Le 9 aout, un jeune étudiant est égorgé près du boulevard d’Athènes à Marseille par un inconnu. Il décède malheureusement deux jours plus tard.
Comme habituellement désormais dans ce genre d’affaires, l’extrême droite s’intéresse de prêt à ce meurtre. Que ne peut-on en retirer en termes électoraux ? Dès la révélation du nom du premier suspect par le Figaro, les chiens de la fachosphère se relaient dans leur basse besogne politocarde habituelle.
Le déroulé est quasiment le même que lors de l’affaire de Brétigny dont nous vous avions abondement parlé.
Dans cet article, nous avons volontairement flouté le nom du premier suspect, même si, nous le savons, c’est inutile puisque ce nom est lâché aux vautours. Idem avec les éventuelles photos.
Notre propos ici n’est pas d’exonérer le coupable, quel qu’il soit, de la mort de Jérémie Labrousse. Ce que nous demandons, c’est juste la vérité.
Pas une construction intellectuelle de racistes et de xénophobes qui concluent sur la culpabilité ou non d’une personne au vu de son nom (et donc de son origine).
Juste la vérité.
Pas la récupération politicienne de manipulateurs qui montent leur carrière sur un meurtre.
Juste la vérité.
Nous présentons nos sincères condoléances à la famille de ce jeune homme et à ses amis qui doivent être inconsolables.
Chronologie de l’affaire
11 aout
12h21
L’étudiant poignardé à Marseille est mort
L’enquête commence suite au meurtre. Les faits importants sont déjà là :
« «Les policiers poursuivent l’enquête, à la recherche de témoins», a expliqué lundi matin Jean-Jacques Fagni, procureur-adjoint de la République de Marseille. Sur ce point, aucune avancée notable n’était signalée en fin de journée, selon le magistrat, alors que les policiers diffusent auprès du voisinage les coordonnées des services d’enquête. »
Donc aucune preuve formelle de l’identité du meurtrier.
« L’autopsie pratiquée lundi a par ailleurs confirmé que la victime présentait des plaies «liées à l’usage d’un instrument piquant et tranchant», sans pouvoir cependant déterminer avec plus de précision sa nature exacte. »
Pas de réelle précision sur l’arme du crime.
«Les enquêteurs, qui interviennent encore dans le cadre d’une enquête de flagrance leur donnant des pouvoirs simplifiés d’interpellation et de perquisition, attendent par ailleurs, en fin de semaine, voire en début de semaine prochaine, le résultats des analyses menées sur les effets personnels du principal suspect, un marginal de 41 ans interpellé samedi soir dans un foyer du centre-ville. »
Aucun résultat d’analyse n’est encore donné, ce qui montre bien encore la fragilité de l’accusation.
« Le portable de la victime, qui avait disparu vendredi soir et dont les enquêteurs ont supposé un temps qu’il pouvait être à l’origine du meurtre, n’a pas encore été retrouvé.
Il a été géolocalisé dans le nord de Marseille avant d’être éteint, et il n’a pas été réactivé depuis, a précisé le procureur.»
La piste du meurtre crapuleux (vol de téléphone portable) ne tiens déjà plus.
17h
Les premières polémiques sur la « sécurité » et l’importance des effectifs de police commencent à être évoquées.
12 aout
12h
C’est le Figaro qui indique le premier le nom du suspect. C’est cet élément qui déclenche immédiatement les réactions de la fachosphère. En effet, un nom « connoté étranger » pour eux, c’est du pain béni.
Dans leur esprit de vautour, la raison est forcément liée aux origines du suspect. Comme à chaque fois, dans ce genre d’affaires, on se demande de quel droit un journaliste s’arroge la puissance terrible de révéler le nom d’un suspect.
Et le journaliste reste tranquille malgré les dispositions de la Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Ne parlons pas des sites et pages d’extrême droite qui violent allègrement cette disposition en allant jusqu’à répandre le nom du suspect et sa photo menottée, comme nous le verrons plus loin.
