Toute lutte contre l’extrême droite, le complotisme commence par une meilleure compréhension de ses mécanismes de fonctionnement, sa méthodologie. Depuis plusieurs années, nous consacrons une partie de nos articles à une analyse du gramscisme langagier des extrêmes droites complotistes. Cet article est le premier qui soit exhaustif sur ce sujet et s’attachera à dérouler la pensée méthodologique des « analyses » de l’extrême droite complotiste. Nous y détaillerons leurs paradigmes, de leur méthodologie de recherche, de leurs processus mentaux, de leurs biais cognitifs et des sophismes qu’ils utilisent.
Si il semble facile de démonter le mensonge des rhétoriques complotistes, c’est que nous sommes nombreux à croire que les complotistes mentent délibérément. Dit autrement, nous sommes persuadés qu’ils savent qu’ils mentent. Or rien n’est plus faux.
Les complotistes pensent dire la réalité. Une vérité cachée, indicible, qui échappe aux mortels de base que nous sommes. Rien que leur langage le montre, ils se nomment eux-mêmes « éveillés », et nous surnomment (pour certains) les « normies ». Ce terme anglais est déjà péjoratif et désigne une personne normale et conformiste. Le terme a été popularisé par un ouvrage de l’alt-right américaine « Kill all normies« .
Une tentative de comprendre le monde
Tandis que « eux » s’estiment « éveillés » et donc possesseur d’une vérité cachée. Le complotisme est avant tout une tentative -simpliste- de comprendre le monde, de réaccrocher en quelque sorte sa propre intervention sur un réel complexe, parcellaire et qui nous échappe largement faute de militantisme organisé efficace et de diffusion de théories socio économiques qui permettent d’appréhender ce même réel.
Mieux comprendre, c’est déjà commencer à se réapproprier le monde.
L’atomisation des relations fait ressortir une tendance à une adhésion fanatique à des communautés partageant les mêmes croyances.
Ils ont la vérité. Et avoir ce genre de croyance, je suppose, sentir que vous êtes en possession d’informations que les autres n’ont pas, peut vous donner un sentiment de supériorité sur les autres. Et nous avons découvert, et d’autres ont également montré, qu’un besoin d’unicité et un besoin de se démarquer des autres est associé à la croyance dans les théories du complot.
Et cela se passe aussi au niveau du groupe. Donc, les gens qui ont un sens exagéré de l’importance des groupes auxquels ils appartiennent, mais en même temps, le sentiment que ces groupes sont sous-estimés, ce genre de sentiments aussi, attirent les gens vers les théories du complot, en particulier les théories du complot sur leur groupes. Donc, en ayant ce genre de croyances, vous pouvez maintenir l’idée que votre groupe est bon, moral et intègre, alors que d’autres sont les malfaiteurs qui essaient de le ruiner pour tout le monde.
Et c’est là que se trouve le problème que nous voulons aborder dans cet article. Si vous avez les mêmes croyances, c’est que vous êtes dans le même paradigme. Un paradigme est — en épistémologie et dans les sciences humaines et sociales – une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent du monde qui repose sur un fondement défini (matrice disciplinaire, modèle théorique, courant de pensée). selon le philosophe des sciences Thomas Samuel Kuhn, les paradigmes sont des:
« découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à un groupe de chercheurs des problèmes types et des solutions ».
Or disons le de suite la « matrice disciplinaire » des complotistes est singulièrement « étrange » au niveau des procédures méthodologiques. Ce sont ces procédures que nous voulons exposer ici.
I) Principes de base de méthodologie
Avant d’aller plus en avant, il semble bienvenu de faire un topo sur DES procédures méthodologiques reconnues, éprouvées. Celle qui permettent -réellement- d’éclairer le réel. Hors de question de TOUTES les aborder, cela nécessiterait un livre entier d’épistémologie.
Mais nous ne saurions trop conseiller à nos lect(rice)eurs de faire quelques approfondissement sur ces sujets qui restent fondamentaux dans la compréhension du monde.
1) La méthodologie dite « expérimentale »
La méthode hypothético-déductive est une méthode scientifique qui consiste à formuler une hypothèse afin d’en déduire des conséquences observables futures (prédiction), mais également passées (rétroduction), permettant d’en déterminer la validité.
Elle est au point de départ de la démarche expérimentale, théorisée en particulier par Roger Bacon en 1267 dans De Scientia experimentali, une des sept parties de son Opus maius (« Œuvre majeure »).
La façon la plus courante de formaliser la démarche expérimentale est de la découper en plusieurs étapes (méthode OHERIC ou comme ici OPHERIC):
- OBSERVATION : première étape de la démarche expérimentale, l’observation d’un phénomène quelconque est généralement formulé sous forme d’une question.
- PROBLEMATISATION: Qu’est ce qui vient heurter des connaissances établies, ou des certitudes préconçues dans l’observation effectuée?
- HYPOTHÈSE : réponse hypothétique envisagée à la question formulée.
- EXPÉRIMENTATION : mise en place d’une expérience devant permettre de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse émise. Cela induit aussi la mise en place préalable d’un protocole le plus précis possible (isolement de paramètres).
- RÉSULTATS : les résultats obtenus nécessitent parfois des mesures complémentaires de la même expérience (boucle 3).
- INTERPRÉTATION : analyse et critique des résultats pouvant aboutir à une conclusion ou à une nouvelle expérimentation (boucle 2).
- CONCLUSION : conclusion générale prenant en compte toutes les expériences et les résultats obtenus. Permet l’élaboration d’une réponse consolidée à l’observation initiale (boucle 1). Le projet s’achève alors, sauf si la réponse à la question n’est pas complète. On restreint lors les hypothèses et on expérimente une nouvelle fois.
