Depuis un an environ, le sujet « liste d’Epstein » fait les beaux jours des fachosphères sur Twitter et ailleurs. Intérêt qui vient de redoubler à l’occasion d’un évènement très mineur concernant cette affaire et qui va survenir dans les prochains jours: la publication de la « fameuse » liste d’Epstein.
Oui mais.
Une liste bien mystérieuse et qui révèle beaucoup. Mais non pas par son contenu, mais bien la façon dont la désinfo circule. Vous êtes un peu confus? C’est normal. On reprend tout à zéro.
La « liste de Jeffrey Epstein » est devenue un sujet récurrent de la fachosphère cette année 2023. Selon certains théoriciens du complot, cette liste contiendrait les noms d’individus de premier plan avec lesquels Epstein et sa partenaire Ghislaine Maxwell ont fait du trafic sexuel de filles. Et bien entendu cette liste est en train d’être supprimée par le gouvernement américain. Elle fait l’objet d’intrigues secondaires crées de toutes pièces toujours par cette même fachosphère.
1)La fausse liste
Soyons clairs sur le sujet dès le début de cet article :
IL N’Y A PAS DE LISTE D’EPSTEIN !!!
ll n’y a pas de liste. Répétez après nous, ca vous aidera pour la compréhension ultérieure de ce sujet.
Comme le montrent clairement les accusations du DOJ (Département de la Justice américaine) contre Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell , les deux sont accusés d’avoir monté un « complot » pour attirer de jeunes filles de 14 ans pour satisfaire les pulsions perverses d’Epstein.
Nulle part il n’est question de proxénétisme qui indiquerait que les deux accusés auraient monté un trafic pour satisfaire d’autres personnes…
Le DOJ n’a pas allégué qu’Epstein ou Maxwell auraient agi comme des proxénètes, auraient eus des clients prostitués ou auraient eu une liste de clients prostitués. Et les affaires Epstein antérieures n’ont pas non plus montrées, révélées de telles accusations.
Alors d’où vient cette rumeur transformée au fur et à mesure des années en véritable panique morale par les ultras conservateurs, puis transmise à toutes les fachosphères du monde ?
La première référence à une liste de clients d’Epstein se trouve dans le désormais célèbre article « Jeffrey Epstein : International Moneyman of Mystery » de 2002 publié dans le « New York Magazine ».
Il est apparemment l’article qui a pour la première fois attiré l’attention d’Epstein dans les grands médias, le décrivant comme un financier riche et solitaire qui avait fait fortune par des moyens opaques et mystérieux. Cela a soulevé des questions sur l’origine de sa richesse, spéculant qu’il aurait pu s’être livré à des pratiques commerciales illicites ou contraires à l’éthique. Bien que l’article n’accuse pas directement Epstein d’actes criminels, il a contribué à l’établir comme une personnalité digne d’intérêt et évoluant dans les intrigue.
Et effectivement sa vie est pleine de points d’interrogation. Epstein est censé gérer 15 milliards de dollars pour des clients fortunés, mais à part le fondateur de Limited, Leslie Wexner, sa liste de clients est un secret bien gardé.
En janvier 2003, Vanity Fair a publié « The Talented Mr. Epstein », un article d’investigation de la journaliste Vicky Ward. Au moment de sa publication, « Le talentueux M. Epstein » était l’un des premiers articles médiatiques majeurs à explorer en profondeur le comportement d’Epstein et à soulever des questions sur ses liens avec des personnes influentes dans les mondes politique et financier. Comme l’article du New York Magazine, il fait allusion à « la liste de clients d’Epstein ».
Contrairement à des gestionnaires de fonds tels que George Soros et Stanley Druckenmiller, dont les listes de clients et les opérations boursières servent de cartes de visite, Epstein garde secrets toutes ses transactions et tous ses clients, à l’exception d’un seul client : le milliardaire Leslie Wexner, le respecté président de Limited Brands.
La référence suivante à une liste de clients était un article de 2009 tiré d’un article de Forbes du journaliste respecté Antoine Gara intitulé « Jeff Epstein dirige-t-il également un système de Ponzi ? L’article, rédigé par Antoine Gara, a été publié le 10 décembre 2009, au lendemain du scandale de la chaîne de Ponzi de Bernard Madoff. Gara a soulevé des questions sur la stratégie d’investissement d’Epstein, qu’il a qualifiée de « secrète et non conventionnelle ».
Mais comme pour de nombreux gestionnaires privés, sa liste de clients est tenue secrète, bien qu’il y ait des rumeurs (et des démentis) selon lesquelles David Rockefeller et Linda Wachner avaient de l’argent avec Epstein. Cette rumeur provient en fait d’une ligne de l’article « Jeffrey Epstein : International Moneyman of Mystery » susmentionné :
« He once told me he had 300 people working for him, and I’ve also heard that he manages Rockefeller money. But one never knows.”
La quatrième référence à une « liste de clients d’Epstein » provient d’un article de Forbes intitulé « Le délinquant sexuel Jeffrey Epstein n’est pas milliardaire » paru pour la première fois en 2010.
