La Nouvelle Droite est singulière, c’est une de celle que nous considérons comme parmi les plus dangereuses. Nous allons vous expliquer pourquoi.
Nous parlons régulièrement de « gramscisme de droite », de bataille culturelle ou de réinformation. Ces notions sont l’œuvre de la Nouvelle Droite, laquelle, pourtant n’est pas représentée par un parti. Difficile d’ailleurs de la situer tant son influence sur toutes les droites est importante. Ce qui est certain, c’est qu’on peut la qualifier de courant intellectuel et que sa fonction a été stratégique : La Nouvelle Droite a produit des idées.
Après une brève présentation de ce courant en juillet 2023, nous avions bien senti l’importance de revenir sur le sujet. Nous tenterons donc de vous expliquer de quoi il retourne. « Tenterons », parce que le sujet est plutôt complexe tant ses acteurs sont divers.
Notre approche consiste à partir du personnage de Julius Evola, l’une des influences revendiquées de la Nouvelle Droite. Nous exposerons ensuite un certain nombre d’idées structurantes de ce courant au travers des personnages qui l’animent. Mais tout cela serait de moindre intérêt si la Nouvelle Droite n’avait pas connu un tel impact et laissé un tel héritage dans certains courants politiques actuels. Parce que ce sont les idées et formules qui traversent les narratifs d’aujourd’hui, parce que les idées de La Nouvelle Droite bruissent en permanence autour de nous, c’est avec cet héritage que notre réflexion s’achèvera.
Julius Evola
Présentons d’abord Julius Evola, avant de passer en revue quelques points de sa pensée, essentiels pour comprendre la Nouvelle Droite.
Présentation du personnage
Julius Evola est un intellectuel atypique et hétérodoxe. Nous commençons par là car cet aspect comptera pour beaucoup dans le façonnage de l’imaginaire de la Nouvelle Droite. Néanmoins, l’hétérodoxie et la richesse de son parcours sont telles qu’il ne remportera pas non plus, nous le verrons, une adhésion unanime.
Evola est baron. C’est un aristocrate sicilien qui naît à Rome en 1898 et y meurt en 1975. Sa vie est extrêmement riche. Il fréquente les futuristes (courant artistique et intellectuel des années 1910 en Italie qui flirte avec le politique sans jamais choisir réellement un bord), notamment son fondateur Marinetti.
Il sert dans l’armée à la fin de la guerre, puis se tourne vers le mouvement Dada. Il arrête ensuite la peinture et se met à écrire. Influencé par René Guénon, il verse dans la métaphysique, l’ésotérisme et l’occultisme. Il fréquente brièvement le groupe d’Ur et en dirige la revue. Plusieurs de ses membres seront les premiers à diffuser l’anthroposophie en Italie, et certains sont directement formés par Steiner lui-même.
Les choses sérieuses
En 1934 sort son troisième opus, Révolte contre le monde moderne ; Evola entre alors dans sa décennie la plus prolifique. Il est atypique dans la mesure où il évolue à l’écart du fascisme et du nazisme. Cela ne l’empêche pas de défendre des thèses antisémites, impérialistes (l’impérialisme païen) et de volontiers commenter la vie politique du pays. C’est au début des années 30 qu’Evola, fasciné par le césarisme, remplace son prénom Giulio par le patronyme Julius et publie des réflexions stratégiques sur la direction que devrait prendre le fascisme. Malgré tout, il n’est pas nécessairement apprécié à cause de son positionnement anticléricale et parfois très critique à l’égard du régime. On dira qu’il apporte à ce dernier un soutien critique.
Pendant la guerre, il est dans les bonnes grâces de Mussolini et du parti, et voyage régulièrement en Allemagne, où il fréquente le gratin de la race supérieure auquel il voudrait bien refourguer ses thèses. Sans grand succès d’ailleurs, car si l’idée de placer à égalité allemands et italiens plaît beaucoup aux italiens, elle enthousiasme beaucoup moins les allemands. Lorsque la guerre est perdue, Evola suit les fascistes dans leur déroute. Il reste en Autriche après 45, puis revient à Rome où il sera jugé en 1951 pour glorification du fascisme et incitation à l’insurrection. Finalement acquitté, il finit sa vie (30 ans quand même) après avoir encore publié plusieurs livres.
L’idéologie
L’idéologie d’Evola s’inscrit dans une continuité d’Otto Weininger, Friedrich Nietzsche évidemment, et René Guénon. Il y aura un après, avec notamment la Nouvelle Droite. Penchons-nous maintenant sur certains des points essentiels de sa pensée, qu’il professera jusqu’à la fin de sa vie.
L’ésotérisme
Tout au long de sa vie, Evola empruntera beaucoup au paganisme et à l’hindouisme, à l’image de l’un de ses plus grandes influences, René Guénon. Même fascination pour l’Orient et ses philosophies, même rejet de la modernité.
René Guénon est un pérennialiste, une spiritualité qui repose sur le concept de Tradition intégrale, ou Tradition primordiale : c’est l’idée que toutes les croyances ont une origine commune et qu’il est nécessaire de renouer avec cette Tradition. Toutes les autres formes de confréries, de religions et d’organisations ne seraient que de vaines tentatives visant à remonter jusqu’à elle. Le concept de Tradition intégrale se fonde sur la gnose, laquelle consiste à trouver le salut par la connaissance du divin et passe par une initiation qui prépare à l’illumination. Inutile de préciser que ce mode de transmission est fondamentalement élitiste et inégalitaire.
Evola emprunte à Guénon une autre référence mystique, le Kali Yuga. Le Kali Yuga est une mesure du temps issue de la philosophie hindoue (n’oublions pas que ces auteurs sont partisans de la théorie du peuple indo-européen). Le temps serait un cycle destiné à recommencer après le Kali Yuga, l’âge noir au cours duquel l’homme s’éloignerait de toute spiritualité (et donc, si vous avez bien suivi, de son salut). En d’autres termes, la modernité c’est le Kali Yuga, et donc la décadence.
Evola mêle donc références bouddhistes, mais aussi païennes et paganistes pour déterminer un ordre primitif, une spiritualité universelle non chrétienne à l’origine du fascisme. Sa conception du temps cyclique et de la civilisation veut qu’un retour des sociétés traditionnelles, considérées comme un âge d’or, succède à l’ère moderne.
Inutile ici de trop s’attarder sur cet aspect-là, laissé de côté par la plupart de ses héritiers. Notons tout de même ce syncrétisme, fondamental dans l’Ur-fascisme décrit par Umberto Ecco.
La réalisation de l’homme
Surtout, la pensée d’Evola pose la base de la pensée identitaire, constituée de deux axes essentiels.
Chez Evola comme chez Nietzsche, son maître à penser, il y a l’homme et le surhomme. Devenir un surhomme est un idéal, et cela implique de se surpasser, se « réaliser soi-même » :
- Cette réalisation est un salut, une entreprise de redressement de soi, une mise en adéquation de l’identité avec son environnement. Il s’agit d’être « organique » (faire corps avec son environnement « naturel »).
- Il faut être un « homme différencié ». Le matérialisme est un produit de la modernité qui met en avant la quantité au détriment de la qualité. Ainsi, le héros détaché, sorte d’ascète intellectuel et politique, qu’il soit paysan ou soldat, excelle dans sa fonction.
- La réalisation de soi est un héroïsme anonyme, une vertu sans ego où le bon paysan vaut mieux qu’un mauvais roi. Il s’agit de prendre conscience de sa fonction et d’être capable de la transcender. En ce sens, une minorité d’élus seulement a la capacité de se surpasser ; ceux-là ont un rôle majeur à jouer dans la société fasciste.
- Enfin, l’homme doit viser à se réaliser au travers de « principes vrais », le patriarcat et le virilisme par exemple.
Métaphysique du sexe
Le second axe qui permet de comprendre la vision de l’identité chez Evola est la métaphysique du sexe. La relation entre les humains est selon lui basée sur l’altérité entre l’homme et la femme.
Il faut comprendre ici qu’il s’agit d’un absolu. Tout homme ayant une part de féminité et toute femme une part de masculinité, la réalisation de soi repose sur le fait de tendre vers l’idéal des masculin et féminin absolus, respectivement pour l’homme et pour la femme.
La masculinité est déjà définie par « les valeurs vraies ». La guerre permet à l’homme de se réaliser, mais comme écrit ci-dessus, n’importe quelle fonction peut ouvrir au salut. Biner sa terre est moins noble que guerroyer, mais que voulez-vous…
En ce qui concerne la féminité, c’est le don de soi, corps et âme, qui fait l’héroïsme féminin. Lequel héroïsme est donc passif.
Le féminisme nierait ces différences fondamentales, naturelles et absolues. Il irait contre la loi traditionnelle et serait donc responsable à la fois de l’incapacité des femmes à se révéler (dans le sens d’une défiance de la féministe vis à vis de sa féminité), et de celle des hommes à effectuer ce même travail spirituel d’accession aux valeurs vraies.
La décadence de l’Occident
La société traditionnelle selon Evola est constituée en castes. La puissance des empires tient à la capacité de chacun à se réaliser, mais également à la qualité de leurs chefs, et donc celle des castes.
Comme nous l’avons vu, la modernité est une décadence. Au-delà du progrès technique, elle est surtout un modernisme, un dogme de la remise en question totale, à commencer par celle de la tradition, la nature, l’ordre naturel des choses… et les castes.
La civilisation serait donc désormais dirigée par la caste la moins noble. Cette caste, dégénérée et déconnectée de la tradition au nom du modernisme, précipiterait la civilisation droit dans le mur, à savoir la fin de l’Histoire ou encore Kali Yuga évoqué plus haut. Ceci avant qu’un nouvel âge d’or ne commence, en phase avec ladite tradition.