Une des expérimentations principale utilisée dans le cadre de cette méthode est la fameuse randomisation en double aveugle, très, très souvent vantée par les « zététiciens apo ». Ce n’est pourtant pas la seule.
Pour autant, si la démarche expérimentale est utilisée en sciences sociales, elle est insuffisante pour expliquer certains phénomènes dans cette branche.
2) La méthode différentielle
Utilisée en psychologie, cette méthode, comme son nom l’indique s’attache à établir, lister, expliquer les différences entre individus et groupes les plus homogènes possibles. Le travail expérimental va constituer principalement en l’établissement de variables et leur analyse statistique. En psychologie expérimentale, la fonction de cette standardisation est le contrôle des variables parasites. Elle permet de juger avec un minimum d’ambiguïté de l’effet d’une variable sur une autre. En psychologie différentielle, la standardisation vise à éliminer les facteurs situationnels qui pourraient expliquer les différences entre individus qui sont ainsi observés dans la même situation.
La psychologie différentielle utilise largement les techniques corrélationnelles. On considère que, si les individus se classent de manière voisine dans des tâches différentes, c’est que ces tâches ont quelque chose en commun et sollicitent les mêmes processus mentaux ou motivationnels. Les méthodes d’analyse factorielle et leurs dérivées, qui visent à mettre en évidence, à partir de l’examen de leurs corrélations, la structure d’ensembles de variables et qui sont aujourd’hui largement utilisées dans toutes les disciplines scientifiques, sont apparues en psychologie différentielle au début du XXe siècle avec Charles Spearman (1863-1945).
Les étapes :
- Choix théorique du concept à mesurer et définition théorique du phénomène observé.
Le chercheur doit préciser :
– Le caractère qui l’intéresse : on étudie les différences relatives à certaines caractéristiques. Le chercheur ne s’intéresse pas à toutes les caractéristiques, mais seulement à celles qui correspondent à la problématique de sa recherche (Ex: Variabilité de l’intelligence, de l’anxiété, mémoire de travail..)
– La signification qu’il veut lui accorder : La plupart des caractéristiques ont des significations différentes selon le point de vue théorique que l’on adopte.
- Construction d’un instrument d’observation (protocole d’expérimentation, comment on va étudier)
Le chercheur choisit le dispositif d’observation et les caractéristiques à évaluer en fonction de ses hypothèses théoriques et en fonction de la population étudiée.
- Constitution d’un échantillon de sujets
- Mesure de la caractéristique et collecte de données
- Transformation des données et application du modèle de mesures
3) La méthode clinique
La méthode « clinique » – qui s’oppose à la méthode expérimentale – est « naturaliste », se référant à la totalité des situations envisagées, à la singularité des individus, à l’aspect concret des situations, à leur dynamique, à leur genèse et à leur sens, l’observateur faisant partie de l’observation. La méthode clinique va ainsi produire une situation, avec une faible contrainte, pour faciliter et recueillir les productions d’une personne. Cette méthode suppose ainsi la présence du sujet, son contact avec le psychologue, mais aussi sa liberté d’organiser les situations proposées comme il le souhaite. Elle s’appuie sur des techniques utilisées dans le domaine de la pratique (entretiens, observations, tests…) qui ont pour but d’enrichir la connaissance d’un individu (activité pratique d’évaluation et de thérapie) ou de problèmes plus généraux et d’en proposer une interprétation ou une explication (théories psychologiques).
Lagache
Lagache (1949), l’un des « inventeurs » français de la Psychologie Clinique estimait qu’elle visait à envisager la conduite dans sa perspective propre, à relever aussi fidèlement que possible les manières d’être et de réagir d’un être humain concret et complet aux prises avec une situation. Il revendiquait ainsi le domaine de l’humain (« homme en situation ») comme celui de cette discipline et l’étude des cas singuliers comme sa principale méthode. Les principes de la méthode clinique sont donc la singularité, la fidélité à l’observation, la recherche des significations et de l’origine (des actes, des conflits) ainsi que des modes de résolution des conflits. La référence à l’individualité et à la pluralité des fonctions était évoquée par Lagache qui, au-delà d’une méthode, évoquait une position épistémologique et une conception anthropologique du sujet psychologique.
Cette particularité sémantique (« clinique » comme domaine et/ou comme méthode) explique que la recherche en Psychologie Clinique correspond à plusieurs types d’activités dont certaines peuvent paraître opposées, selon qu’elles tentent de satisfaire aux exigences de la méthode clinique ou de l’objectivation nécessaire à toute recherche. Mieux, ces différences tiennent aussi aux moments de la recherche (temps exploratoire, temps de la validation d’hypothèses, temps de production d’une théorie…).
Mettons nous en situation
Pour caricaturer, si le psychiatre pouvait dire que tel malade était atteint de schizophrénie, le psychologue tentait de savoir comment il était schizophrène, chaque malade possédant sa spécificité. Cette position a permis à la Psychologie Clinique des allers et retours permanents entre la théorie et la pratique : convoquée au nom d’une théorie psychologique dont la psychiatrie et le travail social avaient besoin, la Psychologie Clinique a produit un savoir empirique, concret (une « clinique » qui a modifié les théories dont elle se servait). Dans cette démarche, elle s’est ouverte à différents systèmes de pensée : la phénoménologie, l’existentialisme, le systémique, la non directivité, l’humanisme, la psychanalyse, puis le comportementalisme et le cognitivisme. Ces doctrines n’ont toutefois pas été fondues dans une théorie unique mais ont représenté des courants de la Psychologie Clinique, courants parfois en conflit ouvert.
