Colin Kaepernick a t-il fait perdre 500 millions de dollars à Bud Light ?
Avant de répondre à cette question, reprenons notre histoire un peu en amont. Ces derniers mois, les modérateurs de la page Facebook des Debunkers de hoax sont exposés à un contenu fait de pages au contenu assez douteux… Souvent porteuses de valeurs conservatrices (voilà pour l’euphémisme), mais aussi ce que nous considérons comme des relais de propagandes, des proxys.
Ainsi, nous sommes tombés sur cette page, dégueulant de posts peu qualitatifs basées sur des déclarations péremptoires, le tout pointant sur des sites au contenu indigent.
Hey ho, les Debunkers, vous n’allez tout de même pas prendre ça au sérieux quand même ? Des bots, de l’IA, n’importe qui devrait bloquer ce contenu ! Saine réaction, mais nous, ce qui nous intéresse, c’est de jeter un œil au moteur, de gouter à l’infâme tambouille.
La page US Trends Today sur Facebook
Commençons donc par passer en revue les publications de la page. Comme son nom l’indique, elle suit les tendances (trends) américaines, à base de stars et personnalités, le tout passé à la moulinette des prises de positions publiques.
Ce n’est pas rien aux USA, certaines figures ont une véritable influence. Taylor Swift, la chanteuse pop-country aurait même joué un rôle dans le vote des jeunes en 2020.
« Jamais ce clown woke », « je ne peux plus vivre ici ». On retrouve des patterns, c’est à dire des phrases répétées et attribuées à plusieurs personnes. Ces motifs se retrouvent dans différents posts et trahissent déjà le peu de sérieux de la ligne éditoriale.
Et il y en a beaucoup des posts de ce genre. Tous les discours tenus vont dans le sens d’un récit, celui de l’Amérique de Trump qui s’affirme contre le wokisme, le tout Hollywood (considéré comme plutôt démocrate) sous la houlette de rares personnalités MAGA…
Elon Musk y est évidemment érigé en héros sur la ligne de front, prêt à dépenser sa fortune pour lutter contre l’État profond (hahaha, cette blague !). Une ligne républicaine new-school que l’on connait assez bien et dont on parle régulièrement.
À propos de la page
Il est temps de regarder un peu qui est à la barre. La page semble belle et bien vivante avec des publications régulières. Commençons par regarder si on peut la dater. Pour cela, une astuce est de regarder la première image de l’album photo de profil qui est générée automatiquement à la création de la page. Rarement supprimée, elle nous permet de donner un âge à la page.
Il s’agit donc d’une page toute fraîche, à peine deux mois de vie. Allons maintenant regarder ce que nous dit la rubrique « à propos ».
On recherche donc dans un moteur de recherche où pointent ces coordonnés. Le résultat est sans appel, un restaurant de l’Iowa, voisin d’un bureau de poste.
Tout ça est un peu curieux. Nous allons donc essayer une autre méthode. Tous les posts de cette page pointent vers le même blog « luxury blog », via une redirection (ici le lien usanewsus.com). Celui-ci ne contient aucune page de mentions légales ni de contact.
En revanche, le blog est en sous-domaine d’un autre site : amazingtoday.net. Le contenu est assez similaire, le webdesign aussi. Et cette fois, nous trouvons des mentions légales, avec une société, TNCorp, basée à Chicago. Ce n’est certes pas trop loin de l’Iowa, mais quand même…
Notons au passage que l’outil Who-is ne nous indique plus grand chose, les noms de domaine étant protégé, cette fonction ne nous apprend rien (si ce n’est la date d’enregistrement. Tous les noms déposés l’ont été depuis 2023, ce qui est assez récent).
Cette société ne nous apprend pas grand chose. Mais l’adresse et le numéro de téléphone vont être plus loquasses. Si on recherche l’un ou l’autre, on tombe sur une société spécialisée dans le web et en particulier les stratégies SEO. Voilà qui est beaucoup plus cohérent.
Un aperçu rapide des comptes des gérants ne nous indique pas si l’un des deux est particulièrement engagé politiquement. La raison de l’existence de cette page reste assez floue. Est-ce par conviction anti-woke, par cynisme en surfant sur un thème de l’époque ? Pourquoi des posts en français et en espagnol ? Pourquoi donner l’adresse d’un resto sur la page Facebook ?
Munster et boule de gomme !
Colin Kaepernick et Bud Light dans tout ça ?
Revenons au post qui nous intéresse. Colin Kaepernick, c’est ce joueur de football américain qui a mis un genou à terre en 2016 pendant l’hymne américain. C’était un geste délibéré en soutien à Black Lives Matter (BLM), ce mouvement né en 2013 après la mort de Trayvor Martin, un jeune homme noir tué par un homme blanc. Le terme woke a d’ailleurs été utilisé d’abord au sein du courant BLM, avant de devenir la lubie des milieux conservateurs américains et d’en faire une panique morale. Après ce geste militant, la carrière de Kaepernick deviendra compliquée, pour ne pas dire compromise.