Cette caste est également liée à une « question raciale » en ce qu’elle serait constituée de « races inférieures ». La caste supérieure, la noblesse absolue, dans la pensée d’Evola, c’est l’aryen. N’oublions pas que nous cheminons ici avec un théoricien du fascisme…
La fin de la guerre laissant par ailleurs chez Evola un goût très amer, il rejette soviétisme et atlantisme. Il entend construire une nouvelle voie entre ces modèles qui, à Washington et Moscou, représentent pour lui la « barbarie nouvelle », pile et face d’une même pièce frappée du sceau de la décadence. C’est le discours bien connu de la disparition programmée d’une civilisation européenne entre les mains de castes dégénérées au pouvoir, tant aux USA ou en URSS que dans l’Europe de l’après guerre.
Mais Evola n’épargne pas non plus le fascisme, qui a selon lui échoué. Il formule donc une troisième voie nationaliste (héritée en particulier les nationalismes français et italiens) qui organiserait une riposte avec l’alliance à la fois des évoliens, des catholiques traditionalistes et des nationalistes (l’âge passant, il fait quelques concessions d’ordre tactique).
En somme, face à l’atomisation et « aux fausses idoles », conséquence de la modernité, il faut construire une identité commune, base solide pour un ordre nouveau.
Métapolitique et contre-propagande
La pensée d’Evola contient donc un volant ésotérique, en même temps qu’un socle intellectuel pour le futur courant identitaire.
Mais en bon stratège politique, son soutien critique au fascisme lui permettra de ne jamais vraiment en être sans pour autant risquer la prison. Surtout, il pose les bases d’une contre-propagande. En devenant l’intellectuel de l’extrême droite italienne d’après guerre, il développe ses thèses dans Orientations en 1950 ou dans Chevaucher le tigre en 1961.
Le travail d’Evola n’est pas seulement philosophique et métaphysique, il se veut également performatif, guide pour la génération d’extrême droite à venir. Et qu’on ne s’y trompe pas, les extrêmes droites actuelles lisent encore Evola et sont attentives à ses préceptes, en témoigne cet extrait trouvé sur Breizh-info.
Ce qu’il faut favoriser, c’est plutôt une révolution silencieuse, procédant en profondeur, afin que soient créées d’abord à l’intérieur et dans l’individu, les prémisses de l’ordre qui devra ensuite s’affirmer aussi à l’extérieur,supplantant en un éclair, au bon moment, les formes et les forces d’un monde de subversion. Le «style» qui doit être mis en relief, c’est celui de l’homme qui soutient certaines positions par fidélité à soi-même et à une idée, dans un recueillement profond, dans un dégoût de tout compromis, dans un engagement total qui doit se manifester non seulement dans la lutte politique, mais dans chaque expression de l’existence: dans les usines, les laboratoires, les universités, les rues, et jusque dans le domaines des affections. On doit en arriver au point que le type humain dont nous parlons, et qui doit être la substance cellulaire de notre front, soit bien reconnaissable, impossible à confondre, de sorte qu’on puisse dire: « En voilà un qui agit comme un homme du mouvement.»
Cette consigne, qui fut déjà celle des forces qui révèrent de donner à l’Europe un ordre nouveau, mais qui dans sa réalisation fut souvent entravée et faussée par de multiples facteurs, doit être reprise aujourd’hui. Et aujourd’hui, au fond, les conditions sont meilleures, parce qu’il n’y a pas d’équivoques et parce qu’il suffit de regarder autour de soi, de la rue au Parlement, pour que les vocations soient mises à l’épreuve et pour qu’on prenne bien nettement la mesure de ce que nous ne devons pas être.Face à cette boue, dont le principe est « Qui t’oblige à le faire?», ou bien: «D’abord vient le ventre, la peau (la “peau” chère à Malaparte!), et puis la morale», ou encore: «Ce n’est qu’une époque où l’on puisse s’offrir le luxe d’avoir du caractère», ou enfin: « J’ai une famille», qu’on sache répondre clairement et fermement: «Nous, nous ne pouvons pas faire autrement, telle est notre voie, tel est notre être.»
Julius Evola, Orientations.
Pour en savoir plus sur Julius Evola :
- Contre Temps – Pourquoi le philosophe nazi Julius Evola est devenu l’égérie des nouvelles extrêmes droites
- Retro News – Julius Evola, histoire d’un ésotériste d’extrême droite
- FTp – L’Anthropologie évolienne, la « race de l’esprit » et le judaïsme
D’autres personnalités
L’entre deux guerres compte un grand nombre d’intellectuels pouvant être qualifiés d’iconoclastes. Si le lien qui les unit n’est pas toujours évident, la cohérence est manifeste entre leurs perceptions du monde respectives ainsi qu’entre les valeurs invoquées.
- Ernst Jünger, l’écrivain et ancien combattant allemand inspirera beaucoup Evola mais aussi des intellectuels de tous bords. Il incarne parfaitement l’idée de réalisation de soi chez Evola. Jünger ne sera néanmoins jamais proche du parti nazi (même s’il sert pendant la Seconde Guerre mondiale). Son livre Orage d’acier est une référence.
- Corneliu Codreanu est un militant politique roumain, premier partisan du panroumanisme. Il s’oppose à la fois aux communistes et à la monarchie, et crée une milice fasciste, la Garde de fer. Ses théories voyagent en Europe, où Evola aura même l’occasion de le rencontrer. Codreanu est exécuté en 1938 sur ordre du roi.
- Pierre Drieu La Rochelle est souvent cité comme inspiration par les intellectuels de droite, notamment ceux de la Nouvelle Droite. Comme les deux premiers, il est ancien combattant de la Première Guerre mondiale. L’auteur du Feu Follet est proche de l’Action Française sans toutefois y adhérer. Il fréquente le Paris intellectuel de l’entre-deux-guerres, notamment les Dadas, mais également Brasillach et la lie antisémite. Le romancier publie également des essais politiques et participe à poser les bases d’une pan-Europe. Il se suicide à la libération.
- Ezra Pound est un poète et artiste américain séduit par le fascisme dans les années 30, au point de rejoindre l’Italie et d’y faire de la propagande radiodiffusée en anglais. Il est arrêté en 1945 par l’armée américaine. Il incarne la figure de l’intellectuel inclassable fasciné par le fascisme.
Autant vous dire qu’on est bien tenté d’inclure dans le fascisme les iconoclastes inclassables qui flirtaient avec lui. Mais ces marges illustrent également ce qui va suivre, des mouvements et organisations aux nombreux points communs avec le fascisme, mais à la vision assez différente sur d’autres.
C’est par exemple le cas de l’Ordre Nouveau, organisation française des années 30 dont la ligne était globalement conservatrice, mais qui s’inscrivait dans une opposition au capitalisme, au communisme et au parlementarisme (souvent dénoncé à cette époque-là). L’importance accordée au personnalisme laisse entrevoir les dialogues qui auront lieu entre les différents courants intellectuels et politiques de l’époque, et rappelle par certains aspects la ligne évolienne.
La nouvelle droite
Maintenant que nous avons dressé l’aperçu d’un certain mode de pensée, posons-nous la question de ce qu’est vraiment la Nouvelle Droite. Nous poserons d’abord quelques éléments de contexte.
Le dépit, un moteur puissant
Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour les collaborateurs, il est plutôt l’heure de raser les murs, en tous cas, pour ceux qui n’ont pas été passés par les armes. Mais pire que ça, les vingt années suivantes seront marquées par l’indépendance des colonies françaises, et ça se passer rarement dans le calme.
En Indochine, l’armée française remplace l’armée japonaise. 1946 : l’armée tire sur le port de Haïphong et fait des milliers de morts, c’est le début de la Guerre d’Indochine. En 1954, Dien Bien Phu marque symboliquement la fin de la guerre. L' »Indo » est lointaine, mais les imaginaires en sont imprégnés, la France a perdu de son éclat. 1954 marque aussi le début de la Guerre d’Algérie, avec son coup d’État avorté, la torture, le terrorisme et les accords d’Évian en 1962. Deuxième défaite en dix ans.
En France, ce sont les trente glorieuses et leur grande politique d’immigration en vue de la reconstruction du pays. 3 millions de travailleurs issus des ex-colonies arrivent en métropole. De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, doit s’éclipser un an après mai 1968, c’est la chienlit !
Cette période représente le terreau idéal pour une scène politique d’extrême droite en pleine effervescence.
Une myriade de partis et syndicats
Dans ce contexte que nous qualifierons de dépit, l’extrême droite française se restructure. Entre 1946 et 1968 émerge un nombre non négligeable de partis, syndicats et organisations politiques, dont le nombre, précisément, illustre les tensions et désaccords profonds quant aux directions à donner aux combats.
Jeune Nation
1949 – 1958
Au lendemain de la guerre, les frères Sidos créent Jeune Nation. Pierre, ancien du parti franciste (parti collabo dissout en 1944) en prend rapidement la tête. La ligne est anticommuniste et antisémite, en droite lignée du fascisme français de l’entre-deux-guerres. L’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour est également considéré comme un membre important de JN mais ne se retrouve pas dans l’action violente. Il crée son propre parti, le Rassemblement National.
En 1954, un militaire revenant d’Indochine rejoint le parti, il s’appelle Dominique Venner. Il en devient un militant actif qui, lui, aime le coup de force contre les communistes. À l’image des autres militants de Jeune Nation, il est très marqué par l’écrasement de l’insurrection de Budapest en 1956.
Le 13 mai 1958 à Alger, un coup d’État tort le bras du gouvernement français qui cède à la pression et accepte le retour de De Gaulle au pouvoir. Jeune Nation soutient le coup de force et sera dissout par le gouvernement Pflimlin le 15 mai. Certains militants seront même condamnés à de la prison, comme François Duprat.
Jeune Nation est le premier parti à adopter la croix celtique comme emblème. Mais loin d’être le dernier.
