En ce 99ème anniversaire de l’assassinat de Jaurès par un activiste politique d’extrême droite, il est temps d’attirer l’attention sur cette affiche honteuse qui date de 2009.
« A celui qui n’a plus rien, la Patrie est son seul bien »
Ce slogan attribué à Jaurès est repris sans vergogne par des nombreuses pages d’extrême droite comme une évidence.
Pensez donc les modèles idéologiques de celle ci sont tellement sales, qu’ils préfèrent jouer les coucous en s’appropriant les modèles Républicains. Il est jusqu’à certaines personnes dites de gauche qui ne vont pas plus loin que le bout de leur nez en attribuant ce mot à Jaurès.
Or, rien n’est plus faux.
Le vrai Jaurès, humaniste, pas fasciste!
Comme le révèle Libé:
Après Nicolas Sarkozy, c’est au tour de Marine Le Pen d’enrôler Jean Jaurès dans une grotesque opération de confusionnisme intellectuel : «A celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien, disait Jaurès en son temps, lui aussi trahi par la gauche du FMI», a-t-elle déclaré lors du congrès du Front national le week-end dernier à Tours. La tactique n’est pas nouvelle : ledit Jaurès dénonçait déjà les impostures des nationalistes racistes travestis en «vertueux ennemi du cosmopolitisme financier».
Mais d’où vient la fameuse citation ? Elle traîne sur Internet, sans source – et pour cause, puisqu’elle est frelatée. Le FN l’a mise en circulation en 2009 sur une affiche représentant le défenseur de Dreyfus avec cette légende : «Jaurès aurait voté Front national». Avec de tels ennemis, comme l’écrivait Benjamin, même les morts ne seront pas en sûreté. Jean Jaurès mentionne certes quelque part «le passage célèbre de Voltaire, sur le marmiton qui n’a rien et se passionne pour sa patrie».Mais voici le texte du philosophe que l’on trouve à l’entrée «patrie» de son Dictionnaire philosophique : «Un jeune garçon pâtissier (…) se donnait un jour les airs d’aimer sa patrie. « Qu’entends-tu par ta patrie ? » lui dit un voisin : « (…) est-ce la rue où demeuraient ton père et ta mère, qui se sont ruinés, et qui t’ont réduit à enfourner des petits pâtés pour vivre? »»
Ironiquement, si la patrie semble un bien ultime à ceux qui n’ont plus rien, c’est donc à titre de lot de consolation imaginaire. Ce que Marat traduisait ainsi : «Où est la patrie de ceux qui n’ont aucune propriété, qui ne peuvent prétendre à aucun emploi, qui ne retirent aucun avantage du pacte social ?»
Jean Jaurès cherchait en fait à concilier deux formules opposées : «Les malheureux n’ont que la patrie», qu’il réfère à Blanqui, et «les malheureux n’ont pas de patrie», qu’il attribue à Saint-Just. Pour lui, la contradiction n’était qu’apparente. Le premier énoncé, loin de «délier les malheureux de leurs obligations envers la patrie», exige de«fortifier les obligations de la patrie envers les malheureux» par la justice sociale. Le second énoncé signifie, lui, que «la participation à la vie collective exulte, relève et console les plus pauvres de leur misère». Il se démarque ainsi du slogan radical de Marx – «les prolétaires n’ont pas de patrie» – sans sombrer dans le nationalisme. Opposant aux égoïsmes nationaux l’idéal d’une «patrie universelle des travailleurs libres», Jaurès envisageait, en 1914, une grève générale internationale contre la guerre.
Si Jaurès n’est pas soluble dans le social-libéralisme, il ne l’est donc pas non plus dans la préférence nationale. Peu avant d’être assassiné par un militant d’extrême droite, il exigeait de «protéger les ouvriers étrangers contre l’arbitraire administratif et policier, pour qu’ils puissent s’organiser avec leurs camarades de France et lutter solidairement avec eux sans crainte d’expulsion». Cette phrase-là, sans surprise, ni Le Pen ni Sarkozy ne la citent. Plus préoccupant : on ne la trouve pas non plus dans les discours socialistes.