On peut mettre à la décharge du journaliste les réserves que celui-ci émet quand aux données de l’enquête :
-Le casier judiciaire du suspect est évoqué et « colle » mal avec les faits dont il est accusé :
« vols, violations de domicile, rébellions, dégradations, recel, petits trafics de stupéfiants… »
Beaucoup plus important, le mobile est inconnu puisque le portable de la victime n’a pas disparu, ni la gourmette en métal précieux, aucune trace de sang n’est retrouvé sur le suspect :
« L’enquête est, cependant, loin d’être terminée. Lors de son interpellation, […] n’était en possession ni du téléphone portable de Jérémie ni d’une arme compatible avec celle ayant servi au crime ; de plus, ses vêtements ne semblaient pas ensanglantés, alors qu’une importante hémorragie a accompagné l’agression. «En 24 heures, il a pu se changer», note un enquêteur.
Plus troublant: le portable de la victime aurait émis, quelques minutes après les faits, dans les quartiers nord de Marseille, alors que le suspect ne les fréquente pas. «Il a pu se débarrasser du téléphone, qui aurait alors été récupéré par une tierce personne, à moins que l’appareil n’ait été ramassé par un passant peu scrupuleux sur la scène du crime», envisage un policier. S’il a poignardé Jérémie, le mobile d'[…] reste à déterminer, puisque la victime a été retrouvée avec des objets de valeur – dont une gourmette – qui, logiquement, auraient dû susciter la convoitise. Une perquisition devait avoir lieu dimanche dans un foyer fréquenté par le suspect, à la recherche d’éventuels indices. »
Mais le mal est fait.
Les chiens sont lâchés, la curée et la récupération politicarde peut commencer pour la fachosphère (voir partie 2).
13 aout
10h46
Un appel du fn à manifester est lancé, et immédiatement un contre-appel surviens relayé par les réseaux sociaux. Comme le dit le « Monde », la capacité de mobilisation du candidat FN Ravier sera mesuré par cette manifestation.
14 aout
5h19
http://www.laprovence.com/article/actualites/2487800/mort-de-jeremie-la-fausse-piste-du-crime-crapuleux.html
La « Provence » rappelle de façon très professionnelle que le mobile du meurtre n’est pas crapuleux. Et que si la culpabilité du principal suspect est confirmée, alors la thèse du meurtre d’un déséquilibré est confirmée au vu de son grave état psychiatrique. Le suspect étant atteint d’une schizophrénie résistante aux traitements, connu des services psychiatriques du secteur.
Il est bien précisé que ces mêmes services voulaient faire hospitaliser le suspect pour des raisons MÉDICALES et non en raison d’un comportement dangereux :
« Mais le cas de ce SDF était différent. Même si son état apparaissait comme préoccupant, il n’avait semble-t-il commis aucun geste alarmant, ni proféré des propos laissant imaginer une issue aussi grave. Ses soignants considéraient comme nécessaire son placement dans un service psychiatrique pour des raisons purement médicales, en raison de ses crises à répétition. Ils lui avaient en revanche prescrit un traitement lourd, à base de neuroleptiques, qui n’ont malheureusement eu aucun effet sur sa schizophrénie. »
Les résultats de l’analyse ADN sont encore inconnu à ce jour:
« Les enquêteurs de la Sûreté départementale attendent avec impatience les résultats des analyses réalisées sur les vêtements du suspect, interpellé deux jours après le meurtre. Ils espèrent pouvoir y repérer l’ADN de la victime, ce qui confirmerait, sans doute définitivement, sa participation au crime. »
10h17
Le jour de la manifestation du fn, « Libé » rappelle la fragilité de l’accusation et les éléments contradictoires.
20 aout
Le coup de grâce est porté aux thèses nauséabondes de l’extrême droite :
« De source proche de l’enquête, on se montre plus affirmatif, indiquant que la piste du marginal de 41 ans est bel et bien abandonnée au profit de cette deuxième. L’examen des images vidéo aurait permis d’écarter la première hypothèse, tout comme les analyses ADN des effets personnels du suspect. »
La construction intellectuelle des fachos s’effondre, laissant une personne déjà lourdement stigmatisée par sa maladie et maintenant par le dévoilement de son nom sur des sites d’extrême droite, alors que sa participation à un meurtre reste infondée à ce jour.