Jeune Nation est également un journal lancé par la même équipe en 1958. Il disparaît en 1961 avec le passage à la clandestinité de ses membres (époque OAS). Yvan Benedetti le ressuscite dans les 90’s.
Parti nationaliste
1958-1959
Après sa dissolution sur décret, Jeune nation se reforme autour d’un noyau dur dont Pierre Sidos et Dominique Venner. Ce sera le Parti Nationaliste. La ligne ne change pas et son programme démontre une constance non démentie par la suite. Il mérite d’être cité ici :
« Renverser la République, c’est-à-dire le système actuel, pour instaurer l’État nationaliste » ;
« Suppression des pratiques électorales : responsables et dirigeants choisis pour leurs compétences » ;
« Élimination des partis, synonymes de divisions » ;
« Éviction des métèques des postes politiques et économiques, c’est-à-dire des individus qui ne veulent pas se fondre dans l’ethnie française ; ils doivent avoir le statut d’étrangers » ;
« Châtiment des coupables, responsables des morts inutiles depuis 1940 et de l’abandon des terres de l’Empire » ;
« Sauvegarde du patrimoine national ; défense du sol de la nation, des terres conquises et reconquête politique ou militaire de territoires perdus » ;
« Refonte de l’armée (…) ; lui donner les moyens de remplir sa mission guerrière et d’éducation de la jeunesse ; promotion de la valeur ; elle devra avoir, de par sa tradition et sa fonction, la place la plus haute dans la Nation » ;
« Un logement pour chaque Français (…) » ;
« Appropriation des entreprises — c’est-à-dire reconnaissance des droits du travail dans le capital et les bénéfices — mais non par les nationalisations qui ne sont qu’un collectivisme au profit de l’État » ;
« Instauration d’un syndicalisme corporatif — organisation des professions dans l’économie de la nation et représentation du monde du travail auprès des pouvoirs politiques » ;
« Élimination du capitalisme apatride et des revenus sans travail (intermédiaires) — le capital, de but du travail, doit en devenir un moyen » ;
« Instauration de l’État nationaliste en unissant et organisant en un même faisceau les activités et les forces de la nation ; cet État nouveau sera autoritaire et hiérarchisé » ;
« Construction de l’Europe fondée sur la communauté de civilisation et de destin de la race blanche, « de Narvik au Cap et de Brest à Bucarest », s’opposant aux matérialismes soviétique et américain comme à la montée des peuples de couleur ».
Rebelote et dix de der, le parti est dissout en 1959, à nouveau sur décret, par Michel Debré (père de Jean-Louis). Il faut dire qu’appeler au renversement de l’État est plutôt mal vu (alors quand on file à un coup de main à l’OAS…).
Mouvement populaire du 13 mai
La guerre de l’Algérie est un moment important pour cette sphère, qui vit très mal la séquence. Le général Chassin crée son parti, le mouvement populaire du 13 mai. On y croise à nouveau Pierre Sidos et Dominique Venner. Le monde est petit ! Le parti se désagrège de lui-même, malgré un nombre conséquent d’adhérents.
Il est intéressent de relever que ces partis, bien que souvent éphémères, sont un lieu de rencontre entre des militants issus d’univers différents : militaires, étudiants, bourgeois (avocats, médecins) et personnalités du monde politique.
À noter que le MP13 est proche du groupe paramilitaire France Résurrection, qui participe à préparer le putsch des généraux à Alger en 1961.
Mouvement social européen – MSE
1951 – 58
Après la guerre, les partisans revendiqués du fascisme et du nazisme font profil bas. Certains passent entre les gouttes de la dénazification, à l’image de Maurice Bardèche qui s’associe avec plusieurs autres personnalités d’Europe comme le britannique Oswald Mosley, pour créer le MSE.
Très antisémite, Bardèche est également fasciné par le panarabisme de Nasser. Le MSE servira de matrice au nationalisme révolutionnaire (la troisième voie de Jean-Gilles Malliarakis par exemple), et même si tous sont passés par d’autres organisations, ce mouvement plus anecdotique permet de faire une liaison après la guerre.
Fédération des étudiants nationalistes – FEN
1960-67
En 1960, en pleine guerre d’Algérie, des étudiants dont une partie a vécu la fin de Jeune Nation fondent la FEN, qui ressemble plus à une organisation conçue pour le coup de force qu’à un syndicat universitaire. Alors que l’UNEF s’oppose à la guerre, la FEN se construit contre cette idée-là.
Très vite, on retrouve Alain de Benoist et François d’Orcival à la direction. La FEN produit des journaux étudiants en quantité, et anime également de nombreuses réunions et manifestations.
Anticommuniste, la FEN publie un manifeste de la classe 60 qui pose des bases idéologiques ni démocrates, ni marxistes. Il s’agit d’un texte fondateur pour cette génération de nationalistes.
L’organisation, tiraillée par des tensions internes, finit par s’auto-dissoudre en 1967, ce qui amènera la création de deux mouvements distincts, Occident et le GRECE.
Europe Action
63-67
Si les années 50 ont été un moment de refondation avec le rêve d’un renversement de la République, les années 60 sont une décennie fondamentale pour l’extrême droite. Les défaites en Indochine et en Algérie ont profondément marqué ce courant politique, et le discours va changer. Il ne s’agit plus de renverser mais de bâtir du nouveau ; ce sera l’enjeu du mouvement Europe Action et sa revue.
Revoilà Dominique Venner, des anciens de l’OAS et de Jeune Nation, des membres de la FEN (comme Alain de Benoist et François d’Orcival) ou encore François Duprat. Europe Action dure quatre ans et, en particulier via sa revue éponyme, se rapproche davantage d’un cercle de réflexion que d’une organisation politique d’action. Le mouvement est un laboratoire idéologique qui va redéfinir le nationalisme et apporter les bases du régionalisme, ainsi que de la question identitaire moderne (sous l’angle ethnique, avec notamment l’idée d’une identité européenne), permettant de canaliser la frustration de la défaite en Algérie. Jean Mabire en est l’une des personnalités les plus influentes.
Mais Europe Action souffre de dissensions internes. À la veille de mai 68, une partie des organisations d’extrême droite se projettent dans l’action violente. EA rompt alors avec Pierre Sidos et une partie de la FEN. La défaite de Tixier-Vignancour aux présidentielles de 1965 montre également qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.
Mouvement nationaliste du progrès
1966-68
En 1965, des membres de la FEN et d’Europe Action ont apporté leur soutien à l’avocat d’extrême droite Tixier-Vignancour. Ce dernier aura tenté de spéculer sur sa 4ème place aux élections et adopté une voix républicaine. Certains de ses plus proches soutiens le quittent alors (comme son directeur de campagne, Jean Marie Le Pen). Ses soutiens de la FEN et d’EA décident de créer le mouvement nationaliste du progrès.
Le MNP est une forme hybride qui tient à la fois du laboratoire idéologique (le mouvement développera la notion de différentialisme pour la première fois) et de l’organisation d’extrême droite, avec la volonté d’en faire un parti politique. Le Rassemblement européen de la liberté est créé pour servir de plateforme au MNP aux législatives de 1967. C’est un échec cuisant. Néanmoins, on y retrouve déjà les principaux membres du futur GRECE.
Occident
64- 68
En 1963, la FEN Paris ne se retrouve plus dans la ligne de l’organisation ; elle est exclue par la direction nationale. C’est un tournant durant lequel se forment deux courants importants de l’extrême droite française. D’un côté le futur GRECE qui s’oriente vers une idéologie plus racialiste (le différentialisme) et anti-chrétienne, ainsi que vers la stratégie électoraliste. De l’autre côté, de jeunes militants dont le désir profond est de recréer Jeune Nation ; ce sera Occident.
Pierre Sidos en devient le dirigeant et l’organisation renoue avec sa tradition du coup de force. Nous sommes à la veille de mai 1968, et les milieux militants de gauche tout comme le milieu ouvrier sont très actifs. En 1965, Pierre Sidos se fait lourder d’Occident, où une nouvelle équipe prend la main. On y retrouve Gérard Longuet, Alain Madelin, François Duprat ou Alain Robert. La ligne est toujours anti-communiste mais se fait plus atlantiste.
En octobre 1968, l’hyperviolence d’Occident mène à sa dissolution.
GUD
1968 – de nos jours
En décembre 1968, Occident est recréé à Assas (la fac de droit à Paris) sous le nom Groupe Union Défense, le GUD. Y figurent notamment Gérard Longuet et Alain Robert.
Nous n’allons pas présenter le GUD, qui existe toujours et dont la ligne est encore sensiblement la même. Ses avatars existent aujourd’hui sous les noms Waffen-Assas, Zouaves Paris ou Bastion social. C’était une organisation étudiante en 1969 et l’est encore de nos jours. Plusieurs générations de militants y sont passés. Jack Marshal, Alain Robert et Anne Méaux au début, Philippe Péninque et Frédéric Chatillon dans les années 70, et bien évidemment Marc de Cacqueray-Valménier ces dernières années.
En 1969, le GUD sert surtout de passeur de relais entre Occident et la suite, Ordre Nouveau.
Ordre Nouveau
69-73
En 1969, les anciens d’Occident, les actuels du GUD et François Duprat créent Ordre nouveau. Pas grand chose ne change, l’organisation est anti-communiste, obsédée par les gauchistes et adore la bagarre. C’est d’ailleurs ce qui signera sa perte après le légendaire affrontement de la Mutualité avec la JCR (la Jeunesse Communiste Révolutionnaire dont le dirigeant est Alain Krivine) le 21 juin 1973. Les deux organisations seront dissoutes dans la foulée.
Si Ordre Nouveau est important, c’est aussi parce qu’à l’aube des années 70, cette génération de militants commence à vouloir à son tour transformer les organisations en partis politiques et trouver des débouchées électorales. Ainsi naîtra le Front National en 1972.
