13 mars 2025 | Temps de lecture : 5 minutes

L’antisémitisme de la gauche

Le ras le bol

Mais qu’est ce qu’on va faire d’elles et eux ? Il faudrait plutôt dire « mais que va-t-on faire de nous ». La question de l’antisémitisme à gauche n’est pas nouvelle, au contraire. Nous devrions d’ailleurs le formuler ainsi, notre société française a intériorisé l’antisémitisme depuis des siècles. Il est là, pas toujours tapi dans l’ombre, et ressort dans un déjeuner en famille ou à la machine à café, au détour d’une bonne vieille vanne à laquelle on est tenu de sourire.

Racisme, sexisme, homophobie, les  rapports de domination structurent la société. Nous, vous, toi, moi, personne n’y coupe. On vit dans une saucisse. On ne s’extrait pas de ces rapports de domination en claquant des doigts. À gauche, camp du progrès, nous luttons contre l’exploitation et pour une société égalitaire dégagée des ressorts de dominations entremêlées.

Il y a une dimension prescriptive, à gauche, à se déclarer antiraciste. Parce que tout commence déjà par le formuler « je ne veux pas être le ou la dominant•e, je veux une société où nous serions égaux et égales ». Cette déclaration d’intention entraîne avec elle un changement de paradigme « être raciste, c’est pas bien ». C’est une posture morale qui semble sotte et naïve ; nous pourrions la tourner autrement, mais c’est un point de départ tout à fait acceptable : nous souhaitons une société plus juste, reposant sur l’égalité, et pour se faire, nous devons détruire les structures de domination.

photo collage de rue antisémitisme est un racisme

L’antisémitisme est une discrimination, son mécanisme une essentialisation. Cette essentialisation est une construction sociale, fruit gâté d’une longue histoire de persécutions. Le tournant scientiste du XIXème siècle ajoute même une dimension biologisante. Usuriers, empoisonneurs de puits, kidnappeurs de femmes et d’enfants, capitalistes exploiteurs, peuple déicide, que n’ont donc pas été les Juifs ? Chacune de ces affirmations raconte son époque, les obsessions des uns, les persécutions sur les autres.

« Ils nous emmerdent avec leur prosélytisme », l’argument revient régulièrement. « Juif, c’est une religion », la formule permet à l’athée de balayer ces « querelles de croyants ». Oui, mais ce serait trop simple, tant l’antisémitisme n’est pas seulement une affaire de religion. Car à religion, il faut superposer traditions, cultures, langues, gastronomies. Le peuple Juif n’existe pas disait Shlomo Sand, repris en chœur un peu partout. L’antisémitisme existe bel et bien, lui. Même à gauche.

L’exception antisémite

Mais qui est ce elle et eux par lequel débutait ce texte ? Il serait commode de regarder en arrière, l’air satisfait, et de conclure que l’antisémitisme n’est plus un problème pour nous aujourd’hui. Oui, de la vieille taupe et Garaudy, il ne reste plus grand chose de gauchiste. À vrai dire, ces négationnistes avaient, de leur vivant, tourné le dos à tout progressisme au nom de leur haine du Juif. L’extrême droite était leur vraie place, c’est juste, et ces transfuges sont bien pratiques pour nous absoudre.

Pourquoi, alors, prendre autant de pincettes pour parler de LFI ? Ce elles et eux est bien vivant, et il n’est pas négationniste. En fait, c’est même plus subtil que ça car cette gauche est fermement opposée à l’antisémitisme. Mélenchon n’a jamais dit « mort aux Juifs », pas plus qu’aucun des cadres du parti. Comment pourrait-on être, ne serait-ce que suspecté d’antisémitisme, alors que l’on est authentiquement antifasciste ? Bonne question.

L’antisémitisme est un rapport de domination

Vraiment ? On est sûr de ça ? Parce que Tsahal tue nos frères et nos sœurs palestiniens. Tiens tiens… Ce glissement de Juif à Israël est un classique. Et l’injonction à se désolidariser tombe : « T’es Juif•ve, mais t’es pas israélien•ne, hein ? T’es pas sioniste ! », comme la droite exige des musulman•es qu’ils et elles prennent leurs distances publiquement avec Daesh. Pour un parti politique qui a une connaissance fine de ce qu’est l’islamophobie, de la perversion de cette attaque qui vise l’immigration au travers d’un trait culturel, traditionnel ou religieux, ne pas voir l’effet miroir de cette injonction faite aux Juif•ves de se désolidariser d’Israël confine à l’aveuglement.