La récupération de l’extrême droite
C’est, semble t’il, « Dreuz » et « Riposte Laïque » qui ouvrent le bal.
Pour Dreuz, c’est évident: la victime a été égorgée par un meurtrier -forcément- musulman (puisqu’il a été égorgé) avec un couteau (encore une preuve que c’est un musulman). Grumberg, égérie de Dreuz et plume menteuse si il en est part ensuite dans une fumeuse analyse sur la responsabilité de l’Islam dans ce meurtre. Bien sûr 9 jours plus tard, quand son site publiera cet article:
On ne l’entendra pas revenir en arrière, s’excuser d’être allez vite en besogne et promettre d’arrêter l’écriture pour se consacrer à la seule activité qui vaille pour lui: le soin de sa paranoia galopante dans un établissement psychiatrique digne de ce nom. Mais Grumberg ne fait pas du journalisme, il fait de la propagande, alors ne rêvons pas…
Riposte Laïque fait également dans le délire verbatim:
La thèse est simple et se décline ainsi : le meurtrier a égorgé Jérémie l’a tué pour des raisons crapuleuses et religieuses.
Et oui suivez le guide:
- la victime a été égorgée et on lui a volé son portable
- donc il a été tué avec un couteau et c’est forcément un délinquant
- délinquant+couteau=musulman
- donc la victime a été tuée pour des motifs politico-religieux afin de lui voler son portable
Vous voyez la politique/la société est tellement plus simple avec l’extrême droite. On a un canevas tout prêt qui fonctionne avec chaque affaire et qui tombe juste à chaque fois. A tous les coups on gagne !!!
Marseille est une ville gangrénée par l’Islam Politique qui encourage ce genre de meurtres et les politiques sont tous complices.
Le reste se décline comme un glurge :
Citations de Pagnol détournées, note pseudo humoristico-cynique sur Nicoletta, allusion pour faire trembler l’électeur à la « sulfateuse » et au glissement de la lame du couteau. Et enfin, cerise sur l’immonde gloubi boulga: une remarque perfide à la pauvre famille de la victime sur son inconscience réelle ou supposée à le laisser se promener dans cette ville coupe gorge avec un portable acheté par leurs soins. Comme si cet acte marquait irrémédiablement votre mort prochaine…
Un autre auteur tout aussi talentueux dans la manipulation et la propagande récidivera le 13 aout. Entretemps, les articles montrant le peu de crédibilité de la thèse d’un meurtre par des « islamofascistes » selon l’expression consacrée, a perdu toute crédibilité, même aux yeux du plus décérébré des électeurs de l’extrême droite.
Pas grave! on va subtilement changer la donne…. Enfin subtilement…jugez vous même:
La thèse est maintenant celle du complot. Les meurtriers en bande organisée ont volé le portable -la preuve celui ci sonne quelques minutes plus tard après le meurtre dans les quartiers nord- (on voit que l’auteur n’a jamais mis les pieds à Marseille, aller de la Gare St Charles aux « Quartiers Nord-et où cela?- relève de l’impossible). Et pour cacher ce fait (les autorités étant déjà -forcément- au courant, ceux ci organisent un contre feu sur un pauvre SDF que le même site conspuait deux jours auparavant…
Tout commence à s’emballer dès la parution de l’article du Figaro le 12 aout.
Un site nommé « la désinformation autour de l’immigration » commet cette bouse:
Cette fois ci, si le complot politico médiatique, indispensable à toute thèse de l’extrême droite, est présent, le déroulé est différent. Le meurtrier est un immigré dont la responsabilité est dissimulée par une maladie mentale factice.
Le fait que des services de santé ait demandé son hospitalisation quelques temps auparavant, ou les différents hospitalisations précédentes mettent bien sûr à bas cette théorie fumeuse, mais qu’importe:
« plus c’est gros, plus ça passe »
La thèse est reprise par le site « Chrétienté Info » qui en l’occurrence applique de façon inconditionnelle les maximes de leur religion:
Car eux publient non seulement le nom du suspect mais aussi une photo. Qui n’a rien à voir avec celle du suspect de Marseille puisque c’est celle « d’Alexandre » jeune converti islamiste suspecté de l’attaque à la Défense d’un militaire au cutter.