La source de sa richesse – une société de gestion financière située dans les îles Vierges américaines – ne génère aucun document public et sa liste de clients n’a jamais été publiée.
Il est important de noter que les quatre références à la liste de clients d’Epstein étaient liées à ses clients investisseurs, et elles ont été faites avant la première allégation publique en 2011 selon laquelle Epstein partageait des filles avec des personnes notables.
2) Comment cette rumeur a t’elle circulé?
Sur Twitter, moins d’une poignée de personnes parlaient d’Epstein et d’une liste de clients avant novembre 2018.
« L’affaire Epstein » commence en fait bien tôt, en mars 2005, une femme contacte le département de police de Palm Beach en Floride et a allégué que sa belle-fille de 14 ans avait été emmenée au manoir d’Epstein par une fille plus âgée. Pendant son séjour, elle aurait reçu 300 $ (l’équivalent de 450 $ en 2022) pour déshabiller et masser Epstein.
D’autres affaires suivrons, rappelons le AUCUNE n’impliquera d’autres personnes qu’Epstein lui-même et Maxwell. A part peut-être « l’affaire Brunel« , mais qui restera sans suite en raison du suicide des deux protagonistes et l’affaire du prince Andrew, qui reste bien mystérieuse du fait de l’absence de procès.
Mais des affaires avec parfois des développements parfois très étranges, comme celle de qui implique un procureur républicain et qui intégrera l’équipe de Trump par la suite…
En juillet 2006, le FBI a lancé sa propre enquête sur Epstein, surnommée « Opération année bissextile ». Cela a abouti à un acte d’accusation de cinquante-trois pages en juin 2007. Alexander Acosta , alors procureur américain pour le district sud de Floride , a accepté un accord de plaidoyer, qu’Alan Dershowitz a aidé à négocier, pour accorder l’immunité de toutes les accusations criminelles fédérales à Epstein, ainsi qu’à quatre co-conspirateurs nommés et à tout « co-conspirateur potentiel » anonyme. Selon le Miami Herald , l’accord de non-poursuite « a essentiellement mis fin à une enquête en cours du FBI visant à déterminer s’il y avait davantage de victimes et d’autres personnes puissantes qui ont participé aux crimes sexuels d’Epstein ». À l’époque, cela avait stoppé l’enquête et scellé l’acte d’accusation. Le Miami Herald a déclaré : « Acosta a accepté, malgré une loi fédérale contraire, que l’accord ne soit pas divulgué aux victimes. »
On se frotte les yeux. Et pourquoi donc ?
Parce qu’Epstein aurait été un « espion »….
Bien entendu, les conspirationnistes y verront une preuve des relations Epstein/puissants. Sauf que dans ce cas précis cela semble impliquer les républicains. Acosta refusera de publier l’accord. Bizarrement aucun MAGA ne se bat pour qu’il soit enfin dévoilé…
Après l’arrestation et le décès d’Epstein en 2019, la couverture médiatique et les articles faisant référence à sa liste de clients ont considérablement augmenté. Encore une fois, ces références étaient liées à ses clients investisseurs.
Vous pensez peut-être que le mythe de la liste de clients d’Epstein est né de ces références. Eh bien, malgré cette couverture accrue, la liste des clients d’Epstein ne semble pas générer beaucoup de buzz sur Twitter . Pas un seul tweet sur la liste de clients d’Epstein ou de sa partenaire Ghislaine Maxell avec plus de 1000 likes ne pourra être trouvé avant 2022.
En décembre 2021, il a été rapporté que les avocats de la défense de Maxwell avaient conclu un accord avec les procureurs pour empêcher que la liste de contacts du « Livre noir » de 97 pages ne soit rendue publique. Il a été publié pour la première fois sous une forme expurgée par Gawker en 2015, mais une version non expurgée est disponible depuis au moins 2019 sur le Darknet. Avec 1 500 noms, il ne s’agit pas d’une quelconque liste de clients, mais elle semble avoir été le « noyau de vérité » pour les affirmations ultérieures concernant la suppression de la liste de clients de Maxwell, et plus tard d’Epstein, comme cela deviendra évident.
Plus tard le même mois, un utilisateur de Reddit demande :
« Que se passe-t-il avec la liste de clients de Ghislaine Maxwell/Jeffrey Epstein ? J’ai lu quelque part que maintenant que son procès est terminé, la liste sera scellée pour une raison quelconque. »
Nous voyons déjà la preuve que le « Black Book », officiellement inédit, est décrit comme une liste de clients.
En janvier 2022, un utilisateur de Twitter nommé ReaganUSA tweete:
« Si la liste des clients de Ghislaine Maxwell était entièrement républicaine, elle aurait déjà été publiée dans le New York Times. »
Avec plus de 80 000 likes et 15 000 retweets, le tweet est un blockbuster, dépassant de loin tous les tweets précédents sur le sujet. Cela suggère que Ghislaine Maxwell, et non Epstein, avait une liste de clients et que le New York Times ne la publiera pas.
