Est-ce que les réformes du gouvernement sur l’inclusion des élèves non-binaires a un impact sur le classement PISA ?
On trouve ce genre d’articles à longueur d’exploration du net. C’est un peu le rôle qu’on s’est donné, en tant que collectif antifasciste qui refuse de céder la place à l’extrême droite. Nous assurons donc une veille, c’est à dire que nous suivons, sur le temps long (depuis plus de dix ans pour une partie d’entre nous), les dynamiques qui agitent les différentes sphères.
Comme nous vous l’expliquions, debunker toutes les affirmations que l’on trouve n’a plus de sens. D’abord, les fact-checkers le font (et eux sont payés pour ça), mais surtout il y en a tellement que c’est impossible.
Bien sur, on va répondre à la question posée, mais on va surtout situer notre source dans un écosystème, lui redonner un sens politique.
Le classement PISA & les LGBT
Comment avons-nous trouvé cette info ?
Il y a quelques années, nous trouvions ces infos dans nos flux Facebook personnels. Il faut reconnaître que ça a beaucoup changé. En 2024, nous trouvons ces infos sur Telegram. La messagerie russe (même si l’âme de ce logiciel s’est réfugiée en France) permet de créer des canaux ou chaînes. Un ou plusieurs administrateurs peuvent y poster à longueur de journée quasiment sans modération.
C’est évidemment un espace parfait pour que la fachosphère et la complosphère s’épanouissent.
- Le compte StreetReporters
C’est sur ce canal là que nous avons trouvé cette info. Ce collectif gère également un site, Pravda-fr. La ligne est un agrégat de propagande russe (on trouve aussi beaucoup de propagande russe sur Telegram) et des théories du complots qui s’accordent avec un discours à la tonalité décliniste, conservatrice et anti-système. - Profession-gendarme
Si on suit le lien donné sur le canal Telegram de Street Reporters, nous arrivons sur un site bien connu : Profession-gendarme. Il est géré par un ancien gendarme, Ronald Guillaumont et est un agrégateur lui-même. On y trouve des infos venant de plusieurs sites, il y a du France-Soir, de la sphère antivax, anti-système.
On y trouve cette fois l’article en intégralité, avec un lien vers l’auteur (enfin !) - Sérénité patrimoniale
C’est le blog de Hubert Boeltz, « Coach en sérénité patrimoniale ». Le site est un blog qui mêle des billets quotidiens et les services de gestion de patrimoine et de conseil financier dispensés par son entreprise. Sur le sérieux de service, nous ne pouvons pas nous prononcer. En revanche, on peut identifier aisément une ligne très conservatrice en parcourant les thèmes proposés par l’auteur.
Qu’est ce que ça nous raconte ?
Nous avons donc remonté un fil. Un billet est passé au travers d’agrégateurs pour finir au milieu d’un fatras de propagande et de théories du complot. Nous reviendrons un peu plus bas sur l’auteur, mais intéressons nous d’ores et déjà à une question : pourquoi un conseiller en patrimoine écrit des billets d’humeur sur son site professionnel ?
Il y a deux raisons :
- C’est une technique de SEO (search engine optimisation), c’est à dire de référencement. Il y a pléthore de conseillers en patrimoine sur le marché, et pour se faire connaître, il doit faire voir son site. Comme il a peu de chances de se positionner sur Google, il va développer une autre stratégie : produire du contenu qui sera partagé afin de le rendre visible sur d’autres plateformes.
- Parce qu’il en a envie, pardi ! Sans rire, c’est son droit le plus stricte de gérer sa communication comme il en a envie. Mais il y a une chose intéressante ; il est de coutume d’éviter de mélanger ses convictions politiques et son activité professionnelle. S’il le fait ici, c’est au contraire qu’il considère que sa clientèle potentielle est acquise à sa cause.
Le contenu
Bon ! À quoi ressemble cet article ?
Nous commençons par une photo qui résume bien l’article. Un « jeune » avachit dans un fauteuil abandonné incarne la décrépitude de la jeunesse, de l’école, de la société. On connait la rengaine. Passons.
Puis le titre « Arrêtez de détruire nos enfants ! ». C’est un billet d’humeur, il parle de lui-même.
Pour facilité la lecture, nous avons utilisé un code couleur, avec des fonds que nous avons rajouté, du jaune au rouge.
- L’intro, en jaune clair.
Une triste description d’un monde qui va à vau-l’eau. L’intro se finir sur une citation de Gandhi qui invite à s’emparer de nos destins… Après tout, il se définit « coach » lui-même. - En jaune un peu plus foncé, l’auteur fait le récit de la lutte épique lancée par des parents d’élèves contre une circulaire visant à une meilleure inclusion de la transidentité dans le milieu scolaire.
- En orange, comme l’auteur le reconnait il n’y a pas de rapport, la France chute dans le classement PISA. « comme c’est étrange ! » s’étonne-t-il…
- En rouge, enfin, il amène sa pub. D’abord son expérience d’enseignant (en école de commerce, soit des élèves
de 7 à 9 ansadultes), puis il introduit un paragraphe prévu pour être intégré sous chaque article.
Comme l’auteur le dit, il n’y a aucun rapport. Sauf que faire un article pour y associer les deux, même en insistant sur la non-corrélation, c’est établir un lien. Faudrait voir à pas trop nous prendre pour des buses non plus.