Ce processus est expliqué ICI.
4) La méthode historique ou historiographique
Ces méthodologies sont destinées à expliquer des phénomènes existant et pouvant effectuer une certaines reproductibilité dans le futur sur des événement approchants. L’histoire qui elle s’intéresse exclusivement aux phénomènes passés non reproductibles a du développer sa propre méthode de recherche.
L’histoire, comme l’étymologie l’indique, est d’abord une enquête (Ἱστορίαι [Historíai] signifie « enquête » en grec). Il ne suffit pas de lire les écrits laissés par les anciens pour savoir ce qui s’est passé. D’une part parce que ces récits ne témoignent pas de toute la réalité ; d’autre part parce qu’ils peuvent être constitués partiellement ou entièrement d’informations fausses ou déformées.
Par ailleurs, la recherche et la critique des matériaux ne devraient pas se limiter aux seuls documents écrits, ce qui serait une heuristique trop simple.
La démarche historique:
A) La recherche des sources
La recherche de sources ne se limite pas aux sources narratives, c’est-à-dire celles qui rendent compte directement de ce qui s’est passé (les chroniques médiévales ou un article de journal par exemple). L’historien bénéficie aussi d’un réservoir plus important : les sources documentaires. Celles-ci regroupent l’ensemble des documents dont le but premier n’était pas de renseigner sur l’histoire. Ainsi les rôles de la taille (liste des habitants soumis à l’impôt royal avec pour chacun le montant à payer) n’avaient pas d’intention historienne, mais peuvent nous permettre d’approcher la hiérarchie des fortunes sous l’Ancien Régime.
B) La critique des sources
L’historien ne prend jamais pour argent comptant les sources qu’il a sous les yeux. Il doit conserver une attitude critique à leur égard. C’est ce doute permanent qui fait l’une des spécificités du métier.
Ils distinguent ainsi différents types de critique :
- La critique externe porte sur les caractères matériels du document tels son papier, son encre, son écriture, les sceaux qui l’accompagnent. Ainsi, une lettre écrite sur papier, dite du XIIème siècle, est certainement fausse car on écrivait sur du parchemin à cette époque. Ce type de critique nécessite des connaissances en paléographie, en sigillographie, en héraldique, en chronologie, en diplomatique et en épigraphie.
- La critique interne repose sur la cohérence du texte. Il est évident qu’une charte de Philippe Auguste datée au bas de 1225 est un faux car ce roi de France est mort en 1223.
- La critique de provenance touche l’origine de la source. L’historien en tirera des conclusions sur la sincérité et l’exactitude du témoignage. On comprend bien que le récit d’un historiographe officiel tend à magnifier le rôle et les qualités de son prince. D’où un certain doute par rapport à ce qu’il raconte. De même, on n’accordera pas le même poids au récit d’une bataille écrit par un des protagonistes que par un homme né cinquante ans plus tard.
- La critique de portée s’intéresse aux destinataires du texte. Un préfet aura par exemple tendance dans son rapport au ministre de l’Intérieur à minimiser les troubles frappant son département de peur que son supérieur le prenne pour un incapable.
La méthode critique se fonde également sur la comparaison des témoignages. Quand ils concordent, c’est signe de la véracité des faits. Par contre, quand un témoin est contredit par plusieurs autres, cela ne signifie pas automatiquement qu’il ment ou se trompe. Ces autres témoins s’appuient peut-être sur une même source erronée.
C) La prise en compte d’autres matériaux que les seuls documents écrits
Pas besoin de trop détailler ici.
D) La prise en compte de l’ensemble des disciplines
Ces différentes étapes de la critique inviteraient à croire que le travail des historiens consisterait en fait à lire les textes, éliminer les faux, chasser les erreurs et les inexactitudes afin de découvrir ce qui s’est réellement déroulé. C’est un raccourci qui cache la richesse de la méthodologie historique.
La recherche sait maintenant tirer parti de tout document, même les faux. Un texte en dit parfois plus par ses non-dits que par son contenu effectif. Un témoignage très subjectif et orienté donnera des informations sur le système de représentation du témoin. L’historien ne vise donc pas toujours à établir la véracité des faits.
Les échanges avec d’autres disciplines ont enrichi la méthodologie des historiens. La sociologie ou l’économie ont joué un grand rôle en répandant l’usage des statistiques. Sous leur impulsion, les historiens dressent depuis les années 1930 des courbes de prix (travaux de Labrousse), de mortalité (travaux de Dupâquier), de production… C’est une révolution dans leur travail car ces méthodes sérielles (ou quantitatives) démontrent que, contrairement à ce que croit l’opinion publique, les faits historiques ne sont pas tout faits, il s’agit parfois de les construire. Autre apport, celui de la linguistique, qui a permis de relire les discours en recherchant les mots-clés contenus à l’intérieur. À travers cette analyse du vocabulaire, l’idéologie de certains groupes (communistes, francs-maçons…) et l’évolution de leurs idées ont davantage été mis en évidence.
E) La mise en relation des faits historiques
À partir de ses sources, l’historien dégage des faits. Puis il essaie de regrouper ceux qui lui semblent parents, ou qui relèvent du même thème.