Grégoire Chamayou Philosophe (CNRS-ENS-Lyon)
ou bien un site comme Jaurès Info:
Pour lancer sa campagne des élections européennes de juin prochain dans la région Sud-ouest, le Front national vient d’éditer un tract et une affiche (déjà apposée sur les murs de plusieurs villes) scandaleusement mensongers. Après avoir repris, hors contexte, une phrase de Jaurès (« A celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien »), ces deux documents affirment en effet, en reproduisant un portrait connu du personnage, que le député socialiste du Tarn aurait voté Front national.
C’est particulièrement malhonnête et c’est bien mal connaître Jaurès que de le faire parler ainsi un siècle après sa mort… Et cela ne repose bien sûr sur aucun fondement historique.
Les nationalistes et la droite d’alors l’ont en effet sans cesse insulté, méprisé, menacé, agressé, et ce qu’il a fait et qu’il représente est encore aujourd’hui profondément honni de l’extrême droite et d’une bonne partie de la droite.
Nous assistons donc à une campagne d’opinion indécente qui a pour but de perturber les programmes en cours relatifs au 150e anniversaire de la naissance de Jean Jaurès. Et ce n’est pas un hasard si c’est dans la région toulousaine qu’a été conçu ce « coup médiatique », puisque c’est là que rayonne le plus la mémoire du leader socialiste et que les projets culturels les plus ambitieux ont été décidés.
Tout au long de sa vie politique, notamment lors de l’affaire Dreyfus et au moment du débat contre la loi de trois ans de service militaire, les nationalistes l’ont traité d’ennemi de la France, de sans-patrie, de lâche et de traître. A l’approche de la crise de l’été 1914, leur presse et une partie des titres conservateurs ainsi que les Maurras, les Daudet, les De Waleffe, les Franc-Nohain ont même armé, par leurs propos haineux et serviles, le bras de son assassin. Oui ! ce sont bien les allégations mensongères et les attaques directes de l’extrême droite et de la droite extrême d’alors qui ont tué Jaurès. Et ceux-là mêmes qui se situent aujourd’hui dans la lignée directe de ces mouvements d’idées et d’action et de ces pousse-au-crime, se réclameraient à présent de lui ? C’est un comble !…
Nous ne pouvons accepter qu’ils salissent ainsi la mémoire de Jaurès. Sans dénier à quiconque le droit de le citer, dans la mesure où les principes d’honnêteté intellectuelle et de probité de langage et de méthode sont observés, et sans nous ériger en gardiens d’une mémoire unique et d’un temple jaurésien intouchable qui n’existent pas, nous voulons seulement remettre l’histoire à sa place et rappeler quelques points fondamentaux de la vie du Grand homme qui savait, lui, respecter ses adversaires…
Jaurès était profondément attaché à son pays, à la nation française, tout en étant internationaliste. Il aimait la France, mais pas celle de la droite et de l’extrême droite monarchiste, cléricale et nationaliste. Nul besoin de jouer sur la complexité historique du mot Patrie pour affirmer cela. Il aimait en effet la France républicaine, celle des Lumières et de la révolution de 1789, celle des Quarante-huitards, de la Commune, de Hugo et de Zola ; celle qui lui paraissait de plus en plus en capacité, grâce à la progression du socialisme et du syndicalisme, d’imposer la République sociale qu’il appelait de ses vœux. Il s’est maintes fois prononcé en faveur d’une « armée nouvelle », liée à la nation, défensive et débarrassée du code militaire barbare alors en vigueur.
Il s’est battu pour les droits de l’homme, mais de tous les hommes, pas seulement des Français. Il a par exemple défendu les militants syndicaux poursuivis et son plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort demeure un des moments forts de son engagement. Il s’est aussi prononcé à différentes reprises pour le droit de vote des femmes, mesure à laquelle s’opposaient avec acharnement tous les conservateurs (et en ce domaine, nous le savons, il y en avait aussi à gauche …) appuyés sur le Sénat.
