Trouver l’ennemi. Qu’ils viennent de contrées exotiques ou une cinquième colonne tapie dans l’ombre, c’est l’ennemi. Celui qui viendra spolier le bon français. Le bon français, celui qui travaille dur, celui qui a les mains caleuses et de la graisse sous les ongles. Celui qui est en lien direct avec la terre qui ne ment pas, celui qui nourrit honnêtement sa famille comme son pays. Voilà ce que ça donne quand on demande benoitement ce que c’est que d’être français, c’est proposer de raviver un implicite déjà dans les têtes.
Au mieux, c’est une erreur politique, au pire, c’est jouer au pompier pyromane. Faire fi des tensions déjà existantes dans une société qui aime se vivre en crise permanente, oui, ça a tout du bad move. Un premier ministre en sursis qui cherche à prolonger l’hégémonie éphémère du centre politique, une droite sous perfusion qui obtient des victoires inespérées, une extrême droite qui n’a qu’à attendre et une gauche qui se déchire. Tout a la saveur d’une fin de règne.
Le peuple-fantasme. Nous avions déjà parlé des notions de peuple-classe et peuple-nation, deux approches du concept de peuple ; nuance suffisante à considérer que la définition n’est jamais arrêtée. Le piège tendu se referme sur le naïf qui croyait bien faire, excluant de fait toute la fluidité et les différences, toutes les richesses de la superposition des identités. Les nationalistes l’ont emporté sur la République. Bravo.
Peut-il en sortir autre chose que des poncifs, des images d’Épinal ? Imposer le débat sous la pression de cette extrême droite qui dicte le tempo, c’est se condamner à une vision réductrice. Une identité. Une certaine féminité, une certaine masculinité, une vision conditionnée par les paniques morales et les menaces. Remplacement, disparition, étouffement, submersion.
Nous et les autres. La définition du Nous se fait par élimination. Depuis l’abbé Barruel, la définition moderne de la menace est celle d’un ennemi intérieur. Le juif, le métèque, le franc-maçon. Ajoutons le manouche, le musulman, la féministe, le gauchiste. Pourquoi pas les woke. Gare à ceux qui sont un peu tout ça !
Quand nous faisons l’éloge de la différence, nous nous heurtons à un iceberg. En surface, un petit bloc de glace apparent : ça sert les dents quand il faut se confronter à cette différence. « Ils ne veulent pas s’intégrer ». « Ne soyez pas naïfs, ils vous mettront la burqa ». Sous le niveau de la mer, c’est tout un ordre social qui est à défendre, la somme des dominations : suprémacisme, capitaliste, patriarcale. L’extrême droite se nourrit à la peur et à la flemme.
L’assimilation par la surperformance. Le dernier arrivé se prend toujours tout dans la poire. Il relève de la grande Histoire du monde que de voir les humains se déplacer. La construction du concept de Nation a impliqué un engagement des citoyens auprès de cette dernière. Les débats autour de l’intégration et l’assimilation ont largement montré la déconnexion entre les attentes politiques et la réalité des vies avec une double culture. Parfois se dégage une tête, un homme racisé qui revendique le racisme le plus dur, une femme qui s’empare des pires principes sexistes pour défendre l’inégalité. Faire partie de la Nation est parfais ressenti comme une injonction à le démontrer plus que les autres. Ce n’est pas rare, surperformer un rôle en pensant y trouver l’essence de l’identité authentique. Une chimère.
L’ennemi se trouve là où germent le racisme, le sexisme, l’exploitation. Une peur du déclassement palpable dans une société qui prône l’inégalité comme un ordre naturel ; malheur aux vaincus, pourvu que ce soit les autres. Dévoyer la question de l’identité est le ferment, la levure de la recette : par un appauvrissement des modèles, parfois même inventés pour coller au récit, rendu possible par une culture de la peur. Par peur, par obsession d’un ennemi imaginaire, il ne devrait nous rester qu’un seul choix possible, une illusion de libre arbitre, en adhérant aux idées de l’extrême droite.
N’ayons plus peur.