Aunt Jemima
Ce post est intéressant, car il commence avec une erreur de choix dans la photo. Aunt Jemima est une marque américaine de produit pour pancake qui n’a absolument rien à voir avec Bud Light. Nous en parlions justement dans notre article sur les marques et les paniques morales autour du wokisme.
Ce qui est intéressant ici, c’est qu’il y a bien eu « une affaire Aunt Jemima », au sens où la marque s’est retrouvée dans le viseur des milieux réactionnaires quand elle a voulu changer son image, associée à un vieux racisme qui n’a plus court. Une histoire qui ressemble à celle de Banania en France.
Il y a fort à parier que cette image était prête pour un autre post et associée par erreur à Colin Kaepernick et Bud light.
L’origine du hoax
Car nous avons bien affaire ici à un hoax. Pour s’en assurer, on peut chercher sur un moteur de recherche cette requête « Kaepernick + bud light + 500 millions loss ». Les premiers résultats sont des posts sur des réseaux sociaux, et rien que ça est un mauvais signe en général. Imaginez qu’une société perde un demi-milliard de dollars (de valeur ? de chiffre d’affaire ? On ne sait même pas), toute la presse financière aurait largement couvert l’affaire, en long, en large et en travers.
Mais surtout, nous trouvons rapidement un premier debunk.
Cet article nous mène vers un post sur une page satirique, SpaceX fanclub, daté du 11 septembre 2023.
Cette page est la vitrine d’un site satirique, esspots.com, géré par un certain Alex Robin. L’article original a été posté le même jour et il est bien précisé qu’il s’agit d’une satire, une bonne vieille vanne qu’on apprécie ou non, comme le fait The onion ou le Gorafi.
Ce qui est intéressant, c’est que l’article sur Luxury, notre blog antiwoke, est un pur copié collé. Tellement mal fait, que l’auteur a même copié la présentation d’Alex Robin.
Seul le titre a été changé, tout le reste est rigoureusement identique. Nos lecteurs aiment à rappeler que l’on peut aujourd’hui générer du contenu avec ChatGPT. La preuve qu’il y a encore plus facile : le copier-coller !
Un article rapidement écrit dans le mépris le plus total de son auteur, mais également de la véracité. Citer une parodie comme un fait sérieux, ce n’est pas inédit, reprenez nos premiers articles de la rubrique What the faf quand les fachos franchouillards prenaient le Gorafi au pied de la lettre.
L’affaire Bud light
Car il y a bien une affaire Bud Light. Ou plutôt, soyons plus précis, il y a eu un appel au boycott de la marque Budweiser par les obsédés du wokisme. La marque de bière a en effet noué un partenariat avec la comédienne transgenre Dylan Mulvaney. Les MAGA animés par leur coutumière transphobie avaient orchestré une campagne à l’encontre du brasseur dont les actions avaient baissé de 18%.
Une campagne particulièrement virulente :
Le 1er avril 2023, Mulvaney a fait la promotion de la marque de bière Bud Light dans une vidéo Instagram à l’occasion de March Madness19, un tournoi de basket-ball universitaire organisé par la NCAA34,35. Selon le Washington Post, son parrainage de marque a conduit des personnalités des médias de droite, tels que Fox News, à faire référence à Mulvaney « dans des termes dépréciatifs et souvent transphobes près d’une douzaine de fois au cours des trois jours suivants7 ». Le parrainage a conduit à des appels au boycott de Bud Light de la part des conservateurs19, et le chanteur Kid Rock a tiré sur plusieurs caisses de Bud Light avec un fusil dans une vidéo de protestation28. Plusieurs usines Budweiser ont également reçu des alertes à la bombe en réponse36. La promotion a entraîné une réaction importante en ligne, ainsi qu’une diminution notable des ventes de la boisson.
Fiche Wikipedia de Dylan Malvaney
Et c’est d’ailleurs dans la foulée de ce partenariat que le site satirique a publié son propre article.
Conclusion
Non, Colin kaepernick, icône de BLM, n’a pas fait perdre de l’argent à Bud light.
Encore une parodie qui fini pris au sérieux dans le circuit de la réinformation. C’est l’ère de la post-vérité, où finalement la vérité importe peu, pourvu qu’on parle d’un péril imminent, de valeurs bafouées et du grand déclin. Méthode largement utilisée par les proxys trumpistes.
L’intérêt ici se trouve surtout dans le profil un peu étonnant de cette société web, qui publie ici des articles en français pour un public francophone. Une méthode qui pose question.
Une économie du fake s’est mise en place, avec une production industrielle d’articles bidons qui inondent les réseaux sociaux. Certains en vivent, mélange des genres entre convictions conservatrices, paniques morales et complotismes, avec un soupçon d’appât du gain.
Debunked !