Un jeu de pistes
Chaque fait historique a une ou plusieurs causes ; à l’historien de les découvrir. Cette tâche présente plusieurs difficultés même si certaines branches de l’histoire y sont moins confrontées : l’histoire culturelle ou les sujets-tableaux notamment nécessitent davantage un travail de description que la recherche des causes. Dans les autres cas, la détermination des facteurs a une grande importance. L’historien utilise alors son jugement, son imagination ou son expérience. Cette façon de procéder, somme toute peu scientifique (l’histoire n’est pas une science exacte mais une science humaine), nécessite de prendre quelques précautions et de se rappeler quelques mises en garde:
- Analyser selon les représentations sociales de l’époque au lieu d’y substituer les nôtres
- Les causes sont complexes et non unicausales
- Se méfier des raisons téléologiques. nous connaissons le déroulé de l’histoire, il serait facile de glisser dans des explications orientées de façon artificielles.
Comme nous l’avons vu avec ces quelques exemples, une méthodologie de recherche se doit d’être le résultat d’un consensus des spécialistes de la matière, d’être normée et rediscutée constamment par les mêmes spécialistes pour éventuellement l’améliorer. Leur objectif est universellement de mieux comprendre le monde et de permettre la production de connaissances les plus objectives possibles.
Alors comment se fait il que les complotistes puissent obtenir des résultats si faussés avec de telles méthodologies? Et bien parce que ou ils sont affectés de tels biais de confirmations qu’ils massacrent littéralement tout le processus de recherche, ou bien pire qu’ils utilisent des principes de méthodologie qui leur est propre.
II) Méthodologie complotiste
Ce que nous nommons ici « méthodologie complotiste » est sans doute un abus de langage. Il faudrait mieux parler de « processus mental complotiste ». En effet, ce processus comporte des points communs avec un paradigme/une méthodologique; mais il comporte aussi des différences fondamentales.
Il peut se décomposer comme suit:
- Un paradigme: l’ordre naturel »
- Un mode de raisonnement: le raisonnement circulaire
- Une méthode « expérimentale »: la méthode hypercritique.
Ce processus a, comme nous l’avons dit plus haut, comme fonction, de produire une compréhension du monde. Mais une compréhension prise dans un corset puisqu’il sert à prouver la conclusion qui en est le prémisse. Il ne cherche pas à produire de nouvelles connaissances qui amélioreraient/révolutionneraient le corpus universitaire; il cherche à confirmer une vision de la société déjà établie et qui ne supporte pas d’être expliquée de façon nouvelle.
C’est en ce sens qu’il s’agit plus d’un processus mental que nous apparenterons à l’aliénation au passé et à une idéologie plutôt qu’à la production de connaissances.
1) « L’Ordre naturel »
Les complotistes usent et abusent du concept d’ordre naturel ou de « loi naturelle » qui sont élevés au rang de paradigme.
Cette loi naturelle a été définie par Cicéron:
Il y a une loi vraie, droite raison, conforme à la nature, diffuse en tous, constante, éternelle, qui appelle à ce que nous devons faire en l’ordonnant, et qui détourne du mal qu’elle défend ; qui cependant, si elle n’ordonne ni défend en vain aux bons, ne change ni par ses ordres, ni par ses défenses les méchants. Il est d’institution divine qu’on ne peut pas proposer d’abroger cette loi, et il n’est pas permis d’y déroger, et elle ne peut pas être abrogée en entier ; nous ne pouvons, par acte du sénat ou du peuple, dispenser d’obéir à cette loi ; il n’est pas à chercher un Sextus Aelius comme commentateur ou interprète ; elle n’est pas autre à Rome ou à Athènes ; elle n’est pas autre aujourd’hui que demain ; mais loi une, et éternelle, et immuable, elle sera pour toutes nations et de tout temps ; elle sera comme dieu, un et universel, maître et chef de toutes choses : dieu qui est l’auteur de cette loi, qui l’a jugée, qui l’a portée ; qui ne lui obéira pas se fuira lui-même, et, n’ayant pas tenu compte de la nature de l’homme, il s’infligera par cela même les peines les plus grandes, même s’il échappe à ces autres choses que les hommes considèrent comme des châtiments. Cicéron, La République, III, 22.
Ce concept est étroitement lié au concept de base de différence entre « droite » et « gauche »:
La dénomination « gauche/droite » est apparue pendant la révolution Française. L’origine historique de ce clivage se trouve dans la position géographique des différents partis politiques dans l’assemblée nationale d’août-septembre 1789. Lors d’un débat sur le poids de l’autorité royale face au pouvoir de l’assemblée populaire dans la future constitution, les députés partisans du veto royal (majoritairement ceux de l’aristocratie et du clergé) se regroupèrent à droite du président de l’assemblée constituante. Au contraire, les opposants à ce veto se rassemblèrent à gauche sous l’étiquette de «patriotes» (majoritairement le Tiers état).
Cette dichotomie semble basée sur deux conceptions radicalement différentes de la société : la « loi naturelle » et les « droits de l’Homme ». Les partisans du veto défendaient une conception divine du pouvoir et par là même indépassable. Le « parti des patriotes » défendait quant à lui, la remise en cause de cette loi divine en mettant en avant les « droits de l’Homme ». Une vision conservatrice basée sur l’acceptation de la « loi naturelle » ; et une vision progressiste basée sur les « droits de l’Homme ». La loi naturelle n’est rien d’autre que l’inscription de la loi divine dans la nature humaine. Toute l’histoire des droites en France (mais aussi des gauches) se base sur la polarisation autour d’un de ces deux axes.
La nature réactionnaire de la Nature
L’extrême droite porte un projet politique fondamentalement basé sur une acceptation totale de cette loi naturelle. Edmund Burke niera catégoriquement l’existence de « droits de l’homme », pour Joseph de Maistre, toute société découle de l’action de la « Providence ».