Cette généralisation a une fonction, remettre en question la qualité même de l’antisémitisme comme étant un rapport de domination. Peut-on sérieusement dominer ce peuple qui contrôle le monde, ces marionnettistes qui agissent dans l’ombre ? Et sans aller jusqu’à le formuler ainsi, il y a toujours un mais qui conditionne la lutte contre l’antisémitisme. « Mais les Juif•ves sont blanc•hes. » « Mais ce sont des colons. » « Mais le peuple Juif n’existe pas. »

LFI n’est que le prolongement d’une tradition, à gauche. Ce ne sont ni les premier•es, ni les dernier•es. LFI est à l’antisémitisme ce que le Printemps Républicain est à l’islamophobie.

Désolé, mais je ne vois pas ce qui est antisémite.

« Ha mais en quoi LFI est antisémite ? Pour des debunker•euses, on attend de vous que vous avanciez des preuves. »

L’Art de l’ambiguïté. Tout l’art du maître est là diront les plus perfides, nous préférerons alors une approche didactique. Expliquer les signes, les dogwhisthle, les références. Meyer Habib traité de cochon ? Pas très malin, même pour ce sinistre individu. La vidéo de Delogu, les dragons célestes de Guiraud, le soutien lourdingue à Corbyn, le rapprochement avec Bouteldja et Paroles d’honneur, ou encore l’affiche récente avec Hanouna dont le choix de photo est désastreux (une photo qui aurait été trafiquée, ce qui est encore pire, tant elle se colle aux caricatures du XIXème). Toutes ces polémiques alimentées de petites phrases ne font pas de LFI un parti au programme antisémite. Elles en font en revanche un parti qui a un problème d’antisémitisme.

À chaque fois, la réponse est la même : « je ne suis pas convaincu•e » ou « Si c’est antisémite, alors il faut qu’il ou elle soit condamné•e par la justice » comme si la justice était infaillible. L’argument est casse-gueule ; le jour où ça arrive, on fait quoi ? On qualifie officiellement LFI de parti antisémite ?

Un autre argument est invoqué, le chantage à l’antisémitisme. En 2011, Alain Badiou et Eric Hazan publiaient L’antisémitisme partout, dénonçant des attaques de mauvaise foi contre les progressistes. L’antisémitisme partout, sauf à gauche, forcément. Parce qu’il y a bien un véritable problème aujourd’hui avec la façon dont l’extrême droite s’est accaparé ce combat, elle, forgée du pire poison antisémite qui finit par se retrouver à honorer les morts de la Shoah à Perpignan flanqué des Klarsfeld. Qu’est-ce que nous avons raté !?

Et enfin l’article de Claude Askolovitch sur Slate, pour se faire une idée de se qui commence et qui va gonfler, gonfler, jusqu’à l’explosion (ou l’achèvement, comme on achève bien les chevaux) de Mélenchon. En France, depuis longtemps, quand on veut tuer politiquement, on accuse d’antisémitisme…
Mélenchon versus Askolovitch  – billet de blog Mediapart

Seul contre tous

« Critiquer la gauche, c’est faire passer l’extrême droite. » Émettre des critiques contre LFI relèverait de la traitrise à la cause. Pire, ça mériterait le qualificatif de soc-dem ; peu importe si LFI est un parti social-démocrate qui n’a rien d’extrême. Mais dans un contexte de tensions politiques avec un centre qui s’est construit sur une opposition contre des extrêmes, LFI s’est engagée dans un chemin, celui du seul contre tous. Toute critique revêt alors un caractère blasphématoire. Peu importe qu’un faisceau montre qu’il y a quand même quelque chose de pas net, des militants qui ne sont sincèrement pas antisémites prendront la défense du parti. Ça, c’est une dérive populiste, et nous ne pouvons rien contre ça.

N’importe quel facho invoquant un dixième de ces discours ne se verrait pas gratifié d’une telle indulgence, ni d’autant de précautions.

En 2018, une tribune contre le « nouvel antisémitisme » est publiée par le Parisien. Écrite par Philippe Val, elle regroupe 250 intellectuel•les et personnalités politiques. Derrière un appel à condamner l’islamisme se cache en fait une généralisation des musulmans, désignés comme responsables de l’antisémitisme. Ce discours pose un récit : vous êtes antisémite ou islamophobe. En d’autres termes, nous devons choisir entre un génocide et « une épuration ethnique à bas bruit » (l’expression utilisée dans la tribune). Refuser le faux dilemme nous place entre le marteau et l’enclume. Encore.

Cette gauche et cette droite ont trouvé une façon de faire parler d’elles en continu, Bad buzz is still buzz. Nous aurions préféré voir des dirigeant•es d’un parti qui se revendique antiraciste dire « ok, on va changer de graphiste et se former sur la question de l’antisémitisme ».

Si ce texte ne trouvera pas grâce aux yeux des militant•es insoumis•es, il ne doit pas servir à cet extrême centre qui se pourlèche les babines à chaque critique émise envers le parti de Jean-Luc Mélenchon. Ceux et celles-ci feraient mieux de balayer devant leur porte, cette obsession n’est pas moins toxique.

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