24 janvier 2025 | Temps de lecture : 5 minutes

Euthanasie et débat sur la fin de vie, l’extrême droite étouffe tout débat

Comment les sphères complotistes et d’extrême droite abordent-elles la question de l’euthanasie ?

La fin de vie est une question éthique, elle entraîne nombre de questions sur la façon dont une société aborde la maladie, la douleur, la mort. Fin 2024, le gouvernement Barnier proposait une loi permettant d’encadrer le droit à mourir dans la dignité. Car c’est de ça dont il est beaucoup question, de dignité.

Avec le nouveau gouvernement, dont la durée de vie est inconnue, le projet revient sur le devant de la scène. Pour François Bayrou, il est nécessaire de séparer la loi en deux volets. L’un sur l’euthanasie, l’autre sur les soins palliatifs.

L’euthanasie fait parti de ces sujets qui animent les débats. Sans surprise, les complosphères et fachosphères sont vent debout ; et ils ont toutes les raisons d’y croire, tant la droite, qui a de sacrés leviers politiques en cette période, est en général réticente à aller sur ce terrain là.

Capture Twitter complotisme euthanasie eugénisme hitler

Le complotisme et l’euthanasie

Le petite monde complotiste est fidèle à lui-même, suivant les sujets d’actualité au fur et à mesure de leur médiatisation. Et le 22 janvier, l’actualité était guidée par l’annonce du premier ministre de revoir le projet de loi. La complosphère a ce petit truc de réagir de façon réflexe à des stimulus.

Capture Twitter complotisme euthanasie

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas là que se joue l’essentiel du débat. Objectivement, les posts venant de la complosphère sur l’euthanasie ne sont que le prolongement d’une litanie interminable sur les vaccins, l’avortement, l’eugénisme.

Le suicide assisté est donc vu comme une façon pour la société de limiter la surpopulation par une élite. Pourquoi pas un peu de Bill Gates ? L’occasion de ressortir la théorie des « panels de la mort » qui revient de temps à autres.

La population française vieillit, c’est un fait attesté par tous les démographes. En plus de ça, il faudra financer les retraites d’un nombre croissant de personnes, alors pourquoi pas liquider les vieux pour faire des économies ?

Nous voici avec deux « mobiles » régulièrement invoqués. La dignité, la souffrance, eux, ne le sont que rarement.

L’extrême droite s’empare la fin de vie

C’est surtout du côté de la droite qu’on retrouve des réactions sur la fin de vie. Différents canaux de réinformation communiquent sur le sujet.

Un Rassemblent National très discret

Marine Le Pen avait annoncé la couleur l’année dernière. « Ne se prononce pas ». Le RN avait mis deux députés sur le coup : Sandrine Dogor-Such et Christophe Bentz. Néanmoins, on ne peut pas dire que le parti du clan Le Pen ait été très bruyant sur la question.

Comme tout le reste de la droite, ils misent sur les soins palliatifs.

Concernant l’euthanasie, si de nombreuses demandes sont formulées par les patients de l’USP de Sens, le médecin coordinateur précise, que la plupart du temps, cette volonté tend à disparaître au fil du séjour, des discussions et de l’accompagnement.

Il pointe ainsi la nécessité de faire connaître la législation en vigueur qui permet une sédation profonde et continue jusqu’au décès ou bien la sédation proportionnée pour les patients dont les douleurs sont insoutenables.

Enfin, le professionnel de santé a relevé le risque de dissensions au sein des unités de soins palliatifs en cas de légalisation de l’euthanasie et la grande confusion qui serait introduite par l’association des soins et du suicide assisté dans les mêmes bâtiments.

[…]

Au-delà des sensibilités et des opinions intimes sur l’euthanasie et les conséquences de ce projet de loi, les députés du groupe Rassemblement National défendront l’accès aux soins palliatifs pour tous, élément indispensable pour une fin de vie digne.
Communiqué  « Projet de loi sur la fin de vie : les députés RN visitent une unité de soins palliatifs » du 5 mai 2024 sur le site du RN

En attendant, en ce début 2025, le volet santé du RN est consacré à la suppression de l’AME, un totem de la droite dure en quête de conquêtes politiques sur l’immigration.

Les cathos tradis

Nous en avions déjà parlé, les cathos tradis ont toujours été opposé à l’euthanasie. Rien de bien étonnant d’ailleurs.

La droite extrêmement extrême a une opportunité de s’illustrer ici. Allons y gaiment avec Denis Pint, ce candidat Reconquête qui compare euthanasie et avortement. On retrouve même la tonalité de la complosphère avec des sous-entendus lourdingues.

Le discours en vogue

Pour aller contre le suicide assisté, la droite va utiliser le spectre du « regardez ailleurs comment ça se passe ». Les arguments invoqués par Kevin Bossuet, par exemple.

Capture Twitter kevin bossuet euthanasie

  1. Canada, l’euthanasie représente 4.7% des décès. C’est vrai, voir ici ou .
    Il faut noter tout de même que le pays mise aussi sur les soins palliatifs, mais que c’est tout le système de santé canadien qui est sujet à caution. L’âge moyen des personnes ayant eu recours au suicide assisté est de 77 ans.
  2. En Belgique, des mineurs peuvent recourir à l’euthanasie. C’est vrai, mais très marginal.
  3. Aux Pays Bas, on peut demander l’euthanasie en couple. C’est vrai, mais les deux doivent remplir les conditions.

Ils sont vrais, mais… ne démontrent pas que la société est en plein suicide collectif.

[aparté] Le fact-checking se limite donc à vérifier si ces arguments sont vrais ou faux. Ils sont vrais, mais ce qui nous intéresse c’est la fonction du discours. Et justement, comment ça se passe ailleurs, en Espagne ou au Portugal par exemple ? Nous avons ici un biais dans le choix des exemples, biais nécessaires compte tenu du grand nombre de pays avec des législations différentes. [/aparté]

D’ailleurs qu’en est-il des lois actuellement en Europe ?

L’égérie contre le suicide assisté, Claire Fourcade

Une personnalité est régulièrement invoquée, Claire Fourcade. Médecin dans un  service de soins palliatifs, elle s’illustre en 2023 à la convention citoyenne par sa position violemment opposée au suicide assisté.

Capture google actu claire fourcade
Claire Fourcade, égérie des médias Bolloré

Coïncidence, elle publie un livre sur la fin de vie ce mois de janvier. Elle fait donc la tournée des plateaux et bénéficie d’un relais médiatique fort. Particulièrement sur les canaux de la galaxie Bolloré.

Conclusion

Au final, il reste un faux dilemme posé par la droite : ce sera ou les soins palliatifs ou l’euthanasie. Comme si les deux étaient incompatibles, comme si mettre en place un cadre autour du suicide assisté impliquait l’arrêt des soins palliatifs. Ce choix, qui n’en est pas un, a une fonction : étouffer tout débat éthique, ne pas se demander où placer le curseur, où placer des limites et interroger les critères moraux d’une société.

Le choix de Bayrou de scinder la loi va probablement entraîner une adhésion de tout le monde sur les soins palliatifs (et rappelons qu’en France, c’est la dèche dans tous les services de santé, y compris ceux là) et un probable blocage sur le second volet.

De manière générale, il est nécessaire de le formuler : la santé, ce sont des choix de société, ça se pense collectivement. Et une société basée sur la justice sociale et la solidarité ne remet pas en question l’AME et ne pose pas de faux dilemmes. Non, on se donne les moyens.

Peut être qu’au final, l’extrême droite aurait préféré quelque chose de proche de l’état nazi ?

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