L’Œuvre française
1968 -2013
Une fois mis à l’écart d’Occident, Pierre Sidos, le fasciste français se remet en ordre de marche et fonde l’Œuvre française. Très antisémite, très anticommuniste et très nostalgique de l’Algérie française, c’est l’organisation qui pérennise la croix celtique (déjà en vogue là où passait Sidos) et le slogan « la France aux français« .
Dissout en 2013, après le meurtre de Clément Méric, Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac recréent alors un journal en ligne, Jeune Nation, puis un parti « Les nationalistes » (nouveau nom du PNF, Parti Nationaliste Français) en 2015. Pierre Sidos meurt en 2020.
Le reste de l’extrême droite
On peut identifier de grandes tendances dans cette extrême droite : identitaire, nationaliste révolutionnaire et royaliste. L’Action Française de l’époque n’est pas au meilleur de sa forme ; Maurras est en prison, Brasillach a été fusillé, Bardèche s’est tourné, comme nous l’avons vu, vers une autre vision. Pourtant, ce courant existe encore et retrouvera de sa vigueur à la fin des 60’s. N’oublions pas non plus l’UDCA (Union de Défense des Commerçants et Artisans) créée en 1953 par Pierre Poujade, ainsi que son antenne jeunesse, l’Union de défense de la jeunesse française, dont le porte-parole sera un certain Jean-Marie Le Pen en 1955.
À ce point de notre réflexion, il est important d’identifier les grandes trajectoires :
- une extrême droite qui commence à parler identité, civilisation, Europe ;
- une autre qui se reconnaît dans le libéralisme économique et l’atlantisme ;
- et enfin une dernière pour qui le seul horizon est la France catholique (et vive le Roy !).
Fondation du GRECE
Nous avons posé le contexte général et tracé une histoire brève de l’extrême droite avant 68. Nous allons nous maintenant nous à la première des trajectoires citées, qui met en avant l’identité, la civilisation et l’Europe. En plein mai 1968, les anciens de la FEN et d’Europe Action qui n’ont pas suivi les scissions vers Occident se regroupent autour d’Alain de Benoist pour créer le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, le GRECE. Le nom de l’organisation annonce d’ores et déjà moins de violence : « recherche » et « étude »… ça laisse imaginer un sérieux changement dans la façon de penser.
Oui.. et non.
Le GRECE est le résultat de plusieurs dynamiques :
- La rupture avec l’extrême droite tournée vers l’action à court terme (comme Occident) et ses dissolutions permanentes, mais également avec l’ensemble des courants de droite qui partagent cet anti-intellectualisme.
- D’un point de vue idéologique, il y a le constat que Europe Action a ouvert un horizon intellectuel à creuser, en phase ni avec l’atlantisme, ni avec la vision gaulliste et évidemment encore moins avec le marxisme. Il y a également la prise en compte que le fascisme n’a pas fonctionné et n’est donc plus une option. Un nouveau logiciel est à concevoir, de zéro.
- Enfin, les expériences électorales des 60’s ont montré que l’extrême droite n’était absolument pas armée pour remporter quoique ce soit. Quitte à viser la victoire, il faut s’y préparer soigneusement, et ça sera un travail de longue haleine.
Ainsi naît la Nouvelle Droite française.
C’est quoi la Nouvelle Droite ?
Dans les 60’s tout est nouveau : la Nouvelle Vague, le Nouvel Hollywood… Mais ce n’est pas vraiment sur ce terrain-là que se positionne la Nouvelle Droite. L’idée est de poser les bases d’un nouveau courant de droite qui se construise en dehors du gaullisme et de l’atlantisme, mais également en dehors d’un certain nationalisme et du royalisme. En somme, il s’agit de partir sur de nouvelles bases.
Ce courant est constitué de membres aux parcours et idées assez variés, qui constituent néanmoins un groupe cohérent. La Nouvelle Droite n’est pas un parti, c’est un ensemble d’intellectuels et militants qui agissent par la diffusion de leur idéologie. Nous vous proposons donc de passer en revue quelques personnalités de cette droite. Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive.
Alain De Benoist ou la métapolitique
De Benoist est la tête pensante du GRECE, et donc le chef de file de la Nouvelle Droite en France. Il est passé par la FEN et Europe Action, sous l’égide de Dominique Venner.
Auteur prolifique, il a déjà publié une centaine de livres traduits dans de nombreuses langues (et ce n’est pas un détail, au contraire). Il écrit également dans la revue du GRECE, Élements, fondée en 1973 (nous y reviendrons).
Difficile de présenter la pensée de De Benoist de façon succincte. Nous pourrions définir le bonhomme comme un roublard touche à tout. Et rusé, car il ne s’est pas enfermé dans l’extrême droite. Il est même très habile pour manier la rhétorique et regarder le passé en feignant de regretter une époque où les mots avaient un sens. Par ailleurs, il ne ferme jamais la porte aux autres courants politiques, leur reconnaissant des forces. Une honnêteté intellectuelle de façade en adéquation avec la ligne de la revue Élements qui, entre autres, produit une critique du monde politique.
C’est un touche à tout, un rationaliste passionné de sciences, d’histoire, de politique, de paganisme, membre de tous les cercles et comités possibles et imaginables. On le retrouve d’ailleurs dans le comité scientifique d’une revue pour une nouvelle anthropologie (et pour l’eugénisme). C’est également le principal précepteur du concept de « métapolitique » (voir plus bas).
Alain de Benoist aura beaucoup écrit sur le nationalisme, sur l’ethnodifférentialisme, sur les dangers du libéralisme, de l’écologie et même du wokisme. En gros, son idée actuelle est que l’égalitarisme prôné par nos sociétés modernes amène au « mêmisme ». La fin des différences, c’est la fin des identités ; on avait déjà vu cette logique de caste avec Julius Evola.
En sus de ses activités de journaliste et d’écrivain, il anime depuis près de 10 ans une émission sur TV libertés. Et, très important nous le verrons, il également l’un des théoriciens de l’entrisme de l’extrême droite.
Dominique Venner, la critique positive
Dominique Venner est une personnalité importante qui détonne pourtant dans le paysage de la Nouvelle Droite. Un peu plus âgé que les autres, il est un élément dynamique de l’extrême droite dès son retour d’Indochine. Passé par l’OAS, condamné et emprisonné à plusieurs reprises, il prend un peu de recul au cour des 60’s.
En 1962, alors en détention, il écrit Pour une critique positive : Écrit par un militant pour des militants, lequel ouvrage pose des questions de stratégie à partir des échecs successifs de son courant politique. C’est son petit côté Gramsci à lui aussi. Un exercice difficile qui s’avère être l’élément fondateur de ce courant politique : la capacité à remettre en question son mode d’action. En 1964, il fonde Europe Action.
En même temps qu’il contribue à la fondation du GRECE, il prend de la distance avec la vie politique. Mais son apport théorique le classe indéniablement avec la Nouvelle Droite.
Après avoir consacré la suite de sa carrière à écrire en tant qu’historien et spécialiste des armes, il se suicide le 21 mai 2013 sur le parvis de Notre-Dame.
Guillaume Faye, l’archéofuturisme
Guillaume Faye est une personnalité importante pour la Nouvelle Droite. Passé par le cercle Pareto (le Club de l’horloge), il arrive au GRECE, en repart, y revient. Il écrit parallèlement de nombreux livres et développera, à partir des années 90, une idéologie racialiste non négligeable pour le mouvement identitaire.
On lui doit (enfin, façon de parler…) le concept d' »ethnomasochisme », apparu en 2002 dans Pourquoi nous combattons : manifeste de la résistance européenne. L’ethnomasochisme désigne la prétendue repentance et les pratiques afférentes (le dénigrement de sa culture au profit de cultures importées).
Mais son dada, c’est l’archéofuturisme (livre éponyme en 1998). Evola avait développé, nous l’avons vu, une certaine approche du futurisme en même temps qu’il développait un modèle de société traditionaliste, en opposition à la modernité. Pour Faye, le salut de l’Homme se fera par le biais d’un retour à des valeurs archaïques (au sens du grec archè, la base). Il désire en finir avec le débat tradition/modernité, et propose de nouvelles valeurs sur le modèle d’une société de castes, inégalitaire et conservatrice, sans pour autant renier le progrès technique et les sciences. Il faut comprendre la modernité ici au sens de « perte des valeurs ».
Il meurt en 2017.
Jean-Yves Le Gallou, l’inventeur de la réinformation
Jean-Yves Le Gallou n’est pas non plus un fondateur du GRECE, qu’il rejoint en 1969 ; il en reste néanmoins un élément important. À l’époque, alors étudiant à Science-Po Paris, il est repéré tandis qu’il anime le cercle Pareto avec Yvan Blot. Il fait l’ENA dans la foulée, où il rencontre Henri de Lesquen. En 1974, le cercle Pareto devient le Club de l’horloge.
Le parcours de Le Gallou est également atypique. Haut fonctionnaire, il se rapproche de la droite traditionnelle (l’UDF) qu’il quitte en 85 pour le Front National, après avoir théorisé le concept de « préférence nationale ». Il suivra Bruno Mégret en 1999 dans la cofondation du MNR.
Mais surtout, il pose les bases du concept de « réinformation », notamment via la fondation Polémia en 2002. Il crée encore d’autres think tank et institut divers comme l’OJIM (Observatoire des journalistes et de l’information médiatique) en 2012, ainsi que l’Institut Iliade, qui dispense formations et séminaires (la légende dit que c’est à la demande personnelle de Dominique Venner juste avant son suicide).
Pierre Vial, le Völlkisch
Pierre Vial est l’un des fondateurs du GRECE. C’est un auteur moins prolifique (souvent avec Jean Mabire), mais ne vous y fiez pas, il est très actif. Il fondera les Éditions Copernic, l’un des atouts de la Nouvelle Droite. Médiéviste, son thème de prédilection sera d’abord le catholicisme, puis les influences païennes de celui-ci.
