23 octobre 2024 | Temps de lecture : 7 minutes

Des anciens nazis partout !

Des nazis à la tête des institutions mondiales ? Éloquent, non ? C’est un meme aimablement transmis par un militant UPR sous un post qui n’avait absolument rien à voir. Nous l’avons évidemment bloqué après avoir sauvegardé cette image.

Et comme celle-ci est intéressante, nous allons prendre un peu de temps pour nous attarder dessus.

montage anciens nazis UE Nasa Otan 1

Cette image, via la recherche inversée, nous la retrouvons sous d’autres formes, notamment en anglais.

Le fonctionnement est toujours le même, les quatre mêmes personnalités, des anciens nazis devenus de hauts dignitaires aux responsabilités d’organisations toutes puissantes.

Vérification des faits

Reprenons chacune d’entre elles, et regardons un peu qui elles sont :

Wernher Von Braun

Le célèbre inventeur du V2 était adoré par les nazis. Il adhère au NSDAP en 1937 et fait parti intégrante de la machine de guerre nazi. A la fin de la guerre, il comprend que ça tourne mal pour l’Allemagne, et choisit de se faire exfiltrer vers les USA, c’est l’opération Paperclip (nous en reparlerons après). Il est naturalisé en 1955.
L’image nous dit qu’il a été à la tête de la Nasa, et c’est vrai. En tous cas, il sera bien administrateur adjoint de l’agence, c’est à dire le plus haut poste pour un fonctionnaire ; au-dessus c’est politique. Il est nommé en 1970, ça se passe assez mal et il quitte la Nasa en 1972.
Tant en Allemagne qu’aux USA, l’ingénieur a été responsable de projets. Ses succès spectaculaires lui ont permis de gravir les échelons très vite. Toutefois, il ne parviendra pas à donner la direction qu’il désirait pour la NASA après la lune, c’est à dire la conquête de Mars.

Walter Hallstein

Dans l’entre-deux-guerres, Hallstein est enseignant en droit, haut fonctionnaire et officier de réserve. Il sera mobilisé par la Wehrmacht en 1942, et fait prisonnier en 1944. Après la guerre, il devient diplomate et participe à la fondation de l’Europe. Il en devient le premier président de la commission européenne de 1958 à 1967.

Adolf Heusinger

Nous avons affaire ici à un militaire de carrière qui sert dans les deux guerres. Général pendant la seconde, il est proche de la tête du régime nazi. La postérité voudra qu’il ait gardé ses distances avec la doctrine, voir même qu’il ait détesté les nazis. Mais pour se maintenir aussi haut dans l’organigramme, il faut au moins travailler avec eux.
Après la guerre, il participe à la constitution de la RFA et notamment de la Bundeswehr (l’armée allemande). Rappelons que si l’Allemagne de l’ouest a adhéré à l’OTAN en 1955, c’était aussi dû à la proximité avec le voisin soviétique. La RDA signe la même année le pacte de Varsovie.
En tout état de cause, Heusinger, conseiller d’Adenauer et haut cadre de l’armée allemande prend la tête de l’OTAN en tant que président du conseil militaire de 1963 à 1964, c’est à dire jusqu’à sa retraite.

Kurt Waldheim

Le cas Waldheim est un peu différent, ici, nous avons un nazi convaincu, proche des SA puis du NSDAP. L’autrichien sert sur le front pendant la guerre. Blessé, il prétendra avoir fini loin des combats, quand des historiens affirment qu’il a eu un rôle direct dans des crimes de guerre.
Il sera secrétaire général de l’ONU de 1972 à 1980. Cadre de l’ÖVP (la droite conservatrice), il finira par se faire élire président en Autriche en 1986, tout en étant interdit de séjour aux USA en tant que criminel de guerre à partir de 1987.

Alors, c’est vrai ou pas ? Pour faire court, oui, c’est vrai. Mais justement, c’est un peu (trop) court. Factuellement, ces quatre personnes sont d’anciens dignitaires du régime nazi et sont parvenues à des responsabilités après guerre.

Le biais de sélection

Sauf que… Ici, nous avons quatre personnes. Rapporté au nombre de responsables et d’institutions politiques, c’est marginal.

Sur ces quatre personne, le cas Von Braun est singulier. Il est ingénieur et sert une agence qui n’a pas le pouvoir des autres, la NASA est au service des USA, c’est une agence nationale. Ce qui nous laisse trois personnalités.

Adolf Heusinger n’est resté qu’un an à la tête de l’OTAN. Quand on connait le fonctionnement de ces institutions, ce n’est pas un temps nécessaire pour influencer quoique ce soit. Ce qui nous laisse deux personnalités, dont une carrément problématique.

Finalement, cet assemblage est assez hétéroclite. Il fonctionne sur le principe du biais de sélection : il suffit de ne prendre que les allemands aux responsabilités et d’en tirer une généralité. Cette généralisation est abusive, tant l’échantillon est faible pour en déduire quoique ce soit.

Les sophismes sont une chose, mais le plus important, c’est de se poser la question de la raison. Pourquoi mobiliser cet échantillon ? Quelle est la fonction de ce discours ?

