d’enfoncer des portes ouvertes, la France est une puissance impérialiste.
C’est le cas de toutes les anciennes puissances coloniales. La France a établit des colonies et comptoirs à travers le monde. Encore aujourd’hui, c’est le seul pays qui existe sur les cinq continents. On parle même de Françafrique avec des bases militaires, des réseaux politiques capables de maintenir ou défaire des dirigeants (voir des dictateurs) ainsi que favoriser les entreprises Françaises (Elf, Areva…).
Il s’agit bel et bien d’impérialisme, et pas d’autre chose. Encore aujourd’hui, l’influence Française a changé de forme, et même si elle semble moins agressive, elle demeure puissante.
Barkhane
Il est tentant de comparer les opérations du genre Barkhane, que la France appelle Opérations Extérieures (OpEx) ou de maintien de la paix, alors que Moscou appelle l’invasion de l’Ukraine une opération spéciale. La comparaison s’arrête là. La France n’est pas toujours brillante, mais n’envahit pas les pays dans lesquels elle agit, même si on peut se montrer souvent critique sur sa façon de procéder et le jeu des influences.
Le monde a changé, et la France avec. L’empire n’est plus, l’impérialisme d’il y a 100 ans n’était plus le même dans les années 1950, et est encore différent après 2000.
Et du coup l’anti-impérialisme?
On ne va pas définir l’anti-impérialisme, c’est assez limpide. Par contre on peut distinguer deux approches.
- La première consiste à adopter un logiciel politique s’opposant au principe même d’impérialisme, allant contre la volonté des peuples à disposer d’eux même, et entretenant des obsessions nationalistes (dont on sait où elles mènent). C’est la position des Debunkers.
- La seconde est plus pernicieuse, mais aussi plus courante dans la gauche française : elle embrasse un impérialisme pour s’opposer à un autre. En général, il s’agit d’embrasser les politiques Russe et Chinoise contre les USA, l’OTAN, etc…
Anti-impérialisme et complotisme, les liaisons dangereuses.
Mais alors quel est l’intérêt pour les Debunkers de traiter l’anti-impérialisme et de la Russie? Nous allons voir ici qu’il s’agit d’un angle d’attaque de la part de Moscou contre l’occident. On pourrait parler d’une stratégie de pied dans la porte. La Russie a compris depuis longtemps la porosité des mouvements d’extrême droite et complotistes.
Du coup, il n’est pas rare de trouver une sympathie de la part de ces milieux pour Moscou et en particulier Poutine. Et c’est une réciprocité qui inquiète.
Réseau d’influence dans la complosphère
De La voix de la Russie à Sputnik
Au début des années 2000, le soft power Russe n’est pas encore efficace. Il existe bien une émanation de radio Moscou : La voix de la Russie, qui a un certain succès chez les ufologues amateurs. On trouve déjà une matrice familière, des sujets politiques mais aussi du complotisme, des chemtrails, Toungouska et Dalnegorsk, les secrets de l’île de Pâques ou des pyramides.
En 2014, la voix de la Russie est arrêté, et c’est Sputnik qui prend le relais. La ligne éditoriale évolue à peine.
De son côté, Russia Today est une filiale de RIA Novosti, une agence de presse sous contrôle de Kremlin. Il s’agit de concurrencer les chaînes d’informations continues dans le monde, comme Al Jazeera, CNN, la BBC ou encore France24.
Le rôle de ces deux acteurs, en France notamment, est de relayer toutes les voix qui vont contre les intérêts du pouvoir Français ou montrant la fragilité de la démocratie ou des mœurs dans le pays.
Une guerre froide, limite tiède
Nous verrons un peu plus loin comment la Russie peut être offensive pour annexer des pays voisins, mais Moscou c’est aussi une longue tradition d’espionnage, d’agents dormants et de perturbateurs. Le KGB a disparu avec le mur de Berlin, mais ses méthodes ont survécu.
On a pu voir par exemple la Russie intervenir comme agent perturbateur dans des élections ou des campagnes électorales. En finançant par exemple des partis politiques en occident, ceux dont les intérêts convergent avec l’ultra-nationalisme Russe.