Mais Vial c’est aussi un parcours politique au FN, puis au MNR.
C’est l’association Terre et peuple, créée en 1994, qui nous intéresse. Concrètement, il s’agit à la fois d’un groupuscule de quelques militants et d’un groupe de réflexion avec son magazine, ses publications et ses conférences. L’influence revendiquée de Terre et Peuple est le mouvement Völlkisch, mouvement allemand du XIXème siècle, agrarien, pangermanique et paganiste, qui inspira Evola, les théosophes, les nazis, etc…
Vial écrit également dans Rivarol.
Georgio Locchi, l’antiaméricain
Lien très fort entre intellectuels français et italiens qui fait de la Nouvelle Droite un mouvement nationaliste atypique, Giorgio Locchi est un journaliste italien, co-fondateur du GRECE. Il participe à des publications du groupe en France et anime également des publications en Italie.
Locchi est un nostalgique du fascisme et du nazisme. Pour lui, la principale menace d’après-guerre restent néanmoins les USA. À ce titre, il co-écrira avec Alain De Benoist, en 1979, un livre intitulé Le mal américain. Il prend peu à peu ses distances avec le GRECE et mourra en 1992. Il est encore régulièrement cité par les héritiers de la Nouvelle Droite, notamment pour ses travaux sur Nietzsche et le sur-humanisme (une thématique déjà très présente chez Evola).
François D’orcival, le spécialiste de la presse
François d’Orcival n’est pas membre du GRECE mais en est un compagnon de route de longue date. En tous les cas, il nie en avoir été membre. Il milite d’abord à Jeune Nation avant de cofonder la FEN. Très proche d’Alain De Benoist, il écrit plusieurs livres avec lui dans les années 60.
Il est l’un des protégés de Raymond Bourgine, fondateur du groupe Valmonde. D’Orcival participera à lancer Valeurs Actuelles en 1966. Après en avoir été directeur de la publication pendant plusieurs années, il y publie encore aujourd’hui un billet régulier. Il a également été membre du comité de rédaction de la revue Nouvelle école, organe de propagande du GRECE.
Il est encore régulièrement invité en tant qu’éditorialiste dans des émissions politiques. Il écrit également des articles pour Le Figaro. François d’Orcival est influent et possède d’excellents réseau dans les médias.
Marco Tarchi, l’anti Berlusconi
Marco Tarchi est l’alter ego italien d’Alain De Benoist. S’il n’est pas membre du GRECE, il écrit pour ses publications (Krisis et Élements) et défend une approche similaire : la métapolitique. Tarchi vient du MSI (le FN italien) et se présente comme critique de la droite, proposant une analyse qui dépasse les seuls enjeux du monde des partis.
Anti-atlantiste, il se montre surtout très critique envers Berlusconi, les institutions européennes et l’économie capitaliste. Il est encore régulièrement consulté en tant que politologue pour l’université de Florence.
Pierre Krebs, la Neue Rechte
Pierre Krebs est l’un des fondateurs du GRECE. Il est issu du milieu politique qui gravitait autour de Dominique Venner et Europe-Action. Si on s’attarde un instant sur lui, c’est pour la singularité de son parcours. Il s’installe en Allemagne dans les années 80 et y anime le séminaire de Thulé (en référence à l’Ordre de Thulé, société secrète proto-nazi, pangermaniste inspirée du mouvement völlkisch).
Il est l’un des représentants de la Neues Rechte, la Nouvelle Droite allemande. Les thèmes chers à ce courant politique se retrouvent dans la plateforme PEGIDA puis, en 2013, chez le parti AfD.
Gabriele Adinolfi, le parrain de Casapound
Nous terminerons notre tour d’horizon avec la figure de Gabriele Adinolfi. Issu lui aussi du MSI, il participe à la fondation de Terza Posizione, une organisation néo-fasciste accusée de l’attentat de la gare de Bologne en 1980. Si ce n’est le contexte particulier de l’Italie (les Années de plomb, en opposition au contexte français particulier, la guerre d’Algérie), on peut comparer Terza Posizione à Europe Action pour l’idéologie anti-impérialiste, anticommuniste et antiatlantiste. TP revendique également l’influence de Julius Evola.
De retour d’exil en 2000, Adinolfi parraine l’organisation Casapound (dont le nom est inspiré d’Ezra Pound, nous en avons parlé plus haut) en 2003. Les méthodes de Casapound inspireront le renouveau identitaire français (Bastion Social, Génération Identitaire). La boucle est bouclée.
Ces portraits sont volontairement très succincts, et libre à vous de creuser chacun d’entre eux. L’idée, ici, était de mettre en évidence une diversité des idées sur un fond idéologique commun. Les représentants de la Nouvelle Droite sont nombreux et il serait vain de prétendre à l’exhaustivité.
Citons tout de même quelques noms. En vrac : Yvon Blot, Jean Mabire, Jean-Claude Valla… Ou encore Emmanuel Ratier, proche du GRECE pendant sa jeunesse. Sa lettre « Faits et documents » est la pierre angulaire de la diffusion du complotisme en France, bien avant internet.
L’héritage de la nouvelle droite : la bataille culturelle
Des idées qui ont fait florès
Éthnodifférentialisme
Le modèle républicain français repose sur l’universalisme ; la Nouvelle Droite s’y oppose fermement au profit de l’éthnodifférentialisme.
Le discours repose sur un mécanisme pervers. Au premier abord, il fait appel à un pseudo « bon sens », qui fait mine de constater que les cultures sont très différentes de par le monde. Cette différence fait précisément qu’il est impossible de vivre ensemble.
La Nouvelle Droite propose donc ni plus ni moins que le séparatisme. Ce qui ne l’aura pas empêché pas d’attaquer les autres et de les occuper (après tout, ils sont tous des défenseurs de l’Algérie française).
Paradoxalement, Alain De Benoist ne goûte que très peu l’idée de « grand remplacement », qu’il considère comme un concept peu pertinent et mathématiquement impossible. Jean-Yves Le Gallou, quant à lui, s’en est largement emparé, défendant l’idée du danger atroce des « mélanges raciaux ».
L’identitarisme
La Nouvelle Droite rejette l’internationalisme, pas par principe, puisque des nations peuvent trouver du commun (le discours européiste fait partie du socle idéologique) ; il ne s’agit pas d’un nationalisme. Ce que rejette l’imaginaire de la Nouvelle Droite c’est qu’une idée politique puisse être universelle.
Les identitaires naissent dans ce creuset, avec la promotion d’une identité européenne, française et chrétienne, en opposition à d’autres identités étrangères, barbares (le mot « barbare » désignant étymologiquement l’étranger).
Le métapolitique ou le gramscisme de droite
Parler de gramscisme de droite est un peu curieux. Rappelons tout de même qu Gramsci a été emprisonné par les fascistes. Il est d’ailleurs à noter qu’Antonio Gramsci n’a jamais écrit de livre, seulement produit notes et courriers en détention.
Ses écrits sont extrêmement riches mais restent un matériau à l’utilisation compliquée. Nous vous proposons donc de reformuler le gramscisme en citant la Nouvelle Droite :
Pourquoi les révolutions échouent ? Le gramscisme tente d’apporter une réponse à cette question en considérant que la base idéologique de l’appareil est radicalement opposée aux idées révolutionnaires. Cet appareil est hégémonique, il a le monopole de l’idéologie. Il faut donc faire d’abord les révolutions dans les têtes, gagner cette bataille, celle de l’hégémonie culturelle.
La guerre de position
C’est le concept de bataille de position (une vision inspirée encore une fois par la Première Guerre mondiale). Imaginons une somme d’escarmouches dans des tranchées et des bunkers. Une sorte de guerre d’attrition qui consiste à créer les conditions objectives de l’étape suivante, la guerre de mouvement, c’est-à-dire la phase finale de la révolution : l’insurrection.
Dans cette perspective, la bataille doit donc être menée partout où c’est possible, dans toutes les sphères de la société. La politique ne se fait plus dans le monde politicien mais dans les médias, à l’école, au travail, au café, etc… C’est la métapolitique.
La pensée de Gramsci ne peut évidemment pas être réduite à ce seul concept. Il est néanmoins extrêmement intéressant de constater que ses réflexions stratégiques auront trouvé écho chez des militants qui ne partagent pas du tout ses idées. L’imaginaire révolutionnaire a ainsi probablement influencé des militants qui ont soutenu deux coups d’État ratés dans un contexte de défaites et de colonisation agonisante.
La métapolitique de droite
En règle générale, la droite contraint le champ politique au régalien. La Nouvelle Droite s’en distingue précisément en ce qu’elle considère comme politiques tous les aspects de la société. À ce titre, proposer une vision politique cohérente qui concerne tous les recoins de nos vies est un enjeu stratégique.
« La métapolitique n’est pas une autre manière de faire de la politique. Elle n’a rien d’une “stratégie” qui viserait à imposer une hégémonie intellectuelle, pas plus qu’elle ne prétend disqualifier d’autres démarches ou attitudes possibles. Elle repose seulement sur la constatation que les idées jouent un rôle fondamental dans les consciences collectives et, de façon plus générale, dans toute l’histoire des hommes (…) Dans un monde où les ensembles clos ont laissé la place à des réseaux inter-connectés, où les points de repère deviennent toujours plus flous, l’action métapolitique consiste à tenter de redonner du sens au plus haut niveau par le moyen de nouvelles synthèses, à développer en dehors des joutes politiciennes un mode de pensée résolument transversal, enfin à étudier tous les domaines du savoir afin de proposer une vue du monde cohérente. »
Alain de Benoist
En prétendant que la métapolitique « n’a rien d’une stratégie », Alain De Benoist exprime le double-jeu de la Nouvelle Droite. Le discours de cette dernière repose effectivement, et comme il l’écrit, sur l’idée qu’il est primordial de mettre l’idéologie sur le devant de la scène. Mais De Benoist suggère en même temps, dans la deuxième partie de l’extrait, que ce travail est impossible à mener concrètement sans une importante partie… stratégique. La métapolitique est donc à la fois une déclaration de principe : mettre l’idée au cœur des débats, et une nécessité de faire exister ces idées dans toutes les sphères concernées, donc une stratégie.
