09 mai 2023 | Temps de lecture : 8 minutes

Un faux parisien sert de la propagande pro russe

Nous avons pu observer ces derniers jours un afflux massif de publicités sur Facebook relevant de la plus pure propagande russe, certains liens renvoyant à un faux site copiant Le Parisien.

Nous pensons que cette campagne conçue à la hâte est un signe d’empressement du côté russe alors qu’en ce printemps 2023, l’armée ukrainienne prépare une contre offensive. Justement, cette riposte est prise très au sérieux par Moscou dans la mesure où Kyiv a reçu du matériel venu d’occident.

image faux parisien propagande russe
On analyse ça ensemble.

Faux parisien, vraie propagande

En un week end, ça a été l’avalanche! Nous mêmes, ainsi que nos lecteurs ont vu des tas de posts sponsorisés apparaître sur Facebook. Vous nous direz, ce n’est pas exceptionnel tant le service est devenu un support publicitaire. Justement, là où c’est intéressant, c’est le lien associé à chaque post, nous reviendrons là-dessus. Ce lien redirige vers différents sites, dont un qui a retenu notre attention. Et c’est ce que nous allons voir ici.

Sur ces captures, tout à l’air de ressembler au Parisien pour n’importe quel internaute. Il faut y regarder de plus près pour voir l’astuce. Nous avons donc choisi un article parmi d’autres.

Un article à visée propagandiste

L’État français va donner un million d’euro aux athlètes ukrainiens alors que les athlètes français vivent avec le SMIC. On comprend très vite le but de cette approche : les ukrainiens bénéficieraient d’un traitement de faveur à l’orée des JO de Paris 2024. Une gabegie selon l’auteur qui s’étonne de l’engagement français alors que les USA et la Russie seront les seuls vainqueurs de cette guerre.

Pour qui lit le Parisien, cet article n’a rien d’habituel. Évidemment, pour qui connaît la propagande russe, cet article est une production ordinaire. Le Parisien serait-il vendu à la parole du Kremlin !?

Bien sur que non ! Regardons ça ensemble.

la première chose que nous pouvons relever, c’est le ton à charge qui tranche avec le style journalistique classique. Il s’agit d’une rédaction du genre pamphlétaire qui lie deux actualités bien réelles :

Mais le tout est rédigé de telle manière qu’une aide exceptionnelle est mise en perspective à la situation de nos athlètes, un serpent de mer qui resurgit des eaux à chaque JO. Nous, ça nous rappelle « Et nos SDF? » quand la France accueillait des réfugiés (pas beaucoup). D’autant que notre article mis en lumière est daté du 3 mars, dix jours après les faits qui n’ont soulevé aucune contestation en plein conflit social.

Le détail qui tue

Regardons maintenant de plus près l’URL. Vous ne voyez rien? Le vrai journal parisien a cette adresse leparisien.fr, et ici nous avons leparisien.ltd! Nous avons donc affaire à un clone du site. Cette méthode est celle utilisée par les escrocs au phishing qui reproduisent les sites des banques ou de services pour vous mettre en confiance. Astucieux, non?

capture url faux parisien
Le vrai parisien, c’est un .fr

Cependant, les efforts ont été limité au strict minimum, et le site n’a pas de page d’accueil. Les articles ne sont pas liés les uns aux autres, et tous les liens du site renvoient vers leparisien.fr. Malgré tout, nous avons identifié au moins 4 articles liés à ce nom de domaine. Une recherche sur Google sur ce nom de domaine ne nous apprend rien, les liens ne sont pas indexées, c’est à dire qu’aucun effort n’est fait pour mettre le site en valeur et qu’il soit trouvé dans un moteur de recherche. Un indice de plus que ce site a été créé pour cette opération de propagande.

Sans surprise, le premier outil venu nous donne un aperçu de la crédibilité du site.

Verdict sans appel, nous avons affaire à un faux parisien, qui a tout l’air du vrai. Mais pourquoi s’embêter à reproduire le Parisien ? C’est là que nous pouvons identifier la cible. Le quotidien est une référence de la presse française, cette campagne s’adresse donc à un public français, utilisateur de Facebook qui est tout de même le réseau social le plus utilisé en France. Si l’âge moyen des utilisateurs de la plateforme augmente, c’est parce que Facebook est boudé par les 15/24 ans qui préfèrent Instagram, Snapchat ou Tiktok.

Nous pouvons raisonnablement formuler cette hypothèse : cette campagne cible une population qui réside en France, utilise Facebook et lit la presse en ligne.

La campagne sur Facebook

Des campagnes de propagande sur les réseaux sociaux nous en avions déjà analysé. C’était le cas par exemple avec des pages à destination de l’Afrique francophone avec le clone de Rossiya 1 ou la page Madame Hathor. Nous allons maintenant regarder ce que contient cette opération. 

Les posts sponsorisés

Certains parmi nos lecteurs les ont vu apparaître comme des champignons sous l’orage dans leurs fils d’actualité sur Facebook. Des informations très variées qui n’ont qu’un but, atteindre à l’image et la réputation de l’Ukraine. Dans ce contexte, c’est évidemment signé, il s’agit de propagande dans l’intérêt de la Russie. Nous avions déjà vu l’aspect spectaculaire de ces campagnes qui démarrent du jour au lendemain et qui repose sur un effet de masse.