En parallèle, les lanceurs d’alerte ont commencé à présenter un intérêt pour Mother Russia, en témoignent les affaires Assange et Wikileaks, puis l’accueil d’Edward Snowden, l’analyste de la NSA qui a révélé les méthodes douteuses de son agence.
Les réactions en occident
Les amitiés Franco-Russes
Revenons en France. On y croise des personnalités très diverses, allant de gauche à droite qui appuient fermement les positions Russes. Si nous avions été en guerre, nous aurions parlé d’intelligence avec l’ennemi.
Prenons quelques exemples assez parlant :
Thierry Mariani
Pour l’ancien du RPR, débarqué au Rassemblement National, « La Crimée est Russe, passons à autre chose« . Proche des régimes de Moscou, Damas ou Bakou, il défend sans relâche la Russie de Poutine.
Adrien Bocquet
Un profil intéressant que ce Bocquet. Cet ancien militaire, aux états de service douteux, se met au service de la propagande de Moscou. On vous laisse savourer cette saga narrée par Checknews :
Les affabulations d’Adrien Bocquet, ex-militaire français revenu d’Ukraine
L’ex-soldat Adrien Bocquet a aussi menti sur son passé militaire
Télévisions d’Etat et propagande du Kremlin: la nouvelle vie d’Adrien Bocquet à Moscou
Régis Le Sommier
L’ancien journaliste de Paris Match est un grand admirateur de Bachar et Poutine. Il devient grand reporter pour Russia Today, et en octobre 2022, il fonde Omerta, un média ouvertement pro-russe.
La complosphère jubile
Des personnalités de la complosphère adoptent immédiatement le parti de Poutine : les mondialistes, le nouvel ordre mondial, les mêmes qui ont fait tomber Trump s’en prennent à la Russie.
Les réactions en Afrique francophone
Nous avons traité le sujet sous l’angle de la désinformation Russe à destination des pays d’Afrique francophone avec deux articles, où nous expliquions comment l’anti-impérialisme Français sert de catalyseur à la com pro-russe.
- Rossiya 1 Afrique, la propagande Russe à destination de l’Afrique francophone
- Propagande Russe en Afrique francophone – partie 2
L’enjeu en Afrique est complexe : les anciennes colonies françaises souffrent des crises mondiales. La présence de Daesh ou Boko Haram a crée un climat de peur. Et faire appel à la France ( et d’autres pays Européens) dans l’opération Barkhane permet deux effets antagonistes, la lutte efficace contre les groupes djihadistes violents, mais aussi la présence militaire des anciens colons (et des dommages collatéraux d’opérations militaires), vécu comme une émanation de l’impérialisme occidentale.
Renverser l’impérialisme Français en Afrique
Le résultat, c’est une poudrière ! Et il suffit de pas grand chose pour créer du désordre ; miser sur le bon officier, lui promettre monts et merveilles et comme au Mali ou au Burkina Faso, c’est le coup d’état. Le poulain de Moscou fera en sorte de révoquer les accords avec Paris, en échange d’accords commerciaux.
Et cette pression trouve des relais populaires :
- Centrafrique : manifestation de soutien à la Russie – Jeune Afrique
- La guerre en Ukraine n’ébranle pas les soutiens africains de Moscou – Le temps
https://www.youtube.com/watch?v=bsjqnu2rnxs
Poutine, figure de proue de la complosphère
L’ancien agent du KGB, vestige d’une époque révolue incarne aux de beaucoup la puissance « noble de l’autocrate ». Présenté tour à tour comme un champion de tous les sports, un joueur d’échec hors pair, il a aussi le cœur tendre pour sauver des tigres de Sibérie. Bon, mais ça c’est de la communication.
Ce qui remporte surtout l’adhésion des sphères du complotisme mondial, c’est sa vision du monde, et elle ne relève pas de l’anti-impérialisme, bien au contraire :
Lutte contre la corruption
Un discours de façade, certes, mais c’est avec Poutine que les pensions finissent par être versées à la population Russe, ce qui le pose comme un opposant à la corruption endémique du pays.