Le discours politique sous-jacent

Si on a commencé cet article en disant qu’il provenait d’un militant UPR, ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas la première fois que nous avons affaire à eux. Mieux, ce n’est pas la première fois que nous avons affaire à cette histoire d’anciens nazis à la tête d’une institution. Personne n’a oublié cette affaire du grand père d’Ursula Von Der Leyen.

Parce qu’il faut le dire, l’UPR voit des nazis partout. Le parti est pourtant classé à l’extrême droite, professant un populisme souverainiste à base de Frexit, et de rejet de toute organisation internationale. Le parti (certes groupusculaire, mais qui monte malgré le silence des médias) travaille donc à la disqualification de toutes ces agences. Rappelons à toutes fins utiles qu’elles ne sont pas exemptes de critiques et qu’il ne s’agit pas ici de blanchir les puissances impérialistes et leurs émanations. Toutefois, l’approche de l’UPR est largement complotiste et ne fait pas l’économie de procédés douteux. Comme ici avec cette généralisation abusive.

Je vois des nazis partout meme

Et comme pour l’histoire du grand père d’Ursula Von Der Leyen, il s’agit juste d’avoir un lien avec l’Allemagne, même le plus ténu, pour vivre à jamais le sceau de l’infamie. Il faut prendre un peu de temps pour creuser cette idée, en particulier sur la nature de ce qu’a été ce régime totalitaire.

À titre de contre-exemple, tous les allemands n’ont pas été des Konrad Adenauer, maire de Cologne et haut fonctionnaire qui fut démis par Göring pour sa défiance envers les nazis. Comme tous les français n’ont pas été résistants, loin de là. Le régime nazi a pu s’enraciner profondément, parce qu’il existait un terreau culturel favorisant l’adhésion de la population à ce projet de société. Et cela va de pair avec une répression violente de toute opposition depuis des décennies (et notamment l’écrasement de la gauche depuis la révolution spartakiste). La démocratie affaiblit cède et porte au pouvoir le petit moustachu par un jeu de coalition. La suite est connue.

Mais il est important aussi de dire que les allemands n’avaient pas le choix de cette adhésion, au moins à défaut suspendre toute critique à l’égard des nazis. C’est toute l’ambiguïté  d’un Von Braun, qui avait besoin d’argent et de moyens pour mener ses recherches et dont la loyauté allait à l’état allemand, le même qui déportait des millions de Juifs, Tziganes, homosexuels, etc. Oui, bon… C’était de très belles fusées quand même !

Le régime n’était pas passif, il exigeait cette adhésion et l’instrumentalisait. Combien de savants, d’entrepreneurs et d’artistes ont préféré rester en Allemagne plutôt que de fuir aux USA, sachant que ces différents choix impliquaient des concessions ? Pour des allemands vivant en Allemagne, l’adhésion au nazisme n’était peut être pas la plus grande concession. Albert Einstein, par exemple, avait quitté l’Allemagne depuis bien longtemps. Tout comme Hannah Arendt ou Fritz Lang. Ce fut le cas de nombreux intellectuels, en particulier les Juifs.

Après la guerre, la question de la reconstruction fut posée. La mobilisation des compétences a entraîné l’allégeance de fonctionnaires sous le régime nazi, à un nouveau régime. Ça ne fait jamais que le quatrième en un demi-siècle (et ne parlons pas du XIXème). Et donc, mécaniquement, la diplomatie allemande sur fond de paix, de petites fleurs et de charbon à bon prix s’est faite avec des hommes dont les mains n’étaient pas très propres (cette phrase contient un euphémisme, saurez-vous le retrouver ?)

Le complot de l’opération Paperclip

Et à la fin de la guerre, l’Allemagne ne dispose pas de tant de compétences que ça. La raison, c’est que les vainqueurs ont capturé les ingénieurs si créatifs de la machine allemande. Les américains ont toujours des noms rigolos pour ça. Pour eux, ça sera l’opération Paperclip. Ils récupèrent donc 1500 ingénieurs et savants, donc plusieurs milliers de personnes qui ont prêté allégeance au nazisme, au moins pour pouvoir continuer à travailler.

 

meme operation paperclip

C’est là qu’on retrouve le propos des versions 2 et 3 de ce meme (voir plus haut). L’opération Paperclip serait en fait une victoire des nazis, et donc du nazisme sur les alliés. Dans la liste de noms, un seul est concerné, Von Braun (et son équipe) ; en effet, cette opération ne visait que les scientifiques, en aucun cas des fonctionnaires ou des militaires. On a donc ici, une généralisation abusive dans la généralisation abusive. Après tout, nous ne sommes plus à ça près.

Conclusion

Le propos de ce meme sous entend donc d’exclure les allemands pour l’éternité (et dans le cas de Von Der Leyen, même leur prétendue descendance).

En réalité, le sort des allemands importe peu les militants UPR et souverainiste en général. Il s’agit en réalité de disqualifier les institutions en les associant au nazisme, peu importe que ce lien soit pertinent ou non. C’est le récit politique souverainiste qui mobilise le besoin de faire de l’autre, l’étranger, l’extérieur, une menace. Ce récit a besoin d’un ennemi pour unir. Il mobilise donc un imaginaire anti-impérialiste et invoque une spoliation des gentils français par les autres grandes puissances du monde.

Ce récit est complotiste dans sa nature.

Debunked !

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