Les posts sponsorisés sont des posts Facebook publiés par des pages et qui touchent une plus large audience en payant. C’est une des sources de revenus de la plateforme Meta, la publicité. C’est extrêmement simple à mettre en place, il suffit de sélectionner un type d’utilisateurs selon des critères (age, sexe, profession, centre d’intérêt). N’oubliez pas que nous avons confié ces informations non seulement en l’inscrivant dans nos fiches, mais aussi  nos pratiques aussi sont scrutées.

Les pages générées à la volée

Ces posts sponsorisés sont créées par un utilisateur qui gère des pages, et des pages… il y en a beaucoup. Bien entendu, niveau créativité, c’est pas fortiche. Quelques noms déclinés à l’infini : info news avec une lettre, gifted hole, dump trade….

Toutes ces pages ont en commun de n’avoir aucun abonné, aucun contenu et d’avoir été créé courant 2022.

Les sites vides

Nous avons donc trouvé des posts sponsorisés associés à des pages vides qui ne servent qu’à cet usage. D’ailleurs, elles disparaissent très vite, peut être même plus vite que le temps moyen de la modération Facebook. Qu’est ce qui nous fait faire le lien entre tous ces posts ? Reprenons :

  • Des posts très similaires dans la forme
  • Des pages aux noms très proches et peu variées
  • Elles renvoient vers les mêmes sites (nous avons vu le faux Parisien)

Mais dans ce post, le lien cliquable n’est pas identifiable de suite. Soderemynd.com, villadevendome.com, bestofbuyers.com, ces noms de domaines fleurent bon l’affiliation et les business pas très honnêtes. Mais rien ne laisse penser à de la propagande russe, seul le contenu des messages à charge contre l’Ukraine et un occident décadent nous mettent sur cette piste là.

capture recherche google
aucune page n’est indexée sur ce domaine

En fait, ces liens ne sont que des redirections, c’est à dire qu’ils sont programmés pour renvoyer immédiatement l’internaute vers un lien final. La question est finalement, pourquoi utiliser ces sites « passerelles ». D’autant plus que la redirection ne fonctionne que quelques heures.

À ce point là de notre histoire, il est tout à fait envisageable que le gros du travail demandé pour créer des sites dit « de contenu » (qui contiennent des articles, comme notre clone du Parisien) ait poussé le ou les auteurs de cette campagne à utiliser des liens intermédiaires. Et ce, pour éviter que les sites cibles ne soient blacklistés par Facebook (et même s’ils le sont, passer par un site miroir règle le problème).

Des redirections vers d’autres sites

Enfin pour finir, même si nous avons retenu ce clone du Parisien comme illustration, on trouve d’autres sites cibles, présentés comme des sources (supposément fiable).

Certaines redirections renvoient vers des comptes pro-Russes sur Twitter, comme celui du très russophile Bertrand scholler dont on parle ici, ici et .

capture twitter bertrand scholler
Le géophysicien Bertrand Scholler au se cours de la Russie.

Mais nous pouvons aussi tomber sur des sites comme RRN ou TribunalUkraine. Détail amusant, RRN prétend faire de la désintox en ne diffusant des fake. Comme quoi, il ne suffit pas de le dire…

Comme on peut le voir, ces sites ne font pas semblant et diffusent des articles de pure propagande. Si les sites ne sont pas disponibles en toutes les langues, on peut légitimement soupçonner que le but initial était de toucher un plus large public. Pour Tribunalukraine, seuls l’espagnol, le français l’allemand et l’anglais sont disponibles (l’allemande est la langue par défaut), détail qui nous permet d’identifier la cible de cette campagne, l’Europe.

Conclusion

Nous avons donc ici ce qui est de toute évidence une campagne de propagande venant de la Russie, utilisant Facebook. Ainsi, nous avons pu identifier la cible, des citoyens français ou allemands de 25 ans et plus. La teneur des textes jouant sur le rôle de ces deux pays dans le conflit, insistant sur la corruption, etc…

Toutefois, cela reste une opération grossière. Certains indices nous laissent penser que comme dans le cas des pages de topito transformées en campagne de désinformation à destination de l’Afrique francophone, c’est un tiers qui s’est chargé du déploiement de la campagne. En effet, la faible qualité des textes, l’utilisation de cette technique de miroirs nous font penser à un opérateur rôdé à ces outils, mais qui a du mettre en place une campagne avec peu de matériel (images, textes) et un peu dans l’urgence (les premiers textes semblent dater de février 2023).

Le cout d’une telle opération reste relativement minime si elle ne dure pas dans le temps. Techniquement, ça ne demande pas grand chose, juste quelques noms de domaines. Mais le sponsoring peut vite couter très cher (le prix est très variable selon la cible, le moment, la durée…).

Il est très important de rappeler que ces opérations ne sont possibles que parce qu’elles ont un bailleur qui les finance. Nos regards se tournent ici sur la Russie et ses soutiens.

Les effets sur notre post

Notons également que notre publication initiale a été l’objet d’un blocage pour spam. Les images ont été supprimé par Facebook, et la publication est fermée aux commentaires. Nous n’avons reçu aucun message de la part de Meta pour nous signaler quoique ce soit. Ces mêmes visuels continuent à circuler sur d’autres pages, ce qui nous laisse perplexe sur les raisons de cette suppression.

capture page facebook debunker
Notre post sur notre page Facebook a été classé en spam

Enfin, pour paraphraser la campagne de pub du dit journal, le Parisien, il vaut mieux l’avoir en journal. Reconnaissons au moins que la version papier est plus difficile à cloner.

Merci à LD et RH pour leur aide sur cet article.

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