En revanche, les oligarques doivent tout à leur leader, et ce n’est pas gratuit.
Nationalisme exacerbé
Le nationalisme n’est pas forcément un attrait évident pour la complosphère. Certains le sont ouvertement, mais en règle générale, la porte d’entrée est le souverainisme. Et de l’un à l’autre, le souverainisme Français se construit aussi dans l’idée d’un respect supposé pour ce qui est considéré comme un souverainisme fort. Ainsi, la complosphère se fait relaie du nationalisme.
La nostalgie des traditions
La recherche d’authentique repose sur l’idée d’une identité basée sur des traditions et tourné vers le passé. En Russie, c’est un mix entre nostalgie de l’empire du Tsar et union soviétique. En France, la complosphère invoque un passé glorieux avant un grand bon technologique qui échapperait à un contrôle populaire.
Autoritarisme
Curieusement, la complosphère qui hurle à la répression en France trouve tout à fait louable la répression des luttes dans d’autres pays. Dans le contexte de la Russie, les opposants au régime de Poutine n’ont pas ou peu de relaies en France.
L’autoritarisme c’est un pouvoir aux bonnes intentions qui sait agir en conséquences. Ainsi on a retrouvé des complotistes notoires ces 20 dernières années en Syrie, en Iran, en Corée du Nord…. et en Russie.
Discours sur le wokisme
Cancel culture, Occident dégénéré, wokisme sont régulièrement dénoncés par le Kremlin. C’est pour Poutine le contre-exemple de ce qu’il faudrait faire et depuis des décennies il défend une certaine de la Russie, à base de virilité et d’homophobie. Une partie de la complosphère y trouve un point de convergence.
Le culte du secret
Ce n’est pas un secret, pour le coup, Vladimir Poutine est un ancien du KGB. Et ça lui confère une aura dans la complosphère qui nourrit déjà une fascination pour le secret et les agences qui vont avec. Les agents secrets savent des choses que toi, tu ne sais pas, et des choses très graves évidemment.
La CIA
L’ami de mes ennemis est mon ami. Les rivaux historiques de la CIA qui a fomenté tant de complots dont forcément un peu sympathiques hein? Même pas un peu ?
Naturellement, le discours de Poutine converge et s’accorde avec celui de beaucoup de complotistes d’occident.
Les arguments du complotisme quand il s’agit d’anti impérialisme
Mais quels liens avec le conspirationnisme ? On peut résumer ces liens en deux points essentiels :
Primo, les sympathies pour l’impérialisme Russe ou l’anti-impérialisme (contre l’OTAN, les USA…) repose sur une vision du monde complètement manichéenne, complètement compatible avec le complotisme et son interprétation sélective.
Secundo, le régime de Poutine lui même utilise un langage proche du complotisme, et donne ainsi des gages à la complosphère. C’est le même mécanisme que nous avions avec Donald Trump qui sachait, et qui a joué sur son capital sympathie au sein des sphères conspirationnistes américaines. D’ailleurs, en septembre 2022, il remet le couvert en caressant les Qanon dans le sens du poil.
Les USA mentent
Le 5 février 2003, Colin Powell monte à la tribune de l’ONU et agite ces preuves irréfutables : des éprouvettes. Ainsi l’Irak possède des armes de destruction massives, ce qui va permettre aux Américains d’attaquer à nouveau le pays, dans un mélange d’émotions post 11 septembre, et de quête contre l’axe du mal.
Ce jour là, les USA ont menti. L’histoire des USA est truffée de complots et de mensonges : Watergate, l’assassinat de JFK, les incidents du golfe du Tonkin… et les armes de destruction massives. Les USA sont une puissance impérialiste et tout bon anti-impérialiste se doit de rappeler les évidences.
Les USA rachètent l’Ukraine
Depuis des années, on entendait cette théorie. Une fois les Allemands, une fois les Américains, après avoir fait chuter le mur, l’ouest rachète l’est hectare après hectare pour un jour affamer l’Europe, l’Afrique ou l’Asie, et un autre pour générer du profit.