Si c’est pas les LGBT, qui fait baisser le classement au PISA ?
Le classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) est une étude des systèmes éducatifs de 100 pays. Il est assez difficile de « classer » des systèmes très différents avec des méthodes d’enseignement différentes et des contexte socio-économique… différent. Mais de fait, la France recule. Et tous les ans, c’est l’occasion d’inviter des experts en déclin français sur les plateaux TV pour tourner en boucle sur le classement PISA pendant 48h.
La vraie raison du mauvais résultat de la France est en réalité une conjonction de facteurs favorisant l’inégalité. La France se retrouve alors pénalisée par ses moins bons élèves. La faute à un manque de moyens, d’enseignants, de continuité…
Tout ça a été traité dans la série d’articles ci-dessous :
- Classement Pisa : pourquoi les élèves français sont aussi mauvais ?
- Classement Pisa : pourquoi la France reste-t-elle une élève moyenne, alors qu’elle « met le paquet » sur le français et les maths ?
- Education : la France a-t-elle le système le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE, comme l’affirme François-Xavier Bellamy ?
- Classement PISA : pourquoi la France ne progresse-t-elle pas ?
- Les élèves qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont accès à des cours particuliers (BFM)
Un écosystème
Nous aurions pu nous arrêter là, et considérer que Hubert Boeltz est un entrepreneur malin mais dont nous ne partageons pas les opinions, qui a trouvé une façon de se faire connaître. Sauf qu’il n’est pas tout seul. C’est même tout un écosystème, entre entrepreneur/coach et médias de réinformation.
Il y a d’abord une symbiose, un bénéfice réciproque. Les coach produisent du contenu et obtiennent de la visibilité, les médias de réinformation ont de la visibilité mais ont besoin de ce contenu « impertinent, iconoclaste ».
Mais surtout, il y a une vision commune, un discours emprunt des mêmes références. Tous ensemble participent à créer le même imaginaire d’un occident décadent sous la menace permanente de ses ennemis dont l’intelligence et la fourberie n’ont d’égal que leur capacité à avoir une meilleure économie que nous.
Comme nous vous le disions, Hubert Boeltz n’est pas seul.
Charles Sannat
Nous avions découvert Charles Sannat à l’occasion de l’article sur le grand reset.
Sur son site, il finit ses éditos par Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous ! Dans son univers, la crise est permanente et l’effondrement inéluctable. Sannat publie environ 3 à 4 vidéos par semaine sur sa chaîne Le grenier de l’éco, dont les thèmes tournent autour de l’économie, de la conjoncture et du pouvoir des chats, ma bonne dame.
Au milieu de ce contenu qui a le charme du conseiller fiscal, on trouve des titres (dans les vidéos comme les articles) avec des teneurs plus douteuses ; ce n’est pas pour rien que Breizh info le partage d’ailleurs, Insolentiae bénéficie d’une bonne image dans les milieux ultra-libéraux et identitaires, notamment pour ses analyses qui montrent une certaine fascination pour la Russie comme le montrent certains articles récents : Depuis 2019, Chine, Inde et Russie peuvent se passer du système SWIFT. Et nous? ou Depuis 2019, la Russie s’est entraînée à se couper de l’Internet mondial et nous ? et Sanctions. Pactole de 158 milliards d’euros pour la Russie. (On voit ici un discours récurent sur les sanctions à l’encontre de la Russie qui seraient sans effets)
Justement Charles Sannat continue de développer ses thèses sur son site Insolentiae.
Et figurez-vous qu’à l’été 2018, ce temps béni du bon vieux temps, il se filmait pour sa chaîne « les greniers de l’éco » avec … Hubert Boeltz. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Figurez-vous que Charles Sannat vend ses conseils (des dossiers ou l’accès à certaines analyses financières) sur son site, où il crée du contenu politique. Comme nous l’avons vu, ce contenu est repris par Breizh Info, mais également Le figaro ou Contrepoints.
Rémy Mahoudeaux
Notre troisième compère n’a rien fait en commun avec les deux premiers, mais par le hasard des recherches, son nom est ressorti plusieurs fois. Et pour cause, le profil est assez similaire.
C’est un auteur prolifique sur Agoravox depuis 2013. Depuis 2017, il officie sur Boulevard Voltaire et il sera même publié une fois sur l’incorrect en 2020.
Encore une fois, on retrouve les mêmes thématiques : de la géopolitique, du péril LGBT sur nos chères petites têtes blondes et des perspectives économiques.
Le nom de Mahoudeaux ressort sur deux autres thèmes. Il gère 7 sociétés et s’est lancé il y a quelques années dans un projet citoyen autour de l’aménagement urbain à Vannes, où il habite. Ce profil d’entrepreneur politisé est très proche de nos conseilleurs en patrimoine.
Conclusion
Le seul article que nous avons retenu ne dit pas grand chose, si ce n’est étaler la même logorrhée sur les LGBT et la décadence de l’occident. Ce discours n’est pas que cynique, pour vendre du service. C’est un imaginaire dont ces « coach fiscaux » (des fiscoach) sont imprégnés, ils lisent et écrivent pour des plateformes lues par leur clientèle. Un imaginaire fait de concurrence, de luttes à mort et de danger permanents.
C’est un autre monde…