Le caractère national est constitué d’un ensemble de maximes religieuses et politiques qui sont devenues des « dogmes nationaux » et qui forment une « raison nationale ». Le souverain a pour devoir d’en imposer le respect par les prêtres, les hauts fonctionnaires et les magistrats.
Le légitimisme est une vision organiciste de la société, vers la tradition conservée du Moyen Âge. Il est une réponse du « conservatisme social » aux idéaux portés par la Révolution française qui furent fondés sur l’universalisme et l’individualisme. L’organicisme met en avant l’unité du corps social comme organisme formant un tout, et la primauté de la société sur l’individu.
Les complotistes ont une pensée qui met au centre de leurs réflexions le paradigme de « loi naturelle », couplé au raisonnement circulaire, il devient indépassable et sert de cause et de conséquence (comme vu plus haut). C’est un mode de pensée d’extrême droite. Tout un corpus de concepts foncièrement idéologiques et donc sujet de discussion et de consensus deviennent « indépassables »: les inégalités sont « naturelles », ainsi que l’organisation de la société (l’organisation est fixiste, « bio ethnique »), le processus de sélection des « forts et des faibles », toutes les différences sont exprimées en terme d’inégalités indépassables, etc…
Disons le ce paradigme empêche toute explication du monde et à nouveau, si vous tentez de le remettre en cause vous classera automatiquement au mieux parmi les « moutons », au pire dans les « élites » responsables des problèmes.
2) Le raisonnement dit « circulaire »
Ce qui est fondamentalement mis en avance par ses adeptes , c’est le paradigme caricatural de base de la théorie du complot. C’est pourquoi celle ci implique un raisonnement dit « circulaire ».
Le raisonnement circulaire tourne en rond. Il fait une boucle, il se mord la queue. Dans ce raisonnement, la cause d’un effet est elle-même l’effet de l’effet qu’elle cause. On peut presque dire qu’elle est à elle-même sa propre cause.
C’est un raisonnement fermé.
Dans ce type de raisonnement, le concept de Dieu devient inutile puisque les faits s’expliquent d’eux-mêmes par leur seule coexistence opérationnelle. Sauf que ce raisonnement n’en est pas vraiment un puisqu’il sort du cadre cause-effet pour s’imposer tout simplement par une boucle opérante. On n’a plus besoin de chercher les causes puisque « ça marche! ». Il n’y a aucune recherche des causes puisque celui qui utilise ce type de raisonnement SAIT déjà ce qu’il cherche.
Ce raisonnement peut être résumé comme suit (exemple du négationnisme):
Une mauvaise lecture des résultats scientifiques
Le raisonnement circulaire survient aussi fréquemment lorsqu’on utilise de façon imprécise des résultats scientifiques établis par d’autres personnes, alors qu’on ne connaît pas les prémisses qui ont permis de les établir. Il se peut alors que l’une d’elles soit ce que l’on cherche à démontrer à partir de ces résultats, ce qui invalide le raisonnement d’un point de vue scientifique. La boucle peut devenir très difficile à détecter lorsque des chercheurs ont utilisé les travaux d’autres chercheurs comme prémisses, qui ont eux aussi utilisé des travaux d’autres chercheurs dans leurs prémisses, et ainsi de suite.
Ce risque est élevé dans les sciences humaines et sociales qui expriment souvent leurs raisonnements sous forme de discours complexes avec de multiples formulations possibles pour une même proposition et en utilisant de nombreuses références, ou lors de l’utilisation interdisciplinaire des données scientifiques. Ce type d’erreur est également fréquemment commis par la vulgarisation scientifique et l’enseignement, qui tendent à déformer le discours scientifique pour leur besoin de simplification didactique ou scénographique.
3 ) La problématisation: « A qui profite le crime? »
La méthodologie complotiste ne connait qu’une problématisation. Son objectif n’est pas de chercher des causes, mais le responsable. Autant les méthodologies scientifiques favorisent les explications multi causales, la pensée complexe; autant la pensée complotiste favorise la pensée rigide unicausale.
Mais ce raisonnement bien connu de la pensée complotiste est en fait une variante du biais cognitif dénommé « Biais d’attribution hostile ». Comme nous l’avons déjà vu dans notre dossier sur les extrêmes droites; celle ci est une pensée agressive par réaction à une vision du monde qui ferait du sujet un agressé:
➥ Une vision organiciste excluante du groupe : « nous » et « eux ». Pour une organisation tribale de la société
Tout corps peut être attaqué par des microbes, c’est exactement la vision de l’extrême droite. Tout ce qui ne correspond pas aux composantes de leur société idéale doit être affaibli, voire éliminé. C’est en quelque sorte une vision « tribale » de la société. Une telle vision oblitère toute appréciation de l’altérité et du droit à la ressemblance entre Humains. Ce qui fonde l’Homme pour un fasciste, c’est sa différence avec les humains du groupe d’à coté, qu’il soit un peuple, une ethnie, une nation, une religion, une croyance, ou une vision philosophique.
Tout phénomène social est donc analysé nécessairement comme une agression du corps social parfait d’origine exogène. Agression volontaire et calculée de la part de l’agresseur, bien entendu.
Le biais d’attribution
Le biais d’attribution hostile, également appelé biais d’attribution d’intention hostile ou biais attributionel d’hostilité, se manifeste par la propension à attribuer à autrui une intention hostile et ce même si l’intention est ambiguë ou bénigne. Cette propension altère la cognition sociale et relève d’une distorsion cognitive.
