Ha la fameuse citation de Christiane Taubira sur l’esclavage…
« Il ne faut pas trop évoquer la traite arabo-musulmane pour que les « jeunes arabes » ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes. »
Tous les sites d’extrême droite l’ont publié au moins une fois, et toute discussion sur l’esclavage comporte son petit militant fasciste qui la cite. Depuis 15 ans cette citation de Christiane Taubira « tourne » et retourne inlassablement. Comme par exemple ici:
Le panneau vient du site « Damoclès », un site d’extrême droite bien connu pour ses très nombreuses infaux, que nous avons de nombreuses fois épinglé, le site et son tenancier Samuel Lafont. On passera sur le profil du twittos lui-même. Un militant d’extrême droite très présent sur twitter. On passera aussi sur son message qui mériterait une meilleure analyse. Ceci étant dit nous avons déjà démonté ce style d’infaux.
Concentrons nous sur la citation elle-même.
Une brève recherche sur Google montre que cette citation est utilisée quasi exclusivement par des sites ou des comptes de la fachosphère. Cependant, comme le signale d’ailleurs le panneau ci-dessus, il y est souvent indiqué la source de cette citation: un article d’Eric Conan dans l’Express du 4 mai 2006.
Cet article existe et voilà même le passage incriminé:
On pourrait s’arrêter là et plier bagage. Sauf que chercher la vérité signifie croiser les sources. Et lorsque cela concerne la politique analyser le contexte. Commençons par là.
L’article de l’Express est un article lourdement à charge sur les « lois mémorielles ». Il condamne totalement celles-ci sans aucune nuance, et contient de très nombreux biais de confirmation.
- Il cite très peu ses sources.
Concernant le passé, les historiens s’inquiètent pour la vérité historique et pour leur liberté de recherche du fait de l’intrusion du législateur et du juge dans leur domaine.« Les historiens »??? Non, DES historiens. Et ils ne sont même pas cités. Cela a pourtant son utilité. Il s’agit de 19 historiens réunis dans un collectif «
Liberté pour l’histoire« , dirigé par Pierre Nora. Or ce fameux Nora n’est pas neutre. Lui qui est pour la « liberté de l’histoire » sur les discussions autour des génocides et crimes contre l’humanité, l’est nettement moins quand il s’agit d’autres sujets. Ainsi il refuse en 1997 de faire traduire l’ouvrage d’Eric Hobsbawm The Age of extremes (1994), en raison de l' »attachement à la cause révolutionnaire » de son auteur. Nora explique que l’hostilité au communisme qui règne en France n’est pas propice à ce genre de publication, et que, bon gré mal gré, tous les éditeurs « sont bien obligés de tenir compte de la conjoncture intellectuelle et idéologique dans laquelle s’inscrit leur production ». Et Nora collectionne ainsi plusieurs polémiques du même acabit.
Pourtant l’Express ne les cite pas, et n’explique que ces historiens sont parfois eux mêmes très controversés par leurs pairs.
- Plus grave, il fait des parallèles douteux.
Les démarches identitaires d’associations revendiquant le statut de victimes de l’Histoire transforment les débats. Dieudonné et les Indigènes de la République ont ainsi avancé l’expression très problématique de «descendant d’esclave».
« Coller » le travail de propagande d’extrême droite de dieudonné et du PIR aux motivations de C. Taubira est un abus absolument répugnant. C’est du confusionnisme le plus absolu.
- Il commet des « accusations inversatoires ».
Là réside le paradoxe le plus gênant, quand l’obsession pour un passé réinventé sert de substitut aux urgences du présent: le concept de crime contre l’humanité est une catégorie pénale dont l’objet est la poursuite de criminels; elle a ainsi permis de pourchasser au bout du monde les derniers criminels nazis. Or les criminels esclavagistes n’appartiennent malheureusement pas tous au passé lointain.
Non. Les lois mémorielles ne sont pas là pour promouvoir un « passé fantasmé », mais bien exactement au contraire pour empêcher que pour des opérations de propagande politique certains (à l’extrême droite) ne falsifient la réalité historique.
- Il fait des rapprochements qui ne relèvent pas de l’histoire
D’une tragédie qui appartient à la longue histoire de l’humanité elle ne retient, sur une séquence courte, que les faits imputables aux seuls Blancs européens, laissant de côté la majorité des victimes de l’esclavage. La terrible traite transatlantique, du XVe au XIXe siècle, ne constitue malheureusement qu’une partie de l’histoire de l’esclavage, qui comprend également la traite arabo-musulmane, laquelle a duré du VIIe au XXe siècle, et la traite intra-africaine, toutes deux plus meurtrières.
Ce rapprochement entre traite négrière européenne et arabo-musulmane est une antienne absolument essentielle de la propagande d’extrême droite. Nous sommes quasiment certains que vous ne trouverez JAMAIS une discussion sur un site d’extrême droite ou lorsque des militants d’extrême droite qui ne la mentionne pas. Or il est bien évident qu’historiquement cette traite arabo-musulmane existe, c’est un fait historique INCONTESTABLE.
Mais pourquoi l’accoler systématiquement à des discussions sur l’esclavagisme européen? Un historien pourrait parfaitement pour des motifs de recherche les mettre en parallèles pour en évoquer les ressemblances, les différences, les motif, la durée, le fonctionnement de ces systèmes esclavagistes. Là aussi c’est incontestable.
Mais ici ce n’est pas ce dont il s’agit.
Il s’agit de mettre en parallèle les deux traites pour un motif de propagande politique. En évoquant la traite arabo musulmane les extrêmes droites tentent de minimiser la traite européenne. Ce n’est rien d’autre.
Or nous sommes français. Le problème des lois mémorielles sur la traite négrière concerne la France (pardon pour cette apparente tautologie). Pourquoi donc y méler l’évocation de la traite arabo musulmane? Il s’agit d’un argument politique éminemment contestable qui permet d’accuser un « lobbying » politique (musulmans, dieudonné, PIR, et « islamo gauchistes) de vouloir soit disant censurer la recherche historique, ce qui est à nouveau une accusation inversatoire. Et permet à bon compte de minimiser la traite négrière européenne.
Bon calcul politique qui permet attaque et défense en un seul mouvement.
Accuser Eric Conan de partialité et de connivence avec l’extrême droite? Oui. Sur ce sujet précis en tout cas. Mais l’homme n’est pas connu pour être un gauchiste et ses positions politiques le rapproche souvent des droites nationalistes.
Disons que ce n’est pas un journaliste connu pour sa neutralité politique…
L’article de Conan ne contient que des citations défavorables à la loi, sans tenter de représenter tous les points de vue à son sujet. Il y a donc un problème de neutralité de l’article.
Mais tout ceci ne suffit pas à montrer la fausseté de la citation.
Nous voulions montrer que cet article pose deux graves soucis sur la question de la « fameuse » citation de Taubira:
- L’article est partiel, partial et extrêmement orienté politiquement
- Mais surtout et c’est là dessus qu’il faut insister, nulle part Conan ne donne lui-même la source de cette citation …
Nulle source, nulle date, nulle contextualisation. Bref une citation qui sort de nulle part et qui n’est confirmée par personne d’autres. Une citation sur l’esclavage introuvable dans aucun des textes, ni autres interviews de Christiane Taubira.
E. Conan l’aurait il inventé? Peut-être. Peut-être pas.
Mais dans tous les cas, sil est impossible de conclure là dessus, on peut sérieusement remettre en doute la source miraculeuse citée par tous les sites d’extrême droite.
Les Debunkers sont intéressés par tout article/interview/déclaration qui infirmerait ou confirmerait la véracité de cette citation.