Il a lutté, en outre, contre la politique coloniale de la France, pour l’accession des musulmans d’Algérie à la citoyenneté, contre l’antisémitisme et le racisme. Dans un de ses derniers articles (L’Humanité, 24 juin 1914), il demandait par exemple de « protéger les ouvriers étrangers contre l’arbitraire administratif et policier pour qu’ils puissent s’organiser avec leurs camarades de France et lutter solidairement avec eux sans crainte d’expulsion ».
Au sein de l’Internationale socialiste, dont il fut un des deux représentants français, il a oeuvré en faveur de l’entente entre les peuples et de la paix. Il voulait aussi que soient établies des règles de droit (tel l’arbitrage obligatoire) qui dépassent le cadre politique national. Contre la guerre de revanche, il s’est sans cesse opposé au nationalisme cocardier et à ceux qu’il nommait lui-même « les maquignons de la patrie », souhaitant l’apaisement au moment des crises diplomatiques et le rapprochement, en vue d’actions communes, des socialistes et des salariés français et allemands. Il alla même jusqu’à proposer la grève générale simultanée en cas de guerre.
Anticlérical mais non anti-religieux, il fut aussi un ardent militant de la laïcité, de l’éducation publique et laïque et un artisan de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Ce fut là encore un épisode qui attira contre lui les foudres les plus véhémentes des droites coalisées.
Enfin, son engagement de tous les jours consistait à améliorer les conditions de travail et à étendre les droits économiques et sociaux (au profit de tous les travailleurs, et pas seulement des travailleurs français) : assurances sociales contre la maladie, les accidents du travail, le chômage…, retraites ouvrières et paysannes, impôts progressifs sur les revenus et sur les successions, baisse du temps de travail… Plus généralement, mais en l’affirmant sans relâche, il voulait créer les conditions pour qu’advienne, en France comme ailleurs, une société nouvelle débarrassée de toute forme d’oppression et d’exploitation ; une société basée sur la propriété collective et l’intervention directe des travailleurs et de leurs syndicats dans l’économie, sous l’égide d’un Etat démocratisé de fond en comble : le socialisme.
Ces quelques exemples non exhaustifs l’indiquent clairement : sa conception de l’homme, des rapports sociaux et des relations internationales, de la vie même, n’avait rien de commun avec celle prônée aujourd’hui par le FN. Ni même sa conception du passé, du présent et de l’avenir.
L’opération qui consiste à « annexer Jaurès » n’est pas nouvelle. Mais elle témoigne autant de la grandeur du personnage lui-même que de la malhonnêteté intellectuelle et politique de celles et ceux qui s’y livrent, tout en sachant que rien ne les y autorise, souvent par calcul électoral et pour brouiller les repères politiques historiquement construits. Déjà l’entourage de Pétain s’était prêté à ce jeu sous Vichy et, depuis une trentaine d’années, les milieux les plus rétrogrades du patronat lui ont emboîté le pas, en faisant circuler un texte tronqué de Jaurès, sans jamais tenir compte des observations faites par les historiens de la Société d’Etudes Jaurésiennes. Et l’on sait que le Président de la République s’est lui aussi « recommandé » du dirigeant socialiste à plusieurs reprises, durant la campagne des élections présidentielles, en utilisant tous les ressorts des plans de communication « politiciens » … L’affiche et le tract édités aujourd’hui par le FN continuent de creuser ce sillon. Sans leur donner l’importance qu’ils n’auront pas, ces documents de propagande montrent à quoi en sont réduits à présent les responsables et candidats du FN pour tenter de gagner quelques voix…
Non, vraiment, tout le monde ne peut pas se réclamer de Jaurès !
Le 150e anniversaire de sa naissance, auquel nous sommes nombreux à travailler, notamment en Midi-Pyrénées, ne fera que rappeler une nouvelle fois cette évidence.
C’est exactement cela. Il s’agit donc d’une fausse citation, méthode récurrente dans la fachosphère.
Arrêtez d’assassiner Jaurès !
Jaurès a été assassiné par un fasciste. La même extrême droite nationaliste qui une fois au pouvoir a fait condamner Raoul Villain, le meurtrier à un franc de dommages et intérêts, le tuant une deuxième fois.
Quand le FN s’approprie comme un charognard l’image de Jaurès, elle l’assassine une troisième fois.
Et les trois fois, il s’agit de l’extrême droite…