Il a tout d’abord été observé dans les années 1980, sur un groupe de jeunes enfants, mais également dans un grand nombre de profils, notamment chez l’adulte et l’adolescent ou au sein de groupes.
Un groupe avec ses informations sociales et ses appartenances peut influencer l’attribution d’intentions hostiles, qui reposera alors sur des préjugés.
Les attributions d’intentions hostiles engendrent pour réponse des intentions de comportements agressifs. Toutefois, les modalités d’attribution d’intentions hostiles et l’intensité de la réponse agressive peuvent varier selon que le provocateur appartient ou n’appartient pas au groupe, ainsi que son statut au sein du groupe.
Les agents provocateurs
Ainsi, une provocation émanant d’une personne extérieure au groupe serait plus facilement perçue comme d’intention hostile que si elle provenait d’un membre appartenant au groupe. En revanche, une intention hostile attribuée à une personne au sein même de son propre groupe serait perçue comme une atteinte plus importante à l’identité sociale du groupe, et entraînerait donc une réponse d’intention comportementale agressive plus intense, et ce d’autant plus si ce provocateur occupe une place importante au sein du groupe. En effet, plus le membre d’un groupe a un statut important, plus il est attendu de lui qu’il soit représentatif du groupe et de son identité. Cela représenterait donc une menace importante : elle porterait atteinte à l’identité et l’existence même du groupe.
À l’inverse, pour un provocateur de statut inférieur, la réponse d’intention comportementale agressive serait plus importante envers lui s’il était extérieur au groupe.
La problématisation complotiste « A qui profite le crime? » peut donc s’expliquer comme une véritable question envers ce biais d’attribution hostile, de qui est l’ennemi qui nuit à l’identité du groupe et à son homéostasie.
Un bon exemple est donné par le site Conspiracy Watch:
Le géopolitologue préféré d’Alain Soral et ReOpen911 a mis en ligne mercredi un court article dans lequel il affirme que « le drame du vol MH-17 en Ukraine ne profite pas à la Russie mais bien aux gouvernements de Kiev et de Washington ». « A l’évidence, poursuit Chauprade, le camp ukraino-américain avait un réel intérêt à abattre cet appareil ».
Etablissant un lien entre la bavure du 17 juillet dernier – attribuée aux forces séparatistes pro-russes – et les attentats du 11-Septembre, le député européen explique que « depuis 2001, régulièrement, un événement dramatique provoque une accélération de l’Histoire qui profite à l’agenda américain. Pourquoi ? La réponse est évidente. Pour sauver les suprématies monétaire et géopolitique américaines et faire ainsi échec au nouveau monde multipolaire ».
4) La méthode « hypercritique »
Toute connaissance scientifique est basée sur la « pensée critique ». Ce concept désigne, dans les grandes lignes, les capacités et attitudes permettant des raisonnements rigoureux afin d’atteindre un objectif, ou d’analyser des faits pour formuler un jugement.
La pensée critique est une utilisation de la raison avec, pour finalité, d’affiner et de préciser les affirmations sans chercher, par principe, à les discréditer. La méthode hypercritique vise, pour sa part, à rejeter à tout prix une affirmation.
La méthode hypercritique est une méthode d’argumentation consistant en la critique systématique ou excessivement minutieuse des moindres détails d’une affirmation ou de ses sources.
Le champ d’application est vaste, mais les domaines polémiques comme les technologies et les idéologies en débat, l’intégrisme, le créationnisme, les nationalismes, les crimes historiques ou le négationnisme, sont particulièrement investis par les utilisateurs de la méthode hypercritique.
Suspicion permanente
Cette méthode revient généralement à une analyse suspicieuse et à charge de détails parfois insignifiants ou connexes à un sujet, ou de menues erreurs de citation, de date ou cartographiques, afin de disqualifier en bloc une thèse en la passant au crible. On peut aussi faire subir ce sort à ses sources, afin de repousser une théorie adverse, alors même que les preuves amenées par celle-ci ne sont, elles, pas négligeables :
« L’hypercritique. C’est l’excès de critique qui aboutit, aussi bien que l’ignorance la plus grossière, à des méprises. C’est l’application des procédés de la critique à des cas qui n’en sont pas justiciables. L’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse. Certaines gens flairent des rébus partout, même là où il n’y en a pas. Ils subtilisent sur des textes clairs au point de les rendre douteux, sous prétexte de les purger d’altérations imaginaires. Ils distinguent des traces de truquage dans des documents authentiques. État d’esprit singulier ! à force de se méfier de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner. » (Charles-Victor Langlois, Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898, p. 107)
Il est largement admis que la capacité de douter est une vertu épistémique fondamentale, qui nous prémunit contre toute forme de dogmatisme ou de fanatisme.
Les marchands de doute
En ce sens, on peut être tenté d’affirmer que le doute est toujours raisonnable. Il est pourtant des situations où cela ne semble pas le cas. La rhétorique des « marchands de doute » (Oreskes & Conway, 2010), qui remettent en cause l’autorité de la science institutionnelle, et celle des avocats de ce que l’on appelle « théories du complot » reposent sur l’idée qu’un esprit libre se doit d’entretenir sa disposition à douter ; leur public potentiel est invité à garder l’esprit « ouvert » et à douter de la théorie officielle (selon laquelle, par exemple, la Terre est ronde), sinon à adopter d’emblée une autre théorie (selon laquelle la Terre est plate ou, pourquoi pas, cubique). Comment tracer la frontière entre cette « prudence » épistémique pour le moins excessive et un sain esprit critique ? Comment rendre compte de nos intuitions selon lesquelles ce qui semble délirant dans un cas est raisonnable dans l’autre ?