Un mois plus tard, Nick Adams , troll sur Twitter et favori de Trump, donne son avis :
« J’aurais aimé qu’il y ait autant d’indignation à propos de la liste des clients de Ghislaine Maxwell que de la liste des invités de Joe Rogan. »
Le tweet reçoit plus de 92 000 likes.
En mai 2022, Elon Musk, le shitposter le plus riche du monde, se joint à la mêlée et demande :
« Où est leur liste de « clients » ? Est-ce qu’au moins l’un d’entre eux ne devrait pas tomber ! »
Un mois plus tard, il publie un mème sur la « liste de clients Epstein/Maxwell » et allègue qu’elle est gardée cachée par le DOJ avec l’aide des médias :
« La seule chose plus remarquable que le fait que le DOJ n’ait pas divulgué la liste, c’est que personne dans les médias ne s’en soucie. Cela ne semble-t-il pas étrange ? »
Le tweet obtient le nombre incroyable de 400 000 likes et donne lieu à quelques articles sur des sites d’information de droite. Les recherches Google sur la « liste de clients Epstein » ont atteint leur apogée depuis près d’un an.
Musk n’est peut-être pas le patient zéro face à l’affirmation selon laquelle le gouvernement supprime la liste de clients, mais il est un « super-propagateur » : au cours des prochains mois, il y aura une explosion d’ influenceurs conservateurs discutant de la prétendue liste de clients comme Lavern Spicer , Lauren Boebert , Le Parti Libertaire et Ian Miles Cheong , pour n’en citer que quelques-uns.
Le 28 juillet 2022, Joe Rogan laisse entendre sur son podcast que « la liste n’a pas été dévoilée… ce n’est pas un mystère pour les personnes qui l’ont poursuivie ». Dinesh D’souza allègue que le DOJ de Biden et les médias souhaitent protéger les noms figurant sur cette liste de clients. Les Hodge Twins suggèrent qu’un « ils » nébuleux ne publieront pas la liste des clients.
Une histoire vraie selon laquelle une liste de contacts de 1 500 noms n’a pas été officiellement publiée par un tribunal (mais est disponible gratuitement en ligne depuis 2015) a été transformée en un complot gouvernemental concernant une liste de clients prostitués et amplifiée par des influenceurs conservateurs, en particulier Elon Musk. Malgré le manque de preuves, ce mythe a suscité un intérêt considérable sur les réseaux sociaux, alimentant les théories du complot et portant atteinte à la réputation des individus faussement accusés de figurer sur la liste.
D’ailleurs les personnes accusées d’être sur cette liste sont systématiquement des boucs émissaires réguliers des fachosphères. De préférence démocrates ou opposés à Trump.
Trump lui n’est jamais accusé alors qu’il connaissait bien Epstein et ses soirées… Et photographié en pleine main aux fesses à une jeune femme ou tenant des propos explicites.
Enfin un évènement à venir relance actuellement la machine aux USA, et donc en France…
Une juge de New York, Loretta Preska a ordonné que la liste des contacts d’Epstein soit révélée publiquement. Sauf qu’il s’agit ou de personnes mineures ou bien « d’associés » en affaire d’Epstein. En aucun cas ce que les conspis prétendent . et on repart à zéro.
3) Et en France
Cette propagande/panique morale a bien entendu touché la France générant le même type de mensonges/propagande qu’aux USA. Et générée par la même galaxie politique, bien évidemment. Le système est un peu différent. Chaque propagateur choisit son ennemi personnel et l’intègre à l’histoire. Les exemples sont légions en voici quelques uns:
Les « associés ». On ne sait pas qui c’est vous pouvez tout inclure là dedans.
Les « anciens présidents ». Bien sûr nos menteurs inclurons Obama et Biden, mais n’inclurons jamais Trump. Contre toute évidence.
Le très honni « Bill Gates », depuis le Covid.
Et vous pouvez même y ajouter Marck Zuckerberg.
Et pourquoi pas Kevin Spacey et Stephen King? Après tout hein, pourquoi pas?
Ou même Jack Lang!
Et au passage les autres boucs émissaires du moment, comme Harvard…
Ou les éternels ennemis des conspirationnistes, Blanrue étant connu pour cette obsession.
Et puis flût, si vous avez envie, vous pouvez même faire une fausse liste de la fausse liste hein? Puisque tout le monde vous croira sur paroles et que personne n’ira vérifier…
CONCLUSION
De l’interprétation des mots et du contexte… En effet, nous avons vu comment la « liste des clients » d’Epstein a subi une mutation sémantique de par la grâce de la propagande d’extrême droite sur ce sujet.
Avec sans doute des buts très politiques.
Un sujet qui a bien fonctionné vu l’obsession des ultra conservateurs américaines et des fachosphères sur la pédophilie et les « réseaux pédophiles« . On se souvient de la panique morale sur l’adrénochrome, les « panda eyes« , ou le succès (relatif) du « filmenteur » « sound of freedom ».
Nul doute qu’il y en aura d’autres…