Le spleen. Il y a des jours qui commencent comme ça, avec cette sensation de grande et profonde lassitude. C’est ouvrir ce compte collectif sur Facebook pour voir à qui répondre, et s’apercevoir qu’il y a une notification en attente. Nous avons posté une « fausse information ». Oui, pour la debunker, pour expliquer ce qui n’allait pas avec une photo. Cette image était même accompagnée d’un lien vers Snopes, reconnu comme organisme vérificateur par Meta.
Cet épisode n’a rien de nouveau, c’est l’histoire de notre collectif. Un post mal tourné ? C’est arrivé et ça arrivera encore. Nous avons déjà perdu des pages et des comptes, alors on râle et on recommence. Nous ne sommes pas les seuls, après tout.
Oui mais. Les réseaux sociaux sont notre principal vecteur de diffusion pour notre travail. Nous le voyons bien, nous nous adressons à des milliers de personnes qui se trouvent captives de ces réseaux et dont la plupart n’ont pas envie de lire un article sur un site. Nous devons alors développer une partie de nos arguments sur ces réseaux. C’est là que le bas blesse. Nous travaillons sur des fausses informations.
Par conséquence, nous devons parler de fausses informations, d’extrême droite, de haine et tout un tas de trucs pas cools… sans jamais en parler. Contre mauvaise fortune bon cœur, nous devons donc nous réinventer constamment. C’est d’ailleurs une question éthique pour nous ; se remettre en question, fournir une réflexion sur le sujet autant que la démarche, ne jamais devenir se que nous combattons.
Mais du point de vue d’une multinationale, notre éthique ne vaut pas grand chose. Elle est même difficilement compréhensible.
Le virage. L’élection de Trump marque un profond changement. Zuckerberg et Musk ont suivi leurs chemins respectifs, mais le résultat est le même. Les utilisateurs de leurs services ont beau clamer leur volonté de départ, c’est difficile de quitter une communauté, ses réseaux. Beaucoup de journalistes continuent de scruter les tendances sur X. Nous-même avons besoin d’y suivre nos sujets, parce que c’est là qu’ils sont, encore plus aujourd’hui qu’hier.
Quitter Meta ? La décision relève du vœu pieu. Nous cherchons à toucher des lecteurs. Tiens, parlons transmission ! Car il s’agit bien de ça. Nous avons ce choix face à nous : hurler dans le désert, isolés des sphères militantes, ou tenter d’y exister malgré tout. Transmettre, ce n’est pas juste travailler à la mémoire du moment, c’est aussi la confier à d’autres.
En pratique. Ces plateformes ne seront jamais nos alliées. Nous ne sommes que des parasites, refusant de payer pour de la pub, fiers de notre bénévolat et nos convictions chevillées au corps. Zuckerberg est une girouette sans convictions, sinon un fond masculiniste qu’il entretient depuis l’adolescence. Utiliser le réseau qu’il a développé nous impose de le formuler : il y a une contradiction à s’y trouver, depuis le premier jour. Mais c’est là que sont les gens.
La question n’est pas propre aux produits commerciaux de ces deux zigotos (il s’agit là d’un euphémisme, ces gens sont réellement dangereux). Sur Tiktok, alors que nous découvrons à tâtons la plateforme chinoise (d’un point de vue déontologique, des questions se postent là aussi), nous rencontrons les mêmes problèmes. Parler de Candace Owens ? C’est possible, mais sans utiliser le matériau original.
![capture tiktok compte complotiste](https://www.debunkersdehoax.org/wp-content/uploads/2025/02/WhatsApp-Image-2025-02-03-a-10.46.46_d3791245.jpg)
Notre vidéo est supprimée automatiquement par la modération quand des conspirationnistes notoires publient sur le sujet plusieurs vidéos par jour. Un rythme frénétique qui génère…. un pognon de dingue. Faut-il évoquer ici l’usage de l’IAG (intelligence artificielle générative) et de ses nouvelles problématiques.
Le dernier coup de pelle. Il y a des matins où le sentiment de vider la mer à la petite cuillère se fait pesant. Les récents succès d’une internationale réactionnaire font froid dans le dos, les plateformes où nous tentons de transmettre du mieux possible ont participé à cet effort là. Nous ne devons pas composer qu’avec ce paradoxe, en plus de la modération qui relève du double standard, nous devons composer avec l’agressivité et la défiance de plusieurs sphères.
Ce constat peut vous paraître étonnant, mais notre plus gros problème ne vient pas de l’extrême droite. Arrivant au goutte à goutte, nous les bloquons sur toutes les plateformes. Ceux qui démontrent la plus grande capacité de nuisance sont ceux qui l’ont pensait retrouver à nos côtés, sans pour autant partager nos convictions. Les gardiens de la raison et leur apolitisme benêt ou de nombreux militants de gauche (notre camp) nous ont pris comme exutoire comme on passe ses nerfs sur le premier objet qui passe. Le coup de poignard dans le dos.
La fatigue n’est pas arrivée avec Trump, elle se faisait déjà sentir aux dernières législatives. Les effluves des fins de cycles se font sentir depuis un moment. Le nouveau monde se fait attendre. « Faîtes nous rire, plutôt » comme réponse, en décalage total avec tout ce qu’on fait depuis dix ans.
On est encore là (et tout le monde n’est pas cor-da). Alors quoi ? Qu’est ce qu’on fait maintenant ? On arrête tout et on range l’aventure sur un coin de l’étagère ? Non. Comme souvent répété, la lutte antifasciste n’est pas un choix.
L’adaptation est la clé. Apprendre en permanence, suivre les évolutions de ces plateformes, digérer les contradictions posées par un monde capitaliste, impérialiste et suprémaciste. Au milieu de tout ça, il faut développer des trésors d’adresse et d’imagination pour arriver à parler de nos sujets sans être sanctionné.
Il était important de ventiler. Maintenant que nous avons râlé sur les réseaux sociaux et leur double standard, dicté par des impératifs parfois obscurs, il s’agit de développer des solidarités. Les réseaux sociaux ne sont pas nos amis, nous profitons d’un interstice pour nous y faufiler et exister dans un environnement hostile.