Difficile à contrer
La méthode hypercritique est difficile à contrer, dans la mesure où elle lance un grand nombre d’affirmations péremptoires et parfois rapides à formuler, qui demandent du travail afin d’être vérifiées. D’où parfois l’utilisation de caricatures ou de parodies pour les contrer:
La vanité de ces réfutations a été relevée à propos de la démarche négationniste qui en fait un large usage et, plus généralement, en histoire par Henri-Irénée Marrou, qui y voit une « obstination dans l’incrédulité » et qui rejoint Raymond Aron dans la conclusion selon laquelle:
« nous touchons au fond : la vérité historique n’est valable que pour ceux qui veulent cette vérité».
Le rôle des médias
Michel Wieviorka souligne enfin le rôle des médias contemporains et de leur attente d’expertise dans certains succès de l’hypercritique en sciences humaines et sociales, celle-ci favorisant le spectaculaire et le provocateur.
Nous le disions précédemment:
Comme nous l’avons vu avec ces quelques exemples, une méthodologie de recherche se doit d’être le résultat d’un consensus des spécialistes de la matière, d’être normée et rediscutée constamment par les mêmes spécialistes pour éventuellement l’améliorer. Leur objectif est universellement de mieux comprendre le monde et de permettre la production de connaissances les plus objectives possibles.
Qu’on le veuille ou non la méthode hypercritique réponde à ces critères , mais de façon fondamentalement caricaturale.
Elle est bien utilisée par des groupes de personnes qui cherchent à mieux comprendre le monde qui les entoure. Ces groupes forment les « spécialistes » qui « norment » cette méthodologie et lui attribuent des caractères de reproductibilité.
Cependant certains éléments l’excluent de facto d’une véritable méthodologie:
- Elle n’est jamais rediscutée par les « spécialistes »
- Elle n’inclue pas des boucles de rétroaction qui remettraient en cause sa propre méthodologie, ni ses conclusions
- Elle est fondamentalement non réfutable selon un principe psychologique de type paranoïaque: si vous cherchez à nier la théorie, c’est que vous faites partie des causes.
- Enfin elle n’applique pas à elle même ses propres principes. On en conviendra les théories du complot sont TOUTES particulièrement bancales sur les détails, les sources ou les raisonnements scientifiques/économiques, sociologiques ou historiques.
III) Biais cognitifs courants, biais « rhétorico-méthodologique »
1) Les biais cognitifs
En plus de ce processus mental tout à fait particulier, la pensée complotiste s’accompagne de phénomènes secondaires comme les biais cognitifs. Ceux-ci peuvent affecter n’importe qui. Mettons à part le « biais d’intentionnalité hostile », qui est un des fondements de la pensée complotiste comme expliqué ci-dessus. Mais on peut en repérer qui sont extrêmement souvent présent dans la littérature complotiste.
Biais de conservatisme
C’est la tendance à réviser insuffisamment sa croyance lorsqu’on lui présente de nouvelles preuves.
Biais de l’expérimentateur ou d’ attente
La tendance des expérimentateurs à croire, certifier et publier des données qui correspondent à leurs attentes quant au résultat d’une expérience, et à ne pas croire, rejeter ou rétrograder les pondérations correspondantes pour les données qui semblent entrer en conflit avec ces attentes.
Biais de risque zéro
la préférence pour la réduction d’un petit risque à zéro par rapport à une réduction plus importante d’un risque plus important.
Biais de vérité
C’est la propension des gens à croire, dans une certaine mesure, la communication d’une autre personne, que cette personne mente ou non ou non
Cascade de disponibilité
Il s’agit d’un processus d’auto-renforcement dans lequel une croyance collective gagne de plus en plus en plausibilité grâce à sa répétition croissante dans le discours public (ou « répétez quelque chose assez longtemps et cela deviendra vrai »)
Corrélation illusoire
La corrélation illusoire est le phénomène de perception d’une relation entre des variables (généralement des personnes, des événements ou des comportements) même lorsqu’une telle relation n’existe pas.
Effet de faux consensus
la tendance des gens à surestimer le degré auquel les autres sont d’accord avec eux.
Effet Dunning-Kruger
la tendance des individus non qualifiés à surestimer leur propre capacité et la tendance des experts à sous-estimer leur propre capacité.
Effet moins c’est mieux , la tendance à préférer un ensemble plus petit à un ensemble plus grand jugé séparément, mais pas conjointement.
Illusion de regroupement
la tendance à surestimer l’importance des petites séquences, des stries ou des grappes dans de grands échantillons de données aléatoires (c’est-à-dire, voir des modèles fantômes).
Insensibilité à la taille de l’échantillon, tendance à sous-estimer la variation dans les petits échantillons.
Paradoxe de Berkson
la tendance à mal interpréter les expériences statistiques impliquant des probabilités conditionnelles.
La pensée de groupe
le phénomène psychologique qui se produit au sein d’un groupe de personnes dans lequel le désir d’harmonie ou de conformité dans le groupe entraîne un résultat de prise de décision irrationnel ou dysfonctionnel . Les membres du groupe essaient de minimiser les conflits et de parvenir à une décision consensuelle sans évaluation critique des points de vue alternatifs en supprimant activement les points de vue dissidents et en s’isolant des influences extérieures.
Réalisme naïf
La croyance que nous voyons la réalité telle qu’elle est réellement – objectivement et sans parti pris ; que les faits sont clairs pour tous ; que les gens rationnels seront d’accord avec nous ; et que ceux qui ne le sont pas sont soit mal informés, paresseux, irrationnels ou partiaux.