Aucun rapport.
Mais quand on est un militant d’extrême droite, on ne passe pas à coté d’un petit coup de canif à la vérité et surtout d’un petit coup de pouce, fût il mensonger, à sa propagande.
Le 12 et le 13 aout, les réseaux sociaux prennent le relais selon une mécanique bien huilée et orchestrée. Des pages comme celle ci (mais cette photo est reprises à l’envie sur tous les relais sociaux de la fachosphère facebook):
Le procédé est bien connu, il permet d’irriguer selon la technique de la portée virale chère à l’extrême droite.
Car au final… Qui démentira ces accusations mensongères?
Personne à part quelques personnes dont les Debunkers.
L’accusation restera et même si jamais tout cela est bien démenti, la fachosphère pourra toujours crier au complot ou à l’attaque manipulatrice.
« Plus une calomnie est difficile à croire, plus pour la retenir les sots ont de mémoire. » Casimir Delavigne
Puis surviens le point d’orgue avec la manifestation organisée à Marseille le 14 aout, par le candidat du FN à la mairie:
16h58
Le cortège anti-fn est chargé par la police alors qu’aucune violence n’est décrite si ce n’est la violence des slogans qui claquent au visage des frontistes. Bien etntedu, la manifestation n’est pas déclarée, mais elle trouve son écho dans la fachosphère qui déclare généralement que les « gauchistes » sont protégés par les forces de l’ordre.
Au vu de la violence de la répression, des arrestations ET condamnations qui s’ensuivent, on voit qu’il n’en est manifestement rien.
17h44
http://www.laprovence.com/actu/region-en-direct/2488194/une-soixantaine-de-personnes-a-la-manif-fn.html
Et heureusement les Marseillais ne sont pas dupes puisque la manifestation frontiste fait un bide total ! Au point que la fachosphère qui dans son ensemble à appeler à manifester se tait sur l’échec manifeste de cette action.
Le candidat fn se répand dans la presse en tentant de récupérer l’évènement :
« Interrogé sur le fait de savoir s’il avait demandé à la famille l’autorisation de manifester, il a répondu que « si la mort de ce jeune homme n’appartenait qu’à sa famille, l’affaire concernait tout le monde« . »
Un site ne trouve pas mieux que de relancer la thèse du complot à grande échelle. Il adjoint aux histoires déjà connu l’affaire du militaire arrêté pour projet d’attentat contre une mosquée:
Le complot islamo reptilien n’est pas loin.
Et pour conclure « Le Salon Beige » n’est pas en reste de théories fumeuses et d’interprétations rances:
En plus du refrain sur le complot immigrationniste habituel, agrémenté de quelques remarques perfides sur la remise en cause du droit du sol, l’auteur oublie carrément le placement en psychiatrie du suspect sous le mode de contrainte de « Soins Sans Consentement à la Demande d’un représentant de l’état« .
Enfin l’auteur émet deux hypothèses parfaitement séduisante pour un lecteur d’extrême droite.
Nous noterons aux Debunkers avec perfidie que de la formule « de deux choses l’une » c’est selon la formule consacrée une troisième qui s’est produite…
Le Salon Beige a chuté, ses hypothèses sont bidons. Mais il ne s’excusera pas.
CONCLUSION
Encore une fois et le procédé devient habituel, l’extrême droite s’empare d’une affaire criminelle en brodant.
Aucune preuve.
Juste un nom qui sert la propagande rance des droites extrêmes.
C’est si facile d’accuser sans preuves et de jeter en pâture un nom.
Un nom qui selon les théories xénophobes du fn est la preuve de celle-ci.
Le suspect est d’origine immigrée ; le meurtre est donc crapuleux et par métonymie, tous les étrangers sont suspects, donc coupables selon la même méthode utilisée par la fachosphère lors de cette affaire.
La méthode est bien huilée.
Et il n’y a pas beaucoup de petits grains de sable dans cette mécanique qui broient les hommes et leurs convictions.
Ainsi que la vérité.
Comme pour Brétigny, nous reviendrons probablement sur cette affaire.
« Le plus haut des tourments humains est d’être jugé sans loi. » – Albert Camus