À la fin des années 20, Julius Evola avait connu une période métapolitique durant laquelle il avait tenté d’influencer le fascisme en y injectant sa vision traditionaliste. Ce que feront également les fascistes de Mussolini en s’insinuant dans chaque club de sport et lieu de socialisation, dans le but de rendre le fascisme totalitaire.
Une pensée conservatrice atypique
La Nouvelle Droite est très critique du progrès d’un point de vue tant philosophique que politique. Comme nous l’avons expliqué plus haut, la modernité entraînerait les peuples vers la perte de leur identité dans la quête sans fin de progrès sociétal.
C’est là qu’intervient le concept d’archéo-futurisme, idée d’une société traditionnelle à la structure archaïque qui ne renierait pour autant le progrès technologique dans son ensemble. La vision des sciences y est pour le moins très utilitariste.
Il y a donc dualité entre progrès libéral et progrès technologique. N’oublions pas que la Nouvelle Droite porte une pensée politique qui n’est ni le libéralisme anglo-saxon, ni le soviétisme. (Bon, on vous cache pas qu’elle n’est pas si loin du fascisme finalement, même si c’est un peu différent, vous l’aurez compris).
Il en émerge par conséquent un discours écologiste très influencé par les mouvements agrariens ou Völlkisch (mouvement qui inspirera par ailleurs Rudolphe Steiner). On parlera d’une écologie conservatrice : la modernité (mais pas le capitalisme, attention) a affecté notre environnement, nos modes de vie ne sont plus en adéquation avec notre place d’humain. En ce sens, la Nouvelle Droite n’est pas climato-sceptique, elle prône davantage une écologie néo-païenne ou prométhéenne (Deus ex machina, le progrès technologique nous sauvera de nos péchés).
Pour une écologie à l’endroit
« L’écologie est incontestablement l’un des grands enjeux de notre siècle. Le monde change, les températures évoluent, les intersaisons disparaissent : c’est un constat. Reste à choisir la solution ! Entre les délires utopiques de pseudo-écolos libéraux et les altermondialistes coupés du monde, nous n’avons pas à choisir mais à proposer une troisième voie. Car la solution n’est ni dans le greenwashing, ni dans les mesures punitives… elle peut en revanche exister dans le localisme. Il s’agit en réalité de remettre l’écologie à l’endroit, dans un tout cohérent délié des idéologies et des délires utopiques. Il faut aujourd’hui pour les peuples d’Europe renouer avec le sens de la nature, avec son caractère sacré, appliquer concrètement le recours aux forêts promu par Jünger. À travers le localisme, il s’agit donc avant tout de choisir un destin, d’affirmer librement notre droit à être maîtres chez nous. »
Présentation du module écologie de la formation « jeune » de l’institut Iliade
Dans ce contexte, l’écologie est une façon de préserver les conditions environnementales pour perpétuer la race en se « réenracinant », comme un arbre. C’est le concept d’écologie intégrale inspiré par Charles Maurras. Ambiance…
Bioconservatisme
Atypisme aussi, avec la notion de bioconservatisme développée par le néo-conservateur américain Francis Fukuyama. Le concept n’est pas tant celui de la fin de l’Homme que celui d’un danger sur l’identité.
Le transhumanisme, la transitude, ainsi que tous les travaux sur le genre sont autant de menaces pour l’identité traditionnelle, effaçant ce qui fait la différence entre hommes et femmes, etc… Si plus rien ne distingue les hommes des femmes, alors nous aurons atteint le stade ultime de l’égalitarisme, l’absence d’identité (enfin ça, c’est leur façon de voir les choses). Bref, vous connaissez la musique…
On ne sera donc guère étonné de la copieuse exploitation du thème du wokisme, qui supplante ainsi le poncif du politiquement correct.
La stratégie
La stratégie de la Nouvelle Droite est relativement complexe et se déroule en deux temps. D’abord créer des canaux de diffusion pour que ses idées portent. C’est probablement une partie essentielle de cette façon d’agir ; les penseurs du GRECE ne font pas ça pour la beauté du geste, ce sont bel et bien des activistes politiques qui ont des objectifs : faire triompher leurs idées, pas juste s’accaparer le pouvoir.
Ils ont pour cela élaboré les outils adéquats.
Ne perdons jamais de vue qu’il s’agit d’une stratégie sur le long terme, un peu comme l’araignée, lentement, tisse sa toile.
Des outils de diffusion
Quand on veut diffuser des idées, il faut des canaux. Et la Nouvelle Droite est un milieu qui produit beaucoup. Tous sont journalistes, écrivains, historiens ou essayistes qui comptent à leur actif nombre de publications. Bien avant internet, ils ont dû, pour diffuser leurs idées, penser chaque étape et essaimer dans tous les supports de diffusion.
Les revues
Avant de lancer le GRECE, beaucoup ont commencé à la FEN ou Europe Action. Ces étudiants d’alors y ont appris les rudiments de l’édition. Ils savent donc mettre en place des comités de rédaction et connaissent les mode de production d’un périodique. Passons en revue les principaux titres.
Le GRECE publie trois revues.
- Nouvelle école créée en 1968, parution annuelle à 2000 ex.
- Éléments créée en 1973, parution bimestrielle à 15000 ex.
- Krisis créée en 1988, parution biannuelle à 1500 ex.
Chaque organisation satellite, comme Terre et Peuple de Pierre Vial, possède sa propre publication. Tout le monde s’invite, se traduit, se republie, créant ainsi un maillage très dense. L’édition n’est pas le monopole de la Nouvelle Droite ; on trouve par exemple la revue Le devenir Européen tenue par des anciens SS, et notamment Julius Evola, animateur du cercle Evola (cette revue a disparu dans les 70’s).
La plupart des membres du GRECE ne boudent pas non plus les invitations d’une presse à plus large diffusion, comme Le Figaro ou Valeurs Actuelles en France, Secolo d’Italia en Italie.
L’édition
Le vaisseau amiral du GRECE était sa maison d’édition, les Éditions Copernic, devenues les Éditions du Labyrinthe dans les années 70. En plus d’éditer les œuvres de conservateurs allemands ou de Julius Evola, la maison accueille les essais des membres du GRECE. Les Éditions de la forêt éditent les publications de Terre & Peuple.
Pour distribuer ces livres, il faut des lieux de vente. Il fut un temps où la FNAC était moins sensibles aux pressions de l’extrême droite, les éditions doivent donc passer par les librairies traditionnelles. On en citera ici quelques unes bien connues :
- La librairie FACTA d’Emmanuel Ratier
- La nouvelle librairie est un lieu historique de l’Action Française puis de toute l’extrême droite. En 2018, elle est reprise par François Bousquet, rédacteur en chef de la revue Éléments et membre du GRECE. Rapidement, La nouvelle librairie devient également une maison d’édition pour l’institut Iliade et les auteurs de la Nouvelle Droite (dont Alain De Benoist).
Le web
L’arrivée d’internet dans les années 90 va changer beaucoup de choses. Nous vous avions expliqué que le FN était le premier parti à avoir son site internet. Sur ce mode-là l’extrême droite sera en général la première à occuper les espaces ouverts par internet : les newsgroups, les forums puis les réseaux sociaux. Aujourd’hui, chaque groupuscule a un site internet.
C’est d’ailleurs ce constat qui a mené à la création des Debunkers.
Mais la tactique la plus efficace mise en place sous l’impulsion de la Nouvelle Droite est celle de la réinformation, incarnée en une multitude de sites dits « d’informations » qui traitent de tous les sujets, à l’échelle municipale, régionale et nationale. La facilité de déploiement d’un site internet permet à certaines structures de se lancer très vite. Certaines marchent mieux que d’autres, à l’image de Breizh Info, très proche de la ligne de la Nouvelle Droite et qui en fait la promotion.
La formation
C’est un vestige des années 60, où tous les partis politiques prenaient très au sérieux la formation des militants. Pour assurer cette tâche, l’Institut Iliade propose des stages, des MOOC (des formations en ligne), ainsi que tout un panel d’outils comme les bibliothèques idéales.
L’ambition assumée est de former des cadres, à l’image de l’ISSEP (l’école de Marion Maréchal où plusieurs personnalités du GRECE comme François Bousquet sont déjà intervenues), ou encore du tout récent Campus Héméra, l’école des cadres du RN fondée en 2023.
Entrisme
Nous évoquions de Benoist comme grand ordonnateur de l’entrisme. L’entrisme est une stratégie qui consiste à pénétrer dans des institutions pour y faire infuser ses idées. En ce qui concerne la Nouvelle Droite, c’est partiellement vrai. Nous avons souvent de l’entrisme une lecture conditionnée par le lambertisme à gauche. Ici les choses sont un peu différentes.
Pour commencer, si on retrouve en partie ces journalistes dans des grands titres de presse comme Le Figaro, Le Figaro Magazine ou encore Valeurs actuelles, c’est essentiellement parce que nous avons affaire à un milieu d’intellectuels de droite (radicale, certes), ce qui ne court pas les rues non plus. C’est un fonctionnement de réseau, celui de la petite bourgeoisie, et il est relativement cloisonné.
La légende dit qu’Alain De Benoist lui même aurait convaincu certains anciens d’Occident de rejoindre le RPR pour y être plus efficaces. Peu importe la véracité de cette histoire, car c’est bien ce qui s’est passé. Objectivement, dans les 70’s, le FN accaparé par Jean-Marie Le Pen n’était pas le parti qu’il est aujourd’hui. La droite commençait sa transition de l’après-gaullisme, et l’ogre RPR avait besoin de cadres compétents. Entendons nous bien, la notion de compétence ici est purement pratique, et ils ne sont pas légion, les jeunes de bonnes familles, diplômés en droit ou à l’IEP, n’ayant pas peur de se salir les mains et de s’investir. Plus atlantistes et plus libéraux, ces jeunes cadres s’éloigneront de la Nouvelle Droite.
Une stratégie pensée
Malgré tout, l’approche métapolitique de la Nouvelle Droite intègre naturellement cette stratégie à son arsenal. L’extrait ci-dessous montre Mario Borghezio, disciple du belge Jean Thiriart (dont idéologie est proche de celles de Bardèche et Mosley), militant de la Ligue du nord se revendiquant d’Evola. Si son parcours permet difficilement de le situer dans la Nouvelle Droite de par son parcours politique, il en reprend de nombreuses idées.
Cette série de capture montre l’homme politique italien invité par les identitaires niçois (autour de Philippe Vardon) en 2011. On peut raisonnablement affirmer que l’entrisme est aujourd’hui une stratégie du courant se revendiquant identitaire.
Les homologues de la Nouvelle Droite
Nous avons vu que la Nouvelle Droite était une création française mais aussi italienne. On notera néanmoins que d’autres d’autres émanations de cette pensée existent ailleurs de par le monde.
Le Club de l’horloge
Difficile de classer le cercle Pareto ou Club de l’Horloge dans cet environnement. Un certain nombre de passerelles ayant été posées au fil des ans, c’est le think tank qui a le plus de liens avec le GRECE.
Il reste cependant une entité à part et se distingue du groupe d’Alain De Benoist. Henri De Lesquen et Yvon Blot (les fondateurs avec Jean-Yves Le Gallou) rompent avec l’antichristianisme de la Nouvelle Droite.
Le Club de l’horloge est également porteur d’une vision à moins long terme. Sans pour autant renouer avec l’action pour l’action (une vision à très court terme), le Club de l’horloge s’inscrit dans un temps intermédiaire ; sa stratégie tend vers l’efficacité : réinformation, entrisme…
Douguine et la 4ème théorie politique de la modernité
Alexandre Douguine grandit dans la société intellectuelle soviétique. Ce philosophe revendique l’influence de René Guénon, Julius Evola et Ernst Jünger, ce qui ne devrait surprendre personne après avoir lu le début de ce dossier. Dans les 90’s, il fonde un parti national-bolchévique miné par des dissensions internes. En 2002, il créé finalement le parti Eurasie qui repose sur une base idéologique purement identitaire.
On retrouve chez Douguine des notions très familières. Se définissant lui-même comme un philosophe de l’archéo-modernité, il travaille avant tout sur une critique de la modernité. Succinctement, son raisonnement est le suivant : une société pré-moderne est une société en recherche de vérité (sur Dieu) ; or, la modernité consiste à tuer Dieu ; donc la post-modernité est un processus d’auto-destruction de l’Homme qui n’a plus que lui-même à tuer. Il s’agit d’une vision eschatologique.
« L’archéo-modernisme est une maladie, une sorte de schizophrénie sociale. La même société est consciente d’elle-même de manière diamétralement opposée. De l’extérieur et au-dessus, il s’agit d’une démocratie libérale moderne à l’occidentale, d’un bas et de son intérieur, d’une puissance mondiale avec la volonté de reconstruire un empire, avec un souverain suprême sacré à sa tête, avec des valeurs traditionnelles et une psychologie conservatrice qui rejette les attitudes occidentales « progressistes » (LGBT, ultra-féminisme, etc.) comme perverse. »
https://www.geopolitika.ru/en/article/archeo-modernity-empire
Il est donc nécessaire de se réaliser en tant que peuple avant de se réaliser en tant qu’individu. Cette conscience de soi permet de poser les bases d’un projet politique, celui d’un empire conscient de son identité respectueux de l’ordre naturel ; l’Eurasie est un bloc naturel, par exemple, comme le bloc musulman en serait un autre.
Les empires naturels devraient donc savoir valoriser la modernité endogène, en phase avec le sacré, et rejeter la modernité exogène (le transhumanisme, le féminisme, les droites LGBT..)
« Cependant, il y a une autre solution : les élites libérales-olno-modernistes ne devraient-elles pas subordonner le peuple, l’archaïque ? Ne devrions-nous pas reconnaître l’autocratie, le patriarcat et le système autoritaire non seulement de facto, mais aussi de jure ? L’Église et les institutions de la société traditionnelle ne devraient-elles pas retrouver leur position dominante dans la société (avec un renouveau complet des tendances traditionalistes et une libération définitive du libéralisme ecclésiastique – Laric, pare-by, comment est Budapest) ? Une révolution conservatrice à grande échelle en épistémologie – la science, l’éducation, l’information – ne pourrait-elle pas être mise en œuvre ? Les élites ne devraient-elles pas être appelées à être loyales au peuple, plutôt qu’à des principes mondialistes abstraits ? Ne devrions-nous pas frapper l’oligarchie affaiblie mais toujours influente ?
[…]
À l’époque soviétique, cette ligne était défendue par les bolcheviks nationaux (Ustryalov, Lezhnev) et développée en émigration par les Eurasiens. Il a été proposé de guérir l’arche-modernité soviétique en faisant appel à l’élément russe. »
https://www.geopolitika.ru/en/article/archeo-modernity-empire
Certains points sont très similaires à ce que produit la Nouvelle Droite, par exemple une idéologie identitaire qui cherche à penser son rapport à la modernité.
Samuel Huntington, le choc de civilisation
Il est toujours curieux de voir comment certaines théories apparaissent en même temps en différents endroits du monde. Douguine a développé sa thèse au début des années 90, c’est également le cas de Samuel Huntington, professeur à Harvard, en plein boum néo-conservateur.
Selon lui, les conflits consécutifs à la chute du bloc soviétique ne seront plus politique ou économique, ils seront culturels. Toujours ce même logiciel qui place les identités avant tout. La théorie sera largement utilisée après le 11 septembre pour expliquer la recomposition des forces en présence. C’est peu ou prou « l’axe du bien contre l’axe du mal » développé par George W. Bush.
« La thèse centrale repose sur la description d’un monde divisé en huit civilisations : occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine. Une civilisation est, selon Huntington, « le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer ».
Pour lui, la civilisation se définit par des éléments objectifs, comme la langue, l’histoire, la religion, ainsi que par des éléments subjectifs d’auto-identification ».
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270680-le-choc-des-civilisations-clash-civilizations-de-samuel-huntington
Bat Ye’or et Eurabia
Bat Ye’or est une essayiste britannique connue pour sa théorie d’Eurabia. Pour faire simple, les dirigeants européens ont sciemment organisé l’islamisation de l’Europe. Sortie en 2005 dans l’après 11 septembre, la théorie remporte une certain succès en France auprès du bloc identitaire et de groupes obsédés par l’Islam, comme Riposte Laïque ou Résistance républicaine.
Eurabia est cité à plusieurs reprises dans le manifeste d’Anders Breivik.
Renaud Camus et le grand remplacement
On commence toujours par parler de Renaud Camus comme d’un écrivain issu de la gauche. Rien d’évident à cela en regardant sa biographie, où son engagement à gauche se résume à l’intention de vote pour Mitterand ainsi qu’à son engagement pour la communauté LGBT dans les 70’s.
Ce qui ne fait guère de doute, en revanche, c’est que Camus, l’écrivain estimé, est bien d’extrême droite depuis 20 ans. S’illustrant d’abord par des propos antisémites à la radio, il va petit à petit monter en puissance jusqu’à 2010 avec la publication du Grand remplacement.
Sa pensée est assez proche d’Eurabia mais situe les motivations des élites occidentales dans leur culpabilité à l’égard du passé colonial, laquelle culpabilité fait que personne n’oserait contrecarrer le plan de remplacement des populations européennes. Comme la précédente, c’est une théorie largement complotiste mais que de nombreuses personnalités de droite ont utilisée pour amener l’immigration au premier plan des débats. Nous en parlions ici.
Le Pan-nationalisme
La mondialisation a dopé l’idée du pan-nationalisme à partir des années 80. Mais l’extrême droite européenne manifestait déjà auparavant une certain fascination pour le panarabisme prôné par Nasser.
En réalité, l’idée n’est pas nouvelle. Le mouvement Völkisch et le pangermanisme au XIXème siècle entendaient déjà refonder de grands blocs impériaux, et avant eux le pantouranisme et le panturquisme. Codreanu, figure influente du nationalisme au XXème siècle était quant à lui partisan d’une grande Roumanie. C’est le panroumanisme, et certains partis s’en revendiquent encore aujourd’hui (voir dans les forces en présence de l’extrême droite en Europe).
Plus récemment, le panafricanisme de Kemi Seba a fait recette et s’accorde parfaitement avec les nationalistes français. Ces mouvements « pan » ne se concurrencent pas, ils sont au contraire en synergie.
Les libertariens
L’origine politique et philosophique des libertariens est ancienne et diffère de celle de la Nouvelle Droite. Il existe en revanche des points communs entre l’œuvre de Ayn Rand et celle de Julius Evola, comme le rapport à l’accomplissement et à ce qui fait le surhomme.
Cette proximité éclaire la logique libertarienne, par exemple celle d’un personnage comme John Galt dans Atlas Shrugged, le roman d’Ayn Rand, ou ceux des films de Zack Snyder. Tous sont des hommes (comprendre ici des mâles, pas des mammifères humains) qui dépassent leurs fonctions et sans lesquels la société serait perdue. Ils sont les gardiens du temple, du pays, de la morale de la civilisation.
Ce parallèle n’est pas si délirant quand on voit que Javier Milei, nouveau président argentin complètement allumé, a été salué par l’extrême droite française, celle-là même dont le logiciel politique a été formaté par la Nouvelle Droite.
Les héritiers de la nouvelle droite
Là encore, nous ne saurions être exhaustif tant les effets du travail de la Nouvelle Droite se font partout sentir. La presse de droite grouille de nombreux personnages rattachés à ce courant, et force est de constater qu’en 2024, la droitisation du Figaro et la radicalisation de Valeurs Actuelles est indéniable.
La fachosphère, la stratégie d’occupation des réseaux, mais également la réinformation, sont des stratégies pensées par la Nouvelle Droite.
La stratégie identitaire, de GI à Reconquête
Nous avons développé la généalogie de Génération Identitaire jusqu’à Reconquête. Si les identitaires ne sont pas à proprement parler des descendants directs de la Nouvelle Droite, ils en sont des héritiers et ont bien appris leurs leçons.
Ils ont parfaitement intégré les principes de métapolitique et de réinformation, et sont complètement en phase avec les moyens à leur disposition. Leur agit’prop inspirée de Greenpeace et la façon dont ils fabriquent des cadres expérimentés pour les partis politiques (RN et Reconquête) montrent qu’ils sont un produit de la pensée stratégique du GRECE.
D’un point de vue idéologique, la question ne se pose même plus, ils sont la force politique la plus proche de l’éthnodifférencialisme prôné par la Nouvelle Droite.
Égalité et réconciliation
Alain Soral et Philippe Péninque (ancien Gudard proche du RN) fondent Egalité et Réconciliation en 2007. E&R démarre d’emblée sur le capital « image » amené par Soral et son canapé rouge, sur lequel l’individu dispense ses leçons antisémites et masculinistes ou s’illustre par son amitié tonitruante avec Dieudonné.
Mais E&R, c’est aussi une idéologie assez particulière d’abord résumée par « gauche du travail, droite des valeurs » qui se veut déjà iconoclaste. La volonté revendiquée du groupe est de reprendre le cercle Proudhon de George Valois qui se réunissait à La nouvelle librairie dans l’entre-deux-guerres. Si la ligne n’est donc pas celle de la Nouvelle Droite, il existe bel et bien une filiation entre celle-ci et E&R.
Qui plus est, E&R a créé un site de réinformation, une chaîne Youtube, mais aussi une maison d’édition, Kontre Kulture, qui réédite Evola (et édite Dieudonné), dispense séminaires, débats et formations… Il ne manque que la revue annuelle à 25€ et la boucle est bouclée.
Entre autres intervenants (la liste est pléthorique), E&R accueille Alain De Benoist pour quelques débats ou conférences.
Rage magazine, la droite prométhéenne
Pour finir, nous consacrerons quelques mots au site Rage magazine (dont la devise est « Liberté-Progrès-Identité ») qui publie nombre de réflexions sur le mythe prométhéen et l’archéofuturisme. Rage, par la plume de Romain D’Aspremont (pseudo d’un auteur qui participe aussi à Boulevard Voltaire), se montre critique notamment sur l’apport de Guillaume Faye. Il n’empêche que cette scène intellectuelle est encore bien vivante.
On relèvera un grand nombre de références bien connues sur la page de présentation de cette publication. Faites le jeu vous-même.
Le cas Pierre André Taguieff
Nous ne saurions parler de la Nouvelle Droite sans évoquer le travail de Pierre André Taguieff. Ce dernier a aujourd’hui opté pour une trajectoire différente de la nôtre (pour faire dans l’euphémisme), tant et si bien que nous serions probablement à ses yeux des représentants de l’islamo-gauchisme (expression dont on lui attribue la parenté, pour l’usage contemporain). Pierre André Taguieff a une connaissance extrêmement pointue la Nouvelle Droite et il est probablement l’intellectuel qui a fourni le plus gros travail à son propos.
Son travail l’a amené à côtoyer de près les intellectuels de la Nouvelle Droite, lançant un débat animé sur la façon de mener la lutte contre l’extrême droite, par le rejet ou par le débat. On referme la parenthèse sur PAT.
Conclusion
La Nouvelle Droite, en tant que mouvement, vient donc de loin. Ces prémices datent de la période fasciste italienne avec Julius Evola. Son corpus se constitue ensuite, toujours en Italie mais surtout en France après la Seconde Guerre mondiale. Les idées varient – un peu – mais elles se formalisent dès 1949 avec la création de groupes comme Jeune Nation, puis le Parti Nationaliste, le MSE, Europe Action, Occident et, plus proches de nous, le GUD, L’œuvre française, Ordre Nouveau. Enfin et surtout, en 1969 avec, autour d’Alain de Benoist, la fondation du GRECE qui agrège des anciens des groupes précédents, dont beaucoup viennent de l’OAS.
En droite ligne d’Evola, assaisonnées d’autres influences et imprégnées d’amertume après la décolonisation, les idées et les théories sont variées et interdisciplinaires, un peu comme une constellation, mais toutes se rassemblent en seul mot : l’identité française et sa disparition annoncée dans le flot d’une décadence civilisationnelle marquée par l’immigration, les droits accordés aux minorités etc… Le but : regagner l’identité française telle que l’ont définie des intellectuels comme Barrès ou Maurras en leur temps.
Néanmoins, c’est ce qui fait son originalité et malheureusement sa force de frappe, le GRECE n’est pas un parti et n’a aucune visée électorale. Ses intellectuels ont appris des années précédentes et compris que ni le coup de force sur le mode Occident, ni les élections – le cas Tixier-Vignancour ayant fait jurisprudence – ne pourront faire triompher les idées identitaires. Il faudra être plus malin et avancer masquer. De fait, le GRECE se définira avant tout comme une stratégie dont le but, suivant une méthode qui se réclame d’un pauvre Gramsci tordu pour la cause, sera de propager la pensée et les éléments de langage dans le discours public. Et personne n’y verra que du feu. Pour cela, le GRECE forme, recrute puis place des intellectuels dans les institutions, et surtout dans les médias dont le flux permanent infuse dans l’opinion de la population. Pour le mouvement identitaire, la bataille ne se joue ni dans les urnes ni à coup de pancartes, elle se joue partout où il y a des discours et des idées ; la « bataille est culturelle » ! Et ce qu’il faut, c’est remporter la victoire, celle de « l’hégémonie culturelle ».
Et de fait, qui, en dehors de quelques universitaires et passionnés d’Histoire et de politique, connaît aujourd’hui le terme même de Nouvelle-Droite ? Tout le monde a entendu parler – dans le désordre idéologique – du RPR, DU PCF, du PS, de l’UDF, de LO, du RN, et plus proches de nous, de LR, du NPA, des Écologistes etc… Mais de la Nouvelle-Droite, beaucoup moins, voire pas du tout, et jusqu’aux militants ou sympathisants de la gauche. Et pourtant, la Nouvelle Droite est active, très active depuis 1969, au point qu’aujourd’hui, les idées et termes qu’elle a forgés flottent dans tous les discours et tous les médias, jusqu’à ce que certains médias eux-mêmes, soit sont l’émanation de la Nouvelle Droite (Valeurs Actuelles, Cnews), soit existaient déjà et sont aujourd’hui dirigés par ses héritiers et porte-voix (Le JDD, Le Figaro, Canal+, et de plus en plus BFM TV pour ne citer qu’eux).
« Grand Remplacement », « ensauvagement », « décivilisation », « Ni de gauche ni de droite », tous ces termes ou formules qui font aujourd’hui flores et forgent l’opinion, tous viennent des laboratoires de la Nouvelle-Droite. Elle a aussi porté et apporté les thèmes de l’immigration, de la décadence de la France, une certaine critique de la modernité. Mais pas du tout, pourrait-on rétorquer, ce sont des thèmes nouveaux ! Non justement, ils ont été pensés, forgés par le GRECE et sa galaxie depuis des décennies, depuis la fin de la guerre et surtout depuis la chute de l’empire colonial français. La « préférence nationale » par exemple, notion centrale du FN, puis du RN, attribuée à Jean-Marie Le Pen. Et bien elle n’est pas de Le Pen, elle a été forgée par Jean-Yves Le Gallou, fondateur du Club de l’Horloge, think tank associé au GRECE. Mais peu importe au fond, l’essentiel étant que jusqu’à aujourd’hui, quand le RN se félicite que la loi sur l’immigration a consacré la « préférence nationale », la notion ait traversé les années et soit tombée dans le discours public quotidien.
De fait, que ce soit dans les médias, dans le discours politique, dans les repas de familles ou les cafés, c’est tous les jours que nous causons, réfléchissons et nous positionnons autour d’éléments de langage, narratifs et thèmes imposés peu à peu, discrètement et sans bruit, par la droite identitaire.
C’est cela la bataille culturelle.
Et pourquoi la victoire est-elle remportée et l’hégémonie érigée ? Parce que même la gauche, ne serait-ce que pour s’y opposer et les dénoncer, est obligée d’aborder, de porter et de prononcer les mêmes vocables, de débattre sur les mêmes thèmes. La gauche a comme été aspirée sur le terrain identitaire. Elle est aujourd’hui paralysée par la stratégie de la Nouvelle Droite, prise au piège de la répétition ad nauseam de tout une thématique et sémantique identitaires. Condamnée à reprendre les notions pour les désavouer sans pouvoir, de son côté, créer ni vision ni notions fortes. C’est d’autant plus désespérant que l’on connaît bien la fonction performative du langage : prononcer un mot, c’est le faire exister. Dire « le wokisme n’existe pas », la « décivilisation est un épouvantail de droite », c’est valider l’existence même dudit « wokisme »et de ladite « décivilisation », et malheureusement participer à la banalisation de ces notions. L’hégémonie culturelle voulue par la droite identitaire était de dicter la vision et l’opinion de toute une société. Et bien c’est gagné !