Réflexe de Semmelweis
la tendance à rejeter de nouvelles preuves qui contredisent un paradigme.
Stéréotype , s’attendre à ce qu’un membre d’un groupe ait certaines caractéristiques sans avoir d’informations réelles sur cet individu.
2) Les sophismes de raisonnement.
Avant d’être une méthodologie, le discours complotiste est … un discours. Désolé pour la tautologie. Mais on devrait préciser « N’EST » qu’un discours. Ce n’est pas une démarche scientifique mais bien un procédé de propagande donc basé sur la rhétorique. C’est ce que nous tentons de montrer dans cet article. Mais attention, ce n’est qu’un procédé rhétorique pour ceux qui n’en sont pas adeptes. Les complotistes eux voient dans cette rhétorique un processus de démonstration. Il n’est donc guère étonnant qu’ils fassent appel à toute une batterie de procédés rhétoriques fallacieux sous la forme de sophismes bien connus. Sauf que pour eux, répétons le, ce n’est pas un élément de discours mais bien un procédé mental qui participe de la vérité révélée à laquelle ils aspirent.
Nous en avons repéré toute une série, mais cette série n’est certainement pas complète. Nous ne présenterons ici que ceux dont ils usent et abusent:
Appel à une cause
-
- Je me bats contre le mariage homosexuel pour protéger nos enfants avant tout.
- Si j’ai tué ces terroristes, ce n’était pas par haine, mais pour défendre les valeurs de ma patrie.
Argumentum ad ignorantiam
Exemples :
- Il est impossible de prouver que je n’ai pas été enlevé par des extraterrestres. Donc j’ai été enlevé par des extraterrestres (argument de Raël).
- Il n’est pas démontré que les ondes wi-fi ne sont pas nocives. Donc elles le sont.
Argumentum ad hominem
Attaquer la personne (sur sa moralité, son caractère, sa nationalité, sa religion…) et non ses arguments.
Exemples :
- Impossible de donner du crédit à Heidegger, vu ses affinités nazies.
- Comment peut-on adhérer aux positions de Rousseau sur l’éducation, alors qu’il a abandonné ses propres enfants ?
Cause et corrélation
hoc ergo propter hoc (ou effet atchoum): « après cela, donc à cause de cela ». Confondre conséquence et postériorité.
Cherry picking
Présenter uniquement les faits ou données qui soutiennent une thèse en délaissant ou cachant celles qui la contredisent.
Enfumage
Utiliser des termes compliqués ou des faits méconnus pour que l’interlocuteur ne les comprenne pas, en espérant qu’il n’osera pas questionner pour ne pas passer pour un inculte.
Exemples :
- Cette situation n’est pas sans rappeler la désastreuse confédération de Sénégambie.
- Je ne reviendrai évidement pas sur les catégories nouménales de Kant, que tout élève de terminale connaît.
Généralisation abusive :
Rendre un échantillon trop petit et en tirer une conclusion générale.
Exemples :
- Mon voisin est un imbécile moustachu, donc tous les moustachus sont des imbéciles.
- Les Chinois sont vachement sympas. J’en connais deux, ils sont trop cools.
- Donald Trump est anti-mexicain, comme tous les habitants des États-Unis.
Exemples aggravés (menant au racisme ordinaire) :
- Le Chinois est vachement sympa.
- Le Juif est roublard.
- L’Arabe est voleur.
- Le Picard est pédophile.
Inversion accusatoire
Technique tellement importante que nous lui avons consacré un article entier!
Renversement charge de la preuve ou « Quod gratis asseritur gratis negatur. »
(« Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve. »):
Demander à l’interlocuteur de prouver que ce qu’on avance est faux.
Exemple :
- Mais prouvez-moi donc que la politique migratoire actuelle est inefficace..
- À vous de me démontrer que le monstre du Loch Ness n’existe pas.
Whataboutisme
Un des procédés les plus utilisés après l’inversion accusatoire. Tellement que l’on se tâte à lui consacrer un article entier. Ce procédé rhétorique consiste à ignorer les arguments/attaques exposées en déviant sur celle d’une autre personne ou d’un autre groupe. C’est la variante du « Oui, mais » qui vous permettrait de ne jamais répondre au oui. En cette période précise il es particulièrement utilisé par les trolls pro Poutine. Quand vous leur parlez de crimes de guerre russes, d’attaque unilatérale, de morts en Ukraine; le poutiniste va botter en touche sur « les USA », « l’OTAN », « la France », ou même « l’UE ».
C’est très pratique. C’est une technique qui dit en quelque sorte qu’un crime en excuse un autre.
Conclusion
Nous avions commencé , il y a des années sur ce genre de sujets, par des articles bien modestes destinés à donner à nos lecteurs des ébauches de pistes pour contrer la rhétorique d’extrême droite/complotiste. Puis à détailler certaines de leurs techniques rhétoriques et langagières.
Dans cet article, nous avons abordé de façon plus profonde les systèmes de pensée complotiste en des schémas que nous avons tenté de détailler et d’ordonner. Si le gramscisme d’extrême droite est un point primordial à comprendre pour pouvoir lutter contre celui-ci; il reste au final assez peu abordé. Comme dans notre dossier sur les extrêmes droites, nous sommes partis du descriptif pour élaborer des théories explicatives.
Qui seront bien sûr contredites par d’autres.
Nous espérons en tout cas que nous avons réussi à vous faire appréhender l’importance de ce travail et le chemin qu’il reste à parcourir pour mieux appréhender les schémas de pensée complotistes pour mieux les combattre.