Une guerre de l’OTAN
L’OTAN est une vieille lubie anti-impérialiste. Pourtant, il y a tout juste un an, Macron la jugeait en état de mort cérébral. Ce qui est certain c’est que Vladimir Poutine et ses prédécesseurs ont toujours détesté l’organisation de défense occidentale. Et pour beaucoup de complotisme, l’Ukraine n’est qu’une marionnette au main de l’OTAN pour s’en prendre à la Russie.
A une différence prêt, c’est la Russie qui a exigé que l’Ukraine ne rejoigne jamais l’OTAN. Et qui a attaqué son voisin ?
Résultat des courses, d’autres pays frontaliers ont pris peur et se joignent à l’organisation qui les protégera en vertu de l’article 5.
L’occident en veut à la Russie, ce qui la pousse à se défendre
Dans son discours fêtant l’annexion du Donbass, le président Russe a viré en plein complotisme, ne parlant que peut de l’Ukraine et de ses « frères », mais en servant une soupe à base d’anti-impérialisme (!!!) et de décadence occidentale.
« Beaucoup de pays euros-atlantiques sont en train de rejeter leurs racines, dont les valeurs chrétiennes qui constituent la base de la civilisation occidentale. Ils sont en train de renier les principes moraux et leur identité traditionnelle, nationale, culturelle, religieuse et même sexuelle. »
Ici, on retrouve une matrice du complotisme (voir ici ou là), les valeurs chrétiennes et traditionnelles sont attaquées, ce qui motivera l’inévitable lutte à coup d’artillerie. On retrouve ce genre de discours dans la rhétorique des Ayatollahs : d’ailleurs, à la première critique de leur régime autoritaire, ils finissent toujours par accuser Israël et les USA après avoir réprimé dans le sang.
Un logiciel politique
Un logiciel politique, c’est une grille d’analyse qui permet d’appréhender le monde selon sa sensibilité politique. Par exemple, un nationaliste projettera les concepts de nations, d’identités et de frontières dans toutes les histoires. Un Marxiste orthodoxe y verra l’expression de la lutte des classes. Nous avons tous un logiciel politique, plus ou moins proches d’une grande école de pensée politique (communiste, nationaliste, fasciste, libérale etc… quoiqu’on se demande si certaines sont légitimes à être qualifiées de pensée).
Comme nous avons pu le voir, les réactions à l’offensive Russe en Ukraine ne sont pas juste l’objet d’un questionnement moral. Elles répondent à une logique politique, et justement quand des décennies d’une histoire politique agissent comme un automatisme : le logiciel politique perd les pédales.
L’extrême droite
Objectivement, l’anti-impérialisme n’est pas le terrain de prédilection de l’extrême droite. Si on retrouve les fachos solidaires avec Mother Russia aujourd’hui, ce n’était pas une évidence il y a quelques décennies avant l’effondrement du bloc soviétique. Ici, c’est la figure de Poutine qui permet cette convergence. Le fait que le leader éclairé prône un nationalisme réactionnaire, un virilisme exacerbé (et l’homophobie qui va avec) et une grandeur supposée à retrouver, fait de la Russie un pays plus compatible avec les idées de nos esprits chagrins.
Avant cette époque, on trouvait un discours vaguement anti-impérialiste au GUD, éventuellement chez Troisième Voie de Serge Ayoub. Mais pour l’essentiel, l’extrême droite française était motivée par son anti-communisme et plutôt tournée vers le libéralisme (voir l’histoire d’Occident).
Au début des années 2000, on va voir une nouvelle relation se lier. La Russie ne se dit plus communiste, elle revendique être une terre où les fortunes se font (et se défont). Elle est une terre peuplée d’une population blanche (non), chrétienne (pas tant que ça) et fière (c’est relatif). Frappé par le terrorisme, le pays apporte une réaction de personnage de série B américaine de l’époque Reagan :
«On ira les buter jusque dans les chiottes.»
Le sort réservé aux tchétchènes qui ne rentrent pas dans le rang comme Kadirov, comme celui des minorités LGBT doit faire saliver les apprentis dictateurs des démocraties européennes.
Alors si en plus, le Kremlin propose de dépanner les partis nationalistes dans le besoin, vous imaginez bien que la haine anti-communiste est bien loin, et la fascination de l’homme slave (et de son délire viriliste au passage) devient la norme, comme le RN en France. Thierry Mariani, ex-UMP passé au RN, sera un des grands artisans de cette influence notamment via l’organisation qu’il préside « Dialogue Franco-Russe ». Marine Le Pen ira quémander un prêt inespéré à Moscou en 2017.
L’extrême droite contre les nazis
Le jour où l’armée Russe s’est retrouvée au ban des Nations, les extrêmes droites européennes et françaises en particulier se sont retrouvées bien bêtes, ne sachant pas vraiment à quel saint se vouer. Le RN n’étant pas réputé pour sa fidélité en amitié a rapidement retourné sa veste, condamnant mollement, suffisamment pour ne pas être stigmatisé, ni dans un sens, ni dans un autre.
Le retrait discret du RN sur la question a laissé le champ libre à d’autres personnalités moins en vue, et nous a offert un spectacle assez cocasse : l’extrême droite Française allait sauver le monde du nazisme.
Florian Philippot
Philippot a suivi l’évolution comme l’opportuniste qu’il est : gilet jaune, antivax, il devint le premier antifasciste de France en s’associant à la lutte contre les Ukronazis et leur président Zelinsky.
Eric Zemmour
Le journaliste reconvertit en star du stand up réactionnaire n’a pas eu le nez de sa principale concurrente et a difficilement caché son enthousiasme en voyant les canons tonner.
Il admettra que c’est l’erreur qui lui coûta le plus cher. Enfin, ça, c’est lui qui le dit…
Aparté – Dans tout ce bazar, celui qui se fait entendre est Robert Mesnard, le singulier maire de Béziers qui revendique une lutte contre le despote moscovite. Même une horloge cassée donne l’heure juste deux fois par jour.
Le campisme
Le campisme, ce n’est pas planter une tente au mois d’août. Prenons la définition de Wikirouge :
On parle de campisme dans le mouvement communiste pour désigner la tendance à réduire une situation politique à l’affrontement entre deux camps impérialistes, et souvent à s’aligner sur l’un de ces deux camps.
En l’occurrence, l’opposition entre le bloc atlantiste (l’occident) et le bloc soviétique. Ce dernier s’étant effondré, les campistes sont surtout perçus comme nostalgiques de cette période. C’est un discours construit autour du souvenir tronqué de l’autoritarisme et des bien faits du stalinisme.
En anglais le terme est tankies.
Le campisme est un logiciel périmé. Dire que le monde a changé est une évidence, mais surtout l’impérialisme a évolué, la Russie en particulier. Son rôle diplomatique et économique est éclipsé par sa présence militaire (à la différence de pays comme la Chine et la Turquie qui jouent sur tous les tableaux). Moscou cultive la nostalgie de la grande union soviétique, mais sans le communisme. Le campisme pro-Russe dans ce contexte repose sur une culture générationnelle conjuguée à une grande ignorance (la réalité du stalinisme, les conditions de l’effondrement notamment).
C’est notamment un mécanisme qu’on retrouve dans le logiciel de la gauche Française, et en particulier chez Jean-Luc Mélenchon qui a toujours été flou sur la Syrie, la Russie, etc… À ce titre, ce billet de son blog est éloquent :
Le malheureux a été assassiné Place Rouge devant le Kremlin, la veille de la manifestation à laquelle il avait appelé en compagnie d’une autre grande figure de l’opposition, le raciste et antisémite Alexey Navalny. Des flots d’encens sont aussitôt montés vers le ciel, votivement offerts par tous les médias « éthiques et indépendants ». Le premier d’entre eux, « Le Monde », a pieusement recopié, sans nuance ni recul, la notice de l’ambassade des États-Unis.
http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/03/04/avant-lorage/
Le campisme pro-américain (ou atlantiste) n’a pas vraiment de raison d’être. Si ce discours existe tout de même, il a moins d’importance (et surtout se voit beaucoup moins dans une société occidentale aux intérêts communs) et relève plus d’un anti-communisme. Il n’y a plus d’ennemi, si ce n’est un axe du mal flou prôné par George W Bush.
Le pacifisme
Chez les Debunkers, nous sommes pacifistes. Nous luttons contre les mensonges de l’ultra-nationalisme car il est vecteur de guerre, et nous affirmons que c’est ce qu’a fait la Russie ces dernières années. La guerre n’est jamais souhaitable, c’est une défaite collective dès le premier coup tiré. Seulement, quand un pays en attaque un autre, le fameux Casus Belli, il ne s’agit pas de tendre l’autre joue et d’attendre sagement la résolution du conflit en appelant les belligérants au calme.
Et cette notion de belligérants est le cœur du problème. En évacuant la notion d’agresseur/agressé, le discours prônant la paix place au même niveau la Russie et l’Ukraine, une dictature et une démocratie. D’ailleurs, ce relativisme place également les pays fournissant des armes au même rang que les pays qui s’opposent directement.
Le discours anti-guerre n’est pas nouveau. En 1968, il s’agissait de s’opposer à la guerre du Vietnam et donc s’opposer à l’impérialisme Américain. Pendant longtemps, l’OTAN a cristallisé cette notion d’impérialisme. Pour cela il faut se rappeler du sommet de l’OTAN à Strasbourg en 2009, lieu d’une intense activité militante. A l’époque l’organisation inter-armées était incarnée par les guerres en Afghanistan et en Irak.
La question d’Israël
Comment parler d’anti-impérialisme sans parler d’Israël, et comment parler de complotisme sans parler d’antisémitisme?
Israël est devenu un sujet structurant de la pensée politique tant à droite qu’à gauche (si le campisme et le pacifisme sont largement connotés à gauche, on ne peut pas nier non plus que la question de la Palestine a été largement traité – voir instrumentalisé – dans tous les mouvements politiques de gauche ces trois dernières décennies).
La question de l’antisémitisme est récurrente et mériterait un chapitre à elle seule, tant pour sa place dans l’anti-impérialisme (attention, l’anti-impérialisme n’est pas antisémite par nature, toutefois certaines relations sont toxiques) que son rôle évident dans la structuration du complotisme et de ses mécaniques.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, il n’y a pas un pays qui se bat contre le grand méchant monde. Contrairement à ce que dit la Russie, ou les nationalistes Européens, pour qui le repli sur soit se conjugue paradoxalement avec l’illusion d’un rayonnement. Et disons le clairement pour la Russie, rayonnement est synonyme d’expansion.
Ici, l’enjeu est d’inscrire le récit d’une Ukraine nazifiée dans une histoire longue, de justifier chaque mensonge, chaque pierre ajoutée à une mythologie fumeuse. Ce récit imaginaire permet de servir de liant entre complotisme et anti impérialisme, servant les intérêts de Moscou aujourd’hui. De ce point de vue là, les Russes ont été habiles.
Hélas, les effets sont dévastateurs. La propagande pro-russe est relayée par des acteurs qui ont surtout un compte à régler avec le pouvoir dans leurs pays respectifs. Cette alliance objective se fait au détriment de ces complotistes qui ne voient pas les conséquences à moyen terme.
Nous avons vu des complotistes suivre chaque « mode », chaque polémique, s’inscrivant en opposition du pouvoir par contradiction, tout en refusant d’intégrer des organisations légitimes (comme les syndicats par exemple). Nous avons pu voir des profils rejoindre les gilets jaunes parce qu’en grande précarité. Le résultat, 4 ans plus tard, ils sont devenus antivax, complotiste et sympathisant de Poutine.
C’est l’histoire qui dira s’il fallait minimiser ou s’inquiéter de ce phénomène. L’expérience nous pousse à être pessimiste et à prendre cette conjonction avec inquiétude.
En savoir plus :
- L’anti-impérialisme aujourd’hui et la guerre en Ukraine – Contretemps
- « Les théories du complot sont des mythes qui permettent d’appréhender le monde » – La Libre
- Vladimir Poutine, rassembleur et diviseur de l’extrême droite européenne – L’express
- Illuminati : conspirationnisme et politique – Kaleïdospop (nous recommandons